Télévision régionale : La Corse entre le satellite et l’Internet

par Severa Maïusta
lundi 3 juillet 2006

Enjeux politique pour les uns, cadeau empoisonné pour les autres, la chaîne Via Stella va naître à l’aube de la mutation des usages du Web de deuxième génération. Contradictions ou challenge ?

Enfin signée, après deux ans d’incertitudes et un avis favorable de Bruxelles, la Convention pour le projet de télévision numérique Via Stella lie depuis le 28 avril 2006 l’Etat, la collectivité territoriale de Corse et le groupe France Télévision. L’engagement est d’importance. Il porte les signatures de Nicolas
Sarkozy, ministre de l’Intérieur, et du grand patron de l’audiovisuel public, Patrick de Carolis. Pour le président de l’Assemblée de Corse, Camille de Rocca Serra (UMP), la "re-naissance" du projet de chaîne satellitaire représente de sérieux engagements : la collectivité territoriale le finance à hauteur de 2 millions d’euros au titre d’une subvention d’exploitation et 900 000€ doivent être versés au titre des investissements. Nouvelle, mais légèrement en retard à l’heure de la télévision interactive, des vidéos à la demande et de la révolution par les outils du Broadcast Yourself, la première des treize déclinaisons régionales de France 3, qui devrait donc émettre d’Ajaccio via les étoiles début 2007, repose sur le contribuable.

Cohérence jalouse en Bretagne


La chaîne future de "Feure3" que ses détracteurs appellent déjà la "chaîne Sarko" ou "UMP Sat" suscite à la fois grimaces, inquiétudes, jalousies et envies. Du côté de la presse quotidienne régionale, la signature de cette convention tripartite a d’abord entraîné une grosse colère du groupe Nice-Matin. L’éditeur de Corse-Matin, propriété du groupe Hachette, repassé au groupe Le Monde par Lagardère, a investi dans une imprimerie ultra moderne en Haute-Corse sans aucune aide publique. Publication désormais au format berlinois : les actionnaires du quotidien de la Corse ont mal digéré l’opération ! Ailleurs, en Bretagne par exemple, où les appétits de Ouest France et TF1 ne sont pas moindres, l’aventure corse donne des ailes aux racines : le 13 juin dernier, dans une lettre adressée à Nicolas Sarkozy, un collectif de France 3 Iroise félicite le ministre de l’Aménagement du territoire en lui suggérant que son discours corse soit traduit en breton.
Pourquoi la Bretagne n’aurait-elle pas droit à la même place que la Corse au sein du paysage audiovisuel français, pourquoi France Télévisions et les pouvoirs publics refuseraient-ils à la Bretagne ce qu’ils offrent à la Corse : une télévision régionale numérique de plein exercice, diffusant des programmes sur la totalité de la journée à destination d’un public élargi ?
En clair : ce qui vaut pour la Corse, vaut pour la Bretagne, pour l’Alsace et pour chacune des régions. Le message du Collectif pour le développement d’un audiovisuel public régional a le mérite du bon sens. Sa cohérence prend simplement au piège les décideurs politiques de la République et les directeurs financiers du service public. A quelques mois de l’échéance présidentielle et en période de total redéploiement budgétaire, les contradictions sont douloureuses !

Loin des promesses

En Corse, pour les moins de 600 signataires de la pétition du site Corsica Movies engagée en août 2005 pour "u lanciu di Via Stella", l’objectif est atteint. Mais la victoire en chantant, pour être polyphonique, n’en est pas moins tardive. Culturels ou politiques, les militants de la cause satellitaire restent aussi réservés que les professionnels : on est loin, très loin, des effets d’annonces et des promesses des premiers jours, des 15 heures de programme annoncées pour chaque jour, des 5600 heures annuelles et des 300 emplois induits. La convention tripartite paraphée en avril dernier concerne les objectifs et les moyens du projet porté par France 3 Corse. Avant de pouvoir s’endormir devant la télé dédiée à l’Ile de Beauté, les téléspectateurs de la planète ont encore un peu de temps pour faire leur zapping. Le projet Via Stella ne démarrera qu’a minima. La montée en puissance sera longue. Les lots de consolation ne sont pas négligeables : 14 emplois directs, des co-productions engagées qui donnent un peu d’oxygène à la fragile filière audiovisuelle nord méditerranéenne et quelques mises en boîtes d’émissions musicales enregistrées dans les décors intérieurs et privés de la société Corsica Film Studio installée en Haute-Corse. Ces "mieux que rien" en jettent dans les clips et les bandes annonces, mais ils font maigres au regard des discours officiels : Via Stella va contribuer à la promotion économique sociale et culturelle de la Corse dans le monde entier. Cette nouvelle chaîne -ajoute aussitôt Camille de Rocca Serra- sera enfin le complément naturel du réseau technologique de communication que nous réalisons et qui permettra à la Corse d’être, très bientôt, la seule région où sur l’ensemble du territoire on aura accès au Haut débit.

Les challenges du Web de deuxième génération

Sous les formules, les réalités : à l’heure du Web 2.0, les premiers balbutiements de Via Stella ne téléporteront par satellite que les actuelles productions de France 3 Corse. Pour l’instant, l’unique dimension planétaire de la télé corse se limite au portail Internet qu’elle a su développer dès 1999 en suivant de très près les pionniers de France 3 Bretagne. L’île de Corse qui, le 22 juin dernier, vient à peine de clore ses premières Assises pour une société de l’information, est un chantier où l’on s’efforce de rattraper Al Gore sur des autoroutes numériques qui ne seront pas ouvertes avant la septième ou la huitième année du XXIe siécle ! A partir de 2007, les usages nouveaux, que permet à présent la deuxième génération du Web, placent le challenge de France 3, en Corse comme ailleurs, au niveau de la télévision interactive. En clair, ce n’est pas de paraboles que Via Stella a besoin, mais d’ordinateurs, de serveurs et d’internautes. En Corse, terre de réseaux s’il en
est, où l’on préfére souvent les palabres politiques et les non-dits aux évidences clairement exprimées, le message a du mal à passer. Seuls quelques professionnels suggèrent que Via Stella sera interactive ou ne sera pas ! A Ajaccio comme à Paris, à l’UMP comme à France 3, on préfère ne pas entendre et se perdre en pronostics sur la nomination des futurs responsables territoriaux de France 3 Corse dont la direction est vacante depuis de longs mois avec une rédaction en chef intérimaire... La visite possible de Patrick de Carolis le 5 juillet à Ajaccio, à l’occasion du pot de départ d’un des deux directeurs de France 3 Corse, annonce-t-elle des choix à la hauteur du challenge ? Pour France 3 comme pour l’ensemble des sociétés du groupe France Télévision, le défi des nouvelles technologies est au coeur de la stratégie. Pour 2006, Patrick de Carolis attend une augmentation considérable de l’audience des différents sites du groupe. Il a fixé une barre ambitieuse : 40% de visites en plus sur les sites de France Télévision. Internet est stratégique. C’est encore plus vrai pour les îles qui affrontent les étoiles.


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