Réflexion d’un citoyen sur le journalisme citoyen

par TTO
lundi 5 novembre 2007

Le concept de journalisme citoyen, porté sous des formes diverses par de nombreux sites citoyens, me paraît, pour au moins trois raisons, être une impasse.

Restant dans le paradigme du journalisme, il met au centre de son projet la collecte et la vérification de l’information. Or, ce dont nous souffrons actuellement ce n’est pas d’un manque d’information mais d’un manque de réflexion. Nous sommes de plus en plus incapables de penser ce que nous faisons, comme le disait dès la fin des années 50 Hannah Arendt. Ce mal s’est dramatiquement accentué depuis. La raison d’être de sites citoyens devrait se situer là. Fournir des lieux d’élaboration de réflexion plurielle et collective. En privilégiant l’actualité immédiate, en réagissant aux "manques ou aux manipulations" des médias traditionnels, en répondant à une logique de l’audimat importée de la télévision, les sites citoyens se fourvoient. Le débat se concentre sur le contrôle et l’exhaustivité des informations alors que la vraie question est celle de la pluralité et de la richesse des réflexions.

La division du travail, très taylorienne et très rudimentaire, adoptée sur ces sites entre animateurs, rédacteurs et commentateurs n’est pas au niveau des exigences et des possibilités de la révolution informationnelle. La puissance des NTIC convoque et permet de nouvelles catégories d’action et d’efficacité. Des catégories technico-scientifiques de certitude et de maîtrise, l’on est passé à celles de l’observation, de l’écoute, de l’innovation et de l’intelligence des situations. Le mode sensible se trouve de plus en plus mobilisé. Toutes les actions, tout en nécessitant des compétences techniques, engagent des subjectivités sensibles. Décider, organiser, servir, convaincre, engager, se mettre d’accord, juger engage l’homme dans une expérience qui requiert une sensibilité et une connaissance non garanties par un savoir technico-scientifique préexistant. Ce qui rapproche l’homme ou la femme d’entreprise, le médecin, le politique, le citoyen, du sculpteur, du peintre ou du chef d’orchestre, c’est qu’ils s’engagent dans une aventure qui commence là où s’arrête la maîtrise purement technique. Il leur faut donc un art de se montrer attentif au nouveau et à ce qui n’était pas prévu, un art de s’adapter à l’incertitude, un art d’observer, de sentir, d’écouter, d’interpréter, de comprendre. Ce que j’attends d’un site citoyen c’est qu’il contribue au développement de cet art.

Enfin ces sites citoyens accentuent le problème posé par la surabondance de l’information ou plutôt par la surabondance des données. Données que nous avons de plus en plus de mal à transformer en informations. Cette abondance est un phénomène unique dans l’histoire de l’humanité. Dans l’entreprise c’est l’un des sujets de préoccupation et d’étude qui focalise le plus d’énergie. L’information, comme la passe du ballon au football, doit être dosée, adressée selon le contexte au type d’acteur (joueur) qui saura en faire bon usage - défenseur, milieu, attaquant - au moment où il pourra en faire le meilleur usage. La meilleure manière de gagner au football, c’est de jouer collectif. Dans cette logique, un défenseur peut marquer un but comme un attaquant se mettre à défendre. Certes, il est possible de marquer des buts spectaculaires sur des actions personnelles, mais, à un certain niveau, l’évolution des moyens et des techniques rend la chose de plus en plus difficile. Jusqu’à un certain point, il en va de même dans la société et dans l’entreprise en matière d’information. Jouer collectif, c’est apporter de l’information à valeur ajoutée. C’est fournir l’élément d’information adéquat, au destinataire adéquat et au moment adéquat : quoi, qui et quand ? Dans l’entreprise, c’est d’autant plus important que, à la différence du terrain de football, les joueurs ne sont pas concentrés sur un ballon mais sollicités de partout. La valeur de l’information est nulle si elle ne retient pas l’attention du destinataire. Il faut donc faire l’effort de se mettre à la place de l’autre et d’explorer ce qui pourrait l’intéresser, plutôt que de produire ou de recevoir de l’information pour calmer sa propre émotion. Ce qui nécessite de se poser systématiquement la question suivante : lorsque j’envoie, je sollicite ou je conserve une information, le fais-je pour calmer mon émotion ou pour apporter de la valeur au système ?

En résumé, trois impasses et donc trois pistes. Se dégager du paradigme du journalisme (expert et lecteur, audimat...). Revoir la division du travail et la hiérarchie qui l’accompagne (exigence sur l’écrit par la suppression des commentaires et son remplacement par la confrontation de textes construits...). Sortir d’un mode de production d’information gouverné uniquement par l’émotion (supprimer les votes et notations très scolaires...).

Un exemple encore récent de réflexion plurielle et collective devrait faire école : celui du référendum de mai 2005 en France.


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