Rencontre avec Edwy Plenel, Directeur de publication de Mediapart

par actu
mardi 7 septembre 2010

L’affaire Woerth-Bettencourt révélée par le site d’information en ligne Mediapart ne cesse de défrayer la chronique depuis le mois de juin. Le journalisme indépendant sur Internet ne cesse de prendre de l’ampleur, grâce notamment au travail d’investigation d’Edwy Plenel et de son équipe (tels que Fabrice Arfi ou Fabrice Lhomme). Qu’en est-il aujourd’hui de l’affaire Woerth ? Et plus généralement, qu’en est-il de la presse sur internet et de son indépendance ?

Voila les questions qu’Acturevue a voulu poser à celui qui incarne ce journalisme (la rencontre a eu lieu le samedi 28 août en marge de l’université d’été du Parti socialiste à La Rochelle). Un journalisme garant des principes fondamentaux. Le « watchdog » ou chien de garde de la démocratie, comme aime le qualifier Edwy Plenel.

Acturevue
Après vos nombreuses révélations publiées sur Mediapart, qu’attendez-vous des membres du gouvernement et en particulier d’Eric Woerth ?

Edwy Plenel
Dès les premiers jours de nos révélations en juin, nous avons écrit qu’Eric Woerth devait démissionner. Non pas parce qu’il serait coupable, mais parce qu’en démocratie lorsqu’il y a un soupçon qui atteint la république et qui pose le problème du conflit d’intérêts, un ministre doit se déporter. Il doit sortir du gouvernement pour éviter que tout le gouvernement ne soit pris dans cette affaire, et c’est exactement ce qu’il s’est produit. Tout le monde a fait bloc au point de mettre le feu à la république, au point de violer la constitution en s’en prenant aux personnes d’origines étrangères, au point de faire la diversion scandaleuse qui fait des roms des boucs émissaires. J’attends donc d’abord, qu’il y ait un système où la responsabilité politique existe, ce qui impliquerait que Monsieur Woerth ne puisse plus être ministre dans le gouvernement actuel où nous avons tous vu ce conflit d’intérêts entre Trésorier de l’UMP et Ministre du Budget.
J’attends également, qu’il y ait une justice indépendante dans cette affaire. Depuis plus de deux mois que nous avons lancé cette affaire, il n’y a toujours pas de magistrat indépendant qui enquête librement, profondément, durablement et sérieusement sur cette affaire. Il n’y a pas de commission rogatoire à l’étranger ni de vérifications en Suisse. Le vrai scandale est là : on a bloqué la justice.
 
Acturevue
Il y a eu énormément d’attaques contre Mediapart et vos méthodes d’investigations. Qu’avez-vous ressenti après que certains ministres notamment ont qualifié vos méthodes de« trotsko-fascistes » ou que d’autres ont sorti de vieilles affaires vous concernant (ndlr : l’affaire Baudis lorsque Edwy Plenel dirigeait Le Monde) ?
 
Edwy Plenel


Mediapart n’a pas reçu énormément d’attaques. Nous avons d’abord bénéficié d’une immense solidarité, que l’on voit ici. Globalement les citoyens y compris des citoyens qui ont voté Sarkozy se sont reconnus dans cette histoire et dans la fonction démocratique du journalisme. Nous avons sans cesse des témoignages, ce qui est presque émouvant pour un journal car nous ne sommes pas un parti politique ni un mouvement, nous faisons simplement notre travail. Les gens nous disent de continuer...
Il y a eu , certes, des attaques mais pas énormément. Elles provenaient d’une petite bande, d’un petit groupe proche du pouvoir. Ce petit groupe autour de Nicolas Sarkozy a décidé presque au Kärcher d’essayer de détruire Mediapart, ce qui était ridicule. En effet, parler de méthodes fascistes, trotskistes, c’est n’importe quoi. C’étaient Madame Morano, Monsieur Estrosi, Monsieur Xavier Bertrand... Mais, qui sont-ils ? Ce n’était pas le gouvernement, ni l’UMP, ni la droite, c’était un tout petit monde. Ils voulaient discréditer nos informations pour dissimuler leur panique et leur affolement. Nous avons dû, à un moment donné, nous défendre devant la justice sur la légitimité de nos informations et nous avons gagné en instance devant le Tribunal de Paris puis devant la Cour d’appel le 23 juillet 2010. La Cour d’appel a, en effet, déclaré que les informations de Mediapart sont légitimes et d’intérêt public. Et c’est une semaine après, le 30 juillet, que Nicolas Sarkozy a prononcé le discours de Grenoble, ce qui n’est pas un hasard. Comme ils ont vu qu’ils n’arrivaient pas à nous discréditer ou à nous faire taire, ils ont franchi un pas immense en instrumentant ce débat sur la sécurité. Par ce discours, il a même créé l’insécurité, dressé les français les uns contre les autres, et encore une fois violé la Constitution pour faire oublier l’affaire Bettencourt. Cela prouve bien que c’est une affaire grave. Il faut tout de même rappeler qu’ils possèdent de nombreux moyens. Ils détiennent la présidence de la république, la police, la justice, les institutions. Nous ne sommes que des petits moustiques face à de gros éléphants. Mais ils se sont affolés et ont joué avec la république. Ils l’ont brutalisée pour faire oublier cette affaire. Nous sommes là pour dire que nous ne l’avons pas oubliée, et que nous continuerons.
 
Acturevue
Nous avons l’impression que depuis les révélations de Mediapart, le fossé grandit de plus en plus entre d’un côté le journalisme d’Internet et de l’autre celui de la presse traditionnelle. L’Express avait par exemple axé ses premiers articles sur le côté people de l’affaire Bettencourt sans citer Eric Woerth. La directrice de rédaction du Monde, Sylvie Kauffmann, a écrit qu’elle n’aurait sûrement pas publié les bandes son commevous l’avez fait. Qui fait du journalisme, eux ou vous ?
 
Edwy Plenel
Toute l’équipe de Mediapart est composée de journalistes qui ont été dans cette presse traditionnelle. Certains plus jeunes, d’autres plus anciens, il y a des générations différentes de journalistes. Nous faisons donc notre métier de journaliste et nous réveillons la profession. Les règles sont les mêmes, mais à cause d’une crise économique, d’une crise commerciale, d’une crise des entreprises de presse, et surtout d’une crise d’indépendance de la presse, les journalistes ont oublié leur métier. Nous luttons donc contre cela sur Internet, nous leur redonnons du courage, mais nous découvrons dans le même temps sur Internet une dynamique qui nous donne à nous aussi du courage : c’est la relation avec le public. Nous sommes descendus de l’estrade avec ce nouveau type de journalisme qui est participatif. Il y a les commentaires, les liens hypertextes, les rectifications, le club de Mediapart où les lecteurs débattent. Le réel remplace tout d’un coup le virtuel, c’est de la démocratie. De la vraie démocratie, qui ne repose pas sur de la distance, qui ne sépare pas les professionnels et les amateurs, ni le peuple et les élites. Les lecteurs montrent une vraie implication et c’est ce qui nous donne une force, c’est ce qui nous donne une dynamique. Et donc il y a, à la fois la souplesse du numérique et cet enjeu démocratique qui redonne au journalisme sa légitimité initiale qui est démocratique. Il n’y a pas d’autre légitimité du métier de journaliste que le droit de savoir des citoyens, le droit à l’information et c’est ce que nous faisons avec Mediapart.
 
Acturevue
Et lorsque certains accusent le site Mediapart d’antisarkozysme, comment le prenez-vous ?
 
Edwy Plenel
Je le prends très bien car concernant les fondateurs de Mediapart, tout le monde sait ici-même, au Parti socialiste, que nous n’avons pas été en arrière de la main sur les abus de la présidence de François Mitterrand et beaucoup de socialistes savent que j’ai traité toutes les affaires de sa présidence. Cela ne m’a pas rendu cynique ou désabusé même si, en tant que citoyen, j’ai mes convictions par ailleurs. J’ai joué mon rôle de journaliste y compris quand cela bousculait mes propres amis ou ma propre sensibilité. Donc, il ne s’agit pas d’un antisarkozysme au sens où nous serions contre une personne. Nous pensons collectivement à Mediapart que notre démocratie est aujourd’hui abîmée, déséquilibrée, qu’elle manque de contrepouvoir et que la question du droit à l’information est au cœur de ces questions là. Nous avons publié un manifeste pour poser toutes ces questions. Et nous les poserons à l’opposition d’aujourd’hui si elle vient au pouvoir. Donc, nous sommes antiprésidentialistes, nous critiquons la confiscation de la république par une personne et nous sommes, par ailleurs, sur la base d’informations, ceux qui, depuis le début de cette présidence, montrent comment elle permet qu’il n’y ait plus de limite. Ce président là n’a pas le sens des limites. Ces institutions sont dangereuses mais lui, il va au-delà, encore une fois, de la dangerosité de ces institutions. Dans sa pratique des nominations, par exemple. Regardez ce qui est arrivé à l’audiovisuel public et qui fait du mal à tous les confrères des radios et télévisions publiques. Ces nominations par l’Elysée discréditent notre profession et représentent une régression démocratique. Donc, nous critiquons, non pas un homme, mais une vie publique française qui est asséchée, malmenée et corrompue par ce présidentialisme.
 
Acturevue
Vous avez pris le risque en 2008 d’être l’un des précurseurs d’un nouveau modèle de journalisme surInternet, est-ce que vous êtes toujours aussi sûr aujourd’hui que le modèlep ayant sur Internet est la solution pour faire vivre le journalisme ?
 
Edwy Plenel
Noussommes plus que jamais sûrs que ce que nous avons défendu qui est l’idée de la valeur de l’information représente l’avenir du journalisme sur Internet. Parce que l’information, pour qu’elle soit indépendante, sérieuse, approfondie, il faut que l’on ait les moyens de la fournir. Et ce n’est ni la publicité ni les logiques d’audience qui vont le permettre. Donc, nous, au fond, nous avons dit au public : il faut payer parce que notre métier a une valeur mais une valeur qui vous concerne. C’est le prix que vous êtes prêts à payer pour la démocratie. N’abandonnez pas la démocratie, sans vous en occuper, sans payer le prix de la démocratie. Nous avons dit : l’indépendance est utile, l’indépendance a un prix. Et l’augmentation, notamment avec l’affaire Bettencourt , des abonnés à Mediapart le prouve. Nous sommes à 40 000 abonnés ,il nous en faut encore 15 000 pour être à l’équilibre. Ce sera un événement mondial si un journal de référence peut se faire sur Internet en toute indépendance et devenir rentable, sans publicité, grâce à l’abonnement des citoyens. Ce sera une bonne nouvelle pour toute la profession et pas seulement pour la profession, mais surtout pour la démocratie qui la légitime.

Propos recueillis par David Perrotin et Cédric Merlaud

 
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