TF1 veut imposer ses choix aux chaînes publiques

par Voris : compte fermé
jeudi 27 novembre 2008

Derrière les intentions officielles de l’UMP se cache la main de TF1 qui entend bien réformer le service public à sa guise. Le fait d’avoir récupéré le gâteau de la publicité ne satisfait pas la chaîne de Bouygues. Dans un premier temps, TF1 s’est contentée de réclamer le déplacement de "Plus belle la vie" et d’une émission de Canal+ qui, dit-elle, portent préjudice à son journal de 20 heures. Mais depuis, une étape nouvelle a été franchie : TF1 passe par les députés pour imposer ses vues.

Deux députés de l’UMP proposent de supprimer le journal national de France 3. On se souvient que le candidat Sarkozy, s’estimant maltraité sur cette chaîne, avait menacé de changer "tout ça" très vite dès qu’il serait élu, et on le pense donc à l’origine de cette initiative. Et si ce n’était plutôt TF1qui venait par la voie parlementaire poser des exigences toujours plus grandes ? Les chaînes privées ont déjà obtenu avec une facilité déconcertante de ne payer qu’une partie de la taxe prévue à l’origine. Les débats parlementaires ont bien failli même aboutir à leur totale exonération puisque la taxe devait être subordonnée à la réalisation d’un certain niveau de bénéfices, ce qui excluait le paiement la première année et, à n’en pas douter, les années suivantes aussi. La satisfaction de TF1 n’est donc pas complète et elle continue de faire du lobbying pour obtenir davantage.

Ainsi le député UMP Jacques Myard, a-t-il déclaré dans les couloirs de l’Assemblée nationale : "Il y a un journal télévisé de trop. Il faut en supprimer un. France 3 devrait garder le régional". Le député UMP des Alpes-Maritimes Lionnel Luca a ajouté sans ambiguité : "France 3 national, on s’en fout. Le journal télévisé, juste avant celui de France 2, ça fait doublon. Il vaut mieux mettre le paquet sur le régional". A première vue, la raison est d’améliorer l’audience du journal de France 2. Or, comme chacun le sait , ce journal se porte de mieux en mieux et n’a nul besoin d’un coup de pouce. On ne peut en dire autant du JT de TF1. La raison cachée de ces déclarations semble donc un lobbying puissant de la chaîne d’exploitation du cerveau disponible.

Dans ces conditions, on peut comprendre les mouvements de grève et de manifestation des salariés de France Télévisions menacés par des licenciements.


En tout cas, le lobbying de TF1, ça marche ! La chaîne a réussi à trouver une poignée de députés UMP (Yannick Paternotte, Philippe Boënnec, Jean-Philippe Maurer, Philippe Morenvillier, Bertrand Pancher) pour déposer un amendement dictant à France Télévisions sa programmation du prime time. L’amendement dit ceci : "Les créneaux libérés par les messages publicitaires sur les chaînes publiques seront dédiés à la diffusion de spots ayant pour thèmes : l’éducation sanitaire et sociale, le développement durable, l’instruction civique et citoyenne et l’Union européenne." En d’autres termes, il est impératif que les programmes de France 2 soient le moins possible divertissants, qu’ils soient même rebutants, afin que cela ne fasse pas d’ombre à l’audience de TF1. Les thèmes imposés (social, Europe, instruction civique) ne captent pas l’intérêt des foules et cela TF1 le sait bien.

L’exposé des motifs du projet d’amendement se fait précis et comminatoire : ces spots doivent être diffusés à des "heures de forte audience (tel que le créneau précédent le programme de première partie de soirée – entre 20h30 et 21 h)". Autrement dit, là aussi pour traduire sans langue de bois, il faut que le créneau de forte audience profite prioritairement à TF1.

La réforme de l’audiovisuel public "mériterait une motion de censure", a estimé François Bayrou, passé maître dans l’art de débusquer les manoeuvres sournoises des puissances d’argent en direction des médias. "On revient plus de 30 ans en arrière. C’est un manquement si grave que l’Assemblée nationale devrait déposer une motion de censure", a-t-il déclaré. Il a appelé les députés à déposer une motion qu’il soutiendra. Mais l’opposition socialiste n’est-elle pas occupée à régler des querelles autrement plus urgentes ? Et à propos d’urgence, comment interpréter la volonté du président Sarkozy de faire voter en grande priorité une réforme de la télé alors que le monde est en crise et que la France souffre d’une grave...(non) récession ? S’il n’y a pas récession, au moins y a-t-il régression et Bayrou qualifie le projet de "régression qui doit être insupportable à tous ceux qui veulent que la France soit une démocratie respectueuse des principes permettant au peuple d’être librement informé, et donc plus responsable".

Le texte est tellement réactionnaire qu’il revient sur un acquis remontant à Mitterrand, et même au-delà : à Giscard ! Puisque ce dernier avait rompu avec le système ORTF. Mais Sarkozy veut restaurer la nomination et la révocation des présidents de l’audiovisuel public par l’Exécutif (= Lui !).

Alors, puisque cela nous fait remonter le temps, souvenez-vous de ces mots d’un générique de vieille série télévisée :

"Ce n’est pas une défaillance de votre téléviseur ! N’essayez pas de régler l’image ! Nous contrôlerons tout ce que vous allez voir et entendre."


(Illustration : détournement du logo de SOS Racisme "touche pas à mon pote")


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