Servent et Merchet désinforment sur la Libye et l’Afghanistan

par yvesduc
vendredi 1er juillet 2011

À l’heure où Kadhafi est recherché par la Cour Pénale Internationale (1), nous nous demandons quelle peut bien être la mentalité des voyous qui attaquent en justice leur victime. Peut-être cette diversion a-t-elle un lien avec le fait qu’en matière de « politique étrangère », l’opinion publique reçoit une information qui marche sur la tête ? Un Téléphone sonne diffusé en avril dernier sur France Inter (2) illustrait parfaitement cette apesanteur informationnelle, et ô combien puisque ses plus fervents propagandistes étaient… deux journalistes.

 Cette émission, qui avait pour thème les engagements militaires français, parle d’elle-même :

Jean-Dominique Merchet (journaliste spécialisé dans la défense, directeur adjoint de Marianne) à 13’01” : « En Libye, nous [la France] y sommes dans le cadre du droit international. Moi, je suis très réservé sur cette intervention en Libye. Mais en même temps, force est de constater que nous y sommes parfaitement… en parfait accord avec le droit international. Il y a eu une résolution des Nations Unies. »

C’est faux ! (sauf pour la résolution) Nous avons vérifié auprès d’Elias Davidsson, militant pacifiste et expert en droit international, qui confirme que l’intervention en Libye est une parfaite violation du droit international, donc un crime au regard de ce même droit. Le droit international n’autorise en effet l’usage de la force que dans deux circonstances : soit pour « se défendre contre une attaque [que l’État] subit lui-même », et sous certaines conditions (nous y reviendrons) ; soit lorsqu’un État « “menace la paix” ». Elias Davidsson précise : « La seconde condition est celle qui est évoquée pour justifier l’agression contre la Libye. (…) Or depuis 1990, le conseil de sécurité utilise la “détermination” d’une menace contre la paix sans indiquer la base exacte sur laquelle cette détermination est faite. Il s’agit d’une perversion de la charte à laquelle tous les membres du conseil participent. (…) D’un point de vue du sens commun, il est clair qu’une rébellion à l’intérieur d’un État, comme en Libye, n’est pas une “menace pour la paix” mondiale, c’est-à-dire un objet de sollicitude du conseil de sécurité. Ce qui se passe en Libye est une affaire qui ne concerne que les habitants de ce pays. Demain, le conseil pourrait même déclarer qu’une grève générale dans un pays [est] une “menace pour la paix” et prendre part d’un côté ou de l’autre, selon les intérêts impérialistes. » (3)

Monsieur Merchet, lorsqu’un Sarkozy organise la chasse aux Roms, ça ne devient pas légal pour autant ! Sarkozy a dû modifier ses instructions ! Ce n’est pas parce que l’ONU viole le droit que c’est légal !

Une légère différence est toutefois que le conseil de sécurité lui-même n’est pas partie contractuelle des traités internationaux, de sorte qu’il ne « viole » pas le droit (vu qu’il ne s’est pas engagé à le respecter). Mais les États qui le composent, si ! Et les États sont tenus d’évaluer la légitimité des décisions du conseil avant de les appliquer. Il n’existe pas de « droit humanitaire » et Jean-Dominique Merchet le sait bien, comme nous allons le voir.

Pierre Servent, lui aussi journaliste spécialisé dans la défense, à 14’36” : « C’est vrai qu’il est toujours de bon ton de suspecter les dirigeants d’être uniquement obnubilés par des intérêts particuliers. Je crois que, réellement, il y avait dans les deux dossiers le souci d’essayer d’essayer d’éviter, en Côte d’Ivoire, d’arrêter les massacres ; que ce pays qui a un potentiel énorme revienne vers un chemin de paix. Et en Libye, qu’on évite le massacre de Bengazi. »

Puisque nos dirigeants ont de si bonnes intentions, pourquoi la famine existe-t-elle toujours ? Les budgets pour en venir à bout seraient pourtant bien moindres que les budgets militaires…

Servent à 14’57” : « Et puis, il y a l’intérêt. C’est-à-dire que l’auditeur qui nous pose légitimement cette question, ce qu’il faut qu’il comprenne, c’est que sa sécurité à lui, ici, en France, elle est aussi conditionnée par ce que nous pouvons faire au plus loin. Si vous prenez la Libye de Kadhafi, une Libye qui reste aux mains d’un Kadhafi qui a vécu ce qu’il aura vécu ces dernières semaines, qui a été un adepte du terrorisme international dans son passé, a une capacité de nuisance, de remettre ça, je dirais, en Europe, y compris contre nous, qui nous concerne. »

En d’autres termes, c’est l’Occident qui met en danger sa propre population en agressant Kadhafi ? En provoquant son courroux ?

Servent à 20’20” : « Dans nos sociétés apaisées, démocratiques, qui sont tout à fait remarquables, nous sommes très souvent fragiles sur un triptyque émotionnel, compassionnel et lacrymal. Et que, dans ces guerres, les manipulations psychologiques, la guerre de l’information, la guerre de l’image, parfois crée des chocs dans l’opinion publique, qui peuvent créer des ruptures. Donc il faut que nous soyons éveillés à ces dimensions (…) Dans ces conflits indirects, celui qui est le plus faible sur le plan militaire va utiliser l’action psychologique, la guerre de l’image, la guerre de la désinformation. L’ancien président Gbagbo était maître dans l’art de manipuler ce genre de chose (…) »

Pas le plus fort, bien sûr, qui ne saurait se présenter comme le gendarme alors qu’il est le voyou, en appliquant un « droit humanitaire » inexistant…

Merchet à 22’42”, au sujet de la Libye : « Les choses [ne] se passent pas aussi bien que ce qu’on aurait pu espérer. »

Pierre Weill, le journaliste qui anime l’émission : « Kadhafi est toujours là. »

Merchet : « Kadhafi est toujours là, oui. »

Et hop ! D’un soit-disant souci humanitaire, nous voici passés à l’éjection d’un dirigeant ! (Toujours dans le cadre du droit international, sans doute ?)

Servent à 27’05”, en réponse à la question : nous cache-t-on des choses ? « Honnêtement, je crois que l’avantage des démocraties, l’avantage des médias libres, d’internet, c’est que c’est quand même assez difficile de cacher quoi que ce soit. »

Pendant 40 minutes, Pierre Servent et Jean-Dominique Merchet cachent pourtant soigneusement l’illégalité des guerres en Libye et en Afghanistan (nous y reviendrons), et nos intérêts géostratégiques dans ces régions, dans une émission consacrée aux engagements militaires… Par conséquent, Pierre Servent et Jean-Dominique Merchet doivent être bien placés pour savoir comment, à l’ère « des médias libres [et] d’internet », on s’y prend pour cacher des choses au public !

Merchet à 28’39” : « En Afghanistan, on y est également dans le cadre du droit international. »

Faux ! Et dire que ces gens sont journalistes ! Cette guerre est parfaitement illégale, et même à plusieurs titres puisque, premièrement, les preuves de l’implication de Ben Laden dans les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas été produites ; deuxièmement, celles du soutien des Taliban à l’éventuel projet de Ben Laden n’ont pas été produites ; et troisièmement, même si les preuves précédentes avaient été produites, le droit international proscrit absolument une réponse militaire un mois après les faits, alors que les violences ont cessé. On lira à ce sujet l’article approfondi d’Elias Davidsson, indiqué en note (4). Donc à nouveau, nos journalistes « spécialisés » désinforment, dans leur domaine de compétence… (et aucun ne reprend Merchet)

Et nous arrivons au « droit humanitaire » :

Merchet à 29’16” : « Alors, le droit d’ingérence, vrai et vaste débat. Est-ce que nous avons un droit d’ingérence, ou un devoir d’ingérence ? Est-ce qu’il faut aller militairement s’impliquer dans tous les pays du monde où les choses ne se passent pas comme on espérerait qu’elles se passent ? Moi, je suis très réservé par rapport à cette notion. Mais effectivement, c’est le vrai débat. C’est le vrai débat de fond que les citoyens français doivent avoir. »

Nous avons raté une étape : pourquoi faudrait-il faire évoluer le droit s’il permet déjà, semble-t-il, l’ingérence ?

Cher monsieur Merchet, le droit humanitaire est une tartuferie, un leurre destiné à maintenir le public dans l’attente de réformes qui en réalité, accroîtront encore la domination des pays riches. Car le droit humanitaire suppose une intention humanitaire et celle-ci n’existe pas ! Décrivant la politique internationale, Thierry Meyssan résume les choses ainsi : « Chaque État agit exclusivement en fonction de ses propres intérêts, ou parfois malheureusement en fonction des intérêts personnels de ceux qui le gouvernent. (…) Tous appliquent une règle du jeu dans laquelle les notions d’égoïsme et d’altruisme n’ont ni place, ni sens. Aucun n’est philanthrope. » (5) S’il existait une « intention humanitaire » des pays riches, la famine et de nombreuses maladies auraient disparu depuis longtemps. En Libye comme en Irak, l’Occident défend avant tout ses intérêts et « libère » en premier lieu les zones pétrolières !

L’intérêt du mensonge

En matière de droit international, l’Occident ressemble à un chauffard qui, se sachant intouchable, aurait oublié jusqu’à l’existence des limitations de vitesse et traverserait les petits villages à 200 km/h… Comme d’habitude en matière de guerre, chaque partie se réclame du bon droit, y compris lorsque le mensonge est énorme. Il y a, évidemment, un avantage compétitif au mensonge, puisque celui-ci offre à la population se trouvant du bon côté du canon à la fois le butin de la guerre, et la bonne conscience. Ce que n’offrirait pas le dirigeant qui déclarerait cyniquement qu’on part en guerre pour les intérêts des multinationales…

L’Occident a essayé de nombreuses fois d’assassiner Kadhafi par le passé (6). Il a le droit de rentrer penaud une fois de plus !

 

YD

 

(1) “La Cour pénale internationale lance un mandat d’arrêt contre Kadhafi”, la Tribune de Genève et AFP, 27/06/2011, http://www.tdg.ch/cour-penale-inter...

(2) Le Téléphone sonne, présenté par Pierre Weill, France Inter, 13/04/2011, http://sites.radiofrance.fr/franceinter/em/letelephonesonne/

(3) Échange de courriels avec l’auteur.

(4) “Afghanistan : la France participe-t-elle à une guerre illégale ?”, par Elias Davidsson, 09/2008, http://www.iceberg911.net/davidsson-2.html

(5)“L’effroyable imposture 2”, par Thierry Meyssan, pages 8 et 9.

(6) Le MI6, par exemple, s’y essaya : “Shayler offers new Gaddafi plot evidence”, BBC News, 27/03/2000, http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/691848.stm ; voir aussi “Rendez-vous avec X, Reagan contre Kadhafi”, par Patrick Pesnot, France Inter, http://www.audible.de/adde/store/product...


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