Sondages, non merci !

par KOUINO
lundi 26 février 2007

Les sondages, lorsque leur matraquage devient par trop intensif, n’éclairent plus rien, ils manipulent. Le pouvoir des médias ne cesse de grandir. Il y a danger. Les sondages ne peuvent pas et ne doivent devenir les outils de régulation de la vie démocratique.

De quand date le dernier débat télévisé où deux hommes politiques se sont trouvés face à face pour confronter directement leurs idées ? Autant qu’il m’en souvienne, hormis les débats organisés dernièrement par le PS pour leur primaire, il n’y en a pas eu depuis la campagne pour la présidentielle de 1995. Ce sont aujourd’hui les grands médias qui maîtrisent l’essentiel du processus de la communication politique. Cela n’est bien évidemment pas neutre. Entre la forme (la communication), et le fond (l’idéologie), qui peut dire où se situent les frontières ? Qui est l’arbitre du débat ? Lors du référendum sur la Constitution européenne, les tenants du "Non", malgré qu’ils aient atteint leur but, ont considéré qu’on ne leur avait pas donné la parole. Les partisans du "Oui" ont pensé l’inverse. Les deux ont, à la fois, raison et tort. Les médias ont été successivement des partisans agressifs du "Non", puis des donneurs de leçons sentencieux pour mettre en valeur les thèses des "Oui-istes". Plus précisément, ils ont, pendant près de quatre mois, associé systématiquement l’adjectif qualificatif de négation "turc" au mot "Constitution" (honte à eux), puis au cours des deux derniers mois, face à la montée en puissance du "Non", ils ont tenté de rétablir l’équilibre en faveur du "Oui" en expliquant aux Français qu’il n’y avait qu’une seule manière de penser l’Europe : lire et apprendre par cœur la globalité du texte de la Constitution européenne (une façon de culpabiliser les nonistes). Certes le ridicule ne tue pas, mais il fait beaucoup de dégâts... je dirais même... beaucoup, beaucoup, beaucoup de dégâts. Ce que je souhaite dire, à travers cette mise en perspective... à peine caricaturale (si peu, si peu), c’est la prétention des médias à occuper un terrain pour lequel ils n’ont pas de légitimité.

Un sondage a pour vocation théorique de classifier des opinions. A priori, rien d’extraordinaire à cela. Le problème est que lorsqu’on vous demande pour la 54 000e fois, qui, de Monsieur X ou de Madame Y, a le plus l’étoffe pour être un bon président de la République, on vous suggère l’idée que l’un l’a (l’étoffe) et que l’autre ne l’a pas. Cela s’appelle influencer l’opinion. Conclusion, aux temps modernes, pour avoir raison, il suffit d’être riche et de s’offrir beaucoup de petits sondages. Citoyen en colère, je crois possible et nécessaire d’allumer des contre-feux face à ce qui n’est rien d’autre qu’un dévoiement de l’espace public. Les sondages ne peuvent pas et ne doivent pas être les outils de régulation de la vie démocratique.

La démocratie c’est lorsqu’une majorité de 50,01% impose ses choix aux 49,99% autres. Cela ne doit pas pour autant enlever le pouvoir de dire et de penser à ces autres, ou alors on est en dictature. La "médiacratie", c’est une société dans laquelle, lorsqu’un sondage dit que 50,01% des sondés pensent à un instant donné que Mr. X a raison, les détenteurs du pouvoir disent et redisent jusqu’à la nausée que Mr. X a raison et interdisent dès lors à toute autre forme de pensée de s’exprimer. C’est une autre forme de dictature.

Ce qui décrit le mieux les médias est le modèle économique dans lequel ils s’inscrivent. Ils nous vendent un discours convenu sur leur indépendance, mais ce qui les caractérise est au contraire leur interdépendance. Les maîtres mots de leur réalité politique autant qu’économique sont : concurrence et concentration. L’objectif d’une entreprise de communication est certes de produire de l’information, mais cette information n’a de sens que si elle s’adresse au plus grand nombre, que si cela est fait à travers un langage commun à tous et que si le média qui la véhicule est positionné du plus possible au plus près du pouvoir. La "pensée unique", c’est "eux". Un peu plus chaque jour, de TF1 à M6, de Moscou à New York et même jusqu’à Kinshasa, les informations distillées aux téléspectateurs répondent au même cahier des charges, à la même idéologie, et presque jusqu’aux mêmes contenus. La "World Company Médias § Co" étend son emprise. Big Brother, le vrai, c’est elle.

Nos organisations politiques s’inscrivent dans des territoires. La "World Company Médias § Co", elle, n’a pas de frontières et c’est ce qui fait sa force. En ces temps de mondialisation économique, se sont produits deux phénomènes antagonistes absolument essentiels qui disent ce que sont les vrais enjeux du monde contemporain : le repli sur soi identitaire des peuples et des structures politiques, d’une part, et l’explosion planétaire des outils de communication, d’autre part. Les uns expriment les rigidités du monde et la difficile adaptation aux évolutions, les autres, la fluidité du monde de demain. Les médias sont effectivement des acteurs majeurs du monde en gestation et c’est un bien. Pour autant, ils ne sont qu’un outil et c’est à nous de les faire à notre main et non l’inverse.

S’interroger sur la place des médias au sein de la société politique ne se limite pas à poser la problématique de l’égalité de chacun face à la parole publique. Le mot " responsabilité " y est tout aussi essentiel. L’affaire d’Outreau en est l’illustration parfaite. Les médias ont une lourde part de responsabilité dans cette affaire. Ils sont dorénavant au centre de la vie publique et leurs actes pèsent sur tous les aspects de la vie en société. Il nous faut en tenir compte. Non, les entreprises de communication ne sont pas des entreprises comme les autres et la liberté ou la transparence ne sont pas les seules vertus cardinales qui permettent à des sociétés de fonctionner. La finalité de l’ordre social et politique dans lequel nous vivons est de réussir à faire cohabiter les trois volets de la devise qui orne le fronton de nos mairies : "Liberté, égalité, fraternité". Cela n’a rien d’anodin. La principale caractéristique de l’ordre mis en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale résidait dans une séparation efficace des pouvoirs politiques, économiques et judiciaires. Les institutions politiques ne naissent pas de la cuisse de Jupiter. Elles sont un héritage, un très très lourd héritage, fruit de l’histoire des hommes, de leurs rêves, de leurs guerres, et de leurs compromis. Force est de constater que nous sommes en train de détruire cet héritage parce que nous laissons la logique marchande submerger l’ensemble de l’espace public. Il est temps de chasser les marchands du temple et de fixer des limites au 4e pouvoir.

Le débat public sur le rôle et la place des médias dans la société politique contemporaine ne fait que commencer. Comme toujours en politique, la première des choses à faire est de ruer dans les brancards, seule manière de réussir à se faire entendre. La période électorale actuelle est une opportunité pour cela. Boycottons les sondages politiques et faisons-le savoir très fort. Pour ce faire, je vous propose de participer à un sondage-pétition :

" Êtes-vous pour ou contre la dictature des sondages ? ". J’en conviens, la formulation de la question est très suggestive. J’ai une excuse : je n’ai pas d’amis suffisamment bien placés pour vous faire entendre 54 000 fois par jour mon opinion ! Mais nous sommes nombreux à penser cela. Nous pouvons le "leur" faire entendre.


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