Publicité : slogans interchangeables pour public universel
par Philippakos
mercredi 14 novembre 2007
Il est bien lointain le temps où la publicité se contentait de citer la marque (chocolat Menier) ou décrétait abruptement que le produit était « Tout simplement le meilleur ». Le slogan publicitaire s’attaque aujourd’hui à des valeurs essentielles, presque philosophiques. Et peu importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse, le produit n’a plus aucune importance et bien malin celui qui est capable, à la lecture du slogan, de deviner la catégorie concernée. Quelques exemples :
- C’est avec l’esprit libre que l’on avance
- Et vos envies prennent vie
- Vous êtes vivant alors vivez
- Bienvenue dans la vie
- Vivre avec légèreté
- La vie est trop courte
Pour, dans le désordre :
- une banque
- un produit alimentaire
- une compagnie de téléphone
- une compagnie d’assurance
- un fromage
- du matériel de bricolage
(les correspondances sont dévoilées à la fin de l’article).
Les slogans sont destinés à des individus, très rarement à des collectivités (familles, associations). Ils sont souvent rédigés en s’adressant directement au consommateur, au singulier, mais en jouant sur l’ambiguïté du pluriel de politesse : « Vous êtes différent, nous aussi » (Covefi Banque), sans craindre le mode impératif : « Déchaînez-vous » (BeTV), « Pensez différemment » (Apple), « Accédez librement aux richesses de demain » (Liberty Surf), « Prenez votre futur en main » (Carte Visa). Le pluriel de politesse est une particularité linguistique bien commode car il permet au publicitaire de s’adresser à une collectivité et, en même temps, que chaque lecteur perçoive le message comme adressé personnellement.
C’est la caractéristique, en psychologie, de l’effet Barnum (du nom du directeur de cirque du même nom, connu pour son caractère extraordinairement apprécié en société), encore appelé effet Forer. Ouvrons ici une parenthèse : Forer, un professeur de psychologie, donna à ses étudiants (en 1948) un test de personnalité. En leur delivrant un texte de quelques lignes comme résultat du test, il sollicita leur avis personnel. L’ensemble des participants s’accorda pour reconnaître le caractère très pertinent de l’analyse du professeur et chacun se reconnut très précisement dans les termes de Forer à son égard. Seulement Forer avait écrit exactement le même texte pour tous les étudiants, composé de mots assez vagues et positifs pour obtenir la plus large adhésion. (Forer, B. (1949) « The fallacy of personal validation : A classroom demonstration of gullibility », Journal of Abnormal and Social Psychology, 44, 118-123.) On imagine l’aubaine pour l’astrologie et, plus généralement, pour cibler un public... Voir le texte de Forer traduit en français.
La publicité vise ainsi l’onirique, avec des notions floues capables de fédérer par leur universalité. Cela fait bien longtemps que le produit n’est plus au centre du message mais, en visant les mêmes créneaux, les formules deviennent interchangeables. Le slogan n’est, bien sûr, aucunement informatif. On en vient même parfois à se poser des questions sur le sens même de la phrase : « Deviens ce que tu es » (Lacoste). Saluons pourtant la qualité littéraire de textes qui, à défaut d’être éclairants, invitent à un certain romantisme. Citons en vrac : « Vivre c’est ressentir » (Jacques Vabre), « A vous d’inventer la vie qui va avec » (Renault), « Renouveler son corps de l’intérieur » (Bio), « La vie n’attend pas » (Cetelem) et si jamais un petit coup de blues survenait sans crier gare, sachez que Castorama est le « Partenaire du bonheur ». Les thèmes relevés les plus récurrents sont : la vie, la création, le bonheur, la liberté et le rêve.
La vie est le plus fréquent. Conjuguée à toutes les sauces. La notion fédératrice par excellence, celle que nous partageons tous... pas de doute possible. Le slogan de Renault est peut-être le plus subtil... mais aussi le plus pervers : « Inventez la vie qui va avec ». On suggère là que ce n’est pas la voiture qui accompagne la vie mais la vie qui accompagne la voiture, que le véhicule devient plus important que le sujet véhiculé... que vous en sorte. Il vient en contradiction avec l’esprit publicitaire actuel qui place le consommateur résolument au centre du message : « Parce que vous le valez bien » (L’Oréal).
La création est toujours déclinée au futur : « A vous de créer » (Sony), « Créer ce qui vous change la vie » (Vivendi), « Un nouveau monde, le vôtre » (Bouygues) avec cette fameuse idée de « changement » qui fut le maître mot des slogans politiques, toutes tendances confondues, puisqu’il permettait à l’électorat d’imaginer une transformation à la mesure de son aspiration individuelle.
Le bonheur est le plus universel puisqu’il ne touche pas seulement l’homme : « MMA, c’est le bonheur assuré », mais aussi l’animal : « Une vache heureuse donne du meilleur lait » (Le Rustique Camembert). Sont évoqués les bonheurs de votre chien, chat, avec même parfois des surprises : « Là où votre argent est heureux » (ING Direct).
La liberté fait toujours recette. Après le célèbre « Moulinex libère la femme » des années 70, sachez que boire du Coca vous apporte « Le plaisir en toute liberté », mais que, si vous en doutiez, « La liberté n’a pas de prix » (Free), méfiez-vous toutefois et « Ne payez pas votre indépendance au prix fort » (Mobicarte).
Le rêve, enfin, a au moins le mérite de ne pas cacher son jeu. On est là clairement dans l’irréel et on ne reprochera pas aux publicitaires d’abuser leur monde : « Construisons vos rêves » (Sofinco Banque), au cas où vous ne sauriez pas le faire tout seul, « L’imagination dans le bon sens » (Caisse d’Epargne) en vous laissant le soin de démêler le mauvais.
Ces cinq notions ont en commun leur caractère consensuel. Personne ne peut se déclarer contre la création qui, devenant rare et réservée à une marginalité, a aujourd’hui le vent en poupe. Ou contre la vie, le bonheur, la liberté ou le rêve. En cela, les slogans se vident de leur substance : ils ne font pas débat puisqu’ils sont unilatéraux, puisqu’on ne peut qu’y souscrire. La publicité s’évertue aujourd’hui à associer un produit, quel qu’il soit, à une image positive. Il devient donc impératif, pour toucher au plus large, de n’utiliser que des notions reconnues, évidentes universellement, la plus caricaturale étant celle de « vie », quitte à enfoncer le slogan dans une triste platitude.
Les slogans réussissent toutefois un tour de force : résoudre la contradiction universel-individuel, à une époque où l’ego est omniprésent, en personnalisant à l’envi chaque petite phrase : vos rêves, vos envies, votre indépendance, « Le monde bouge, et si vous en profitiez ? » (Cegetel). Nous sommes donc tous pareils, aspirons aux mêmes désirs... mais en même temps tous différents puisque ces désirs sont les nôtres. On ne pouvait que saluer la performance formelle des artistes publicitaires.
Les six slogans du début sont, dans l’ordre cette fois : Gan (assurance), Leroy Merlin (bricolage), Cœur de Lion (fromage), France Télécom, Fruit d’Or (alimentation), Banque Directe.
Illustrations : (haut) Chocolat Menier 1893, (bas) Renault 2006 : « Que serait le luxe sans espace ? »