Too big to fail, la série à la gloire de Wall Street et de Henry Paulson

par Le taulier
jeudi 13 décembre 2012

Vous allez me dire : Encore un film sur la crise financière de 2008 ! Sauf que Too big to fail vaut vraiment le détour tant il est « remarquable » aussi bien sur le fond que sur la forme. L’histoire est simple ; le naufrage de la banque d’affaire Lehman Brothers et sa tentative de sauvetage.

Je n’ai pas fait d’école de cinéma mais je crois savoir qu’un film réussi c’est d’abord un scénario avec un bon suspens. La difficulté avec les films historiques ou qui relatent des événements récents, qu’on a tous plus ou moins en mémoire, est qu’on connait la fin avant même d’avoir vu le début, à moins de faire de l’uchronie. Mais qu’importe, Curtis Hanson, le réalisateur qui bénéficie du financement de la puissante chaine câblée HBO, va s’appuyer sur une brochette d’acteurs aussi bons que ressemblants physiquement aux personnages qui interprètent (au prix de quelques tonsures ou à l’aide de peroxyde d’hydrogène s’il le faut pour aider dame nature). Et pour faire encore plus vrai, les noms des banquiers et des membres du gouvernement ne sont même pas modifiés, toute ressemblance avec des évènements actuels ou récentsn’a rien de fortuit.

Le film ne connait pas de longueur grâce à la pléthore d’acteurs et les nombreuses scènes filmées qui s’enchainent de manière judicieuse. Tous les grands banquiers américians, quelques financiers et des hommes politiques de premier plan sont représentés ; de Ben Bernamke, le patron de la FED à Llyod Blankfein, le CEO de Goldman Sachs (GS), en passant par « l’homme le plus riche au monde », Warren Buffet. Même « notre » Christine Lagarde et son collier de perle de culture ont droit à une scène de 10 secondes. Celui qui n’a pas le privilège d’être représenté, c’est qu’il compte pour du beurre (comme le président W). Le revers de la médaille est que les personnages manquent de profondeurs ; il est vrai que caser deux personnages principaux et une quinzaine de personnages secondaires en 98 minutes est mission impossible et puis de toutes les manières le réalisateur se focalise sur les faits, enfin plutôt la manière qu’il les perçoit ou qu’on lui a demandé de les percevoir. C’est là que la bât blesse.

Cirage de pompe : formule grand luxe avec brossage et huile imperméabilisante

Quand on connait un peu la finance ou qu’on a suivi d’assez près la crise financière que nous trainons encore aujourd’hui, on ne peut, pendant tout le long du film, qu’avoir le sentiment de se faire bourrer le crâne avec un film de propagande commandé par l‘American Bankers Association ou mieux Henry Paulson, le Secrétaire américain au Trésor, himself.

Première surprise, le film ne pose pas la question de l’origine de la crise bancaire, il fait juste un constat, la crise est tombée sur le système financier en général et sur la banque Lehman Brothers, en particulier, comme une merde d’oiseaux vient s’écraser sur la belle veste que vous venez d’acheter. Vous pestez mais vous n’aller chercher le pigeon coupable de cet affront. Cet angle d’attaque osé permet à tous les banquiers représentés dans le film de passer pour des pompiers patriotes qui cherchent une solution à un problème qui va jeter dans la misère des millions d’Américains et pas à des pyromanes égoïstes et âpres au gain comme les médias les présentent souvent. Par la même cela évite au réalisateurs et à la chaine de télé de se faire des ennemis puissants et rancuniers et des procès en diffamation couteux.

Henry Paulson, humain…trop humain ?

Henry Paulson, le personnage principal joué par William Hurt, est l’objet d’un traitement particulier ; il est humanisé, présenté comme intègre et toujours soucieux de l’intérêt général et surtout rendu proche du peuple, enfin au moins de la classe moyenne américaine (ceux qui ont les moyens de s’abonner à HBO).

Tous les signes extérieurs de richesse, selon la formule consacrée, sont bannis du film, dés lors que Henry est présent. Les déjeuner-meettings avec le patron de la FED sont certes pris dans le cadre agréable d’une salle de son ministère mais on est plus proche du presbytère d’un temple protestant que des ors des salons de la République française. Pas de vin à 200 dollars sur la table mais une simple carafe remplie de jus d’orange (sûrement de Floride). On ne le voit jamais dans un véhicule, à croire que Monsieur est un adepte de la marche à pied même quand s’agit de faire un aller-retour Washington D.C. – New York.

Mais c’est dans les scènes de la vie privée qu’on atteint des sommets. La maison est bourgeoise, rien à voir avec ce qu’on peut imaginer pour un homme devenu multimillionnaire chez Goldman. Pas de piscine, ni de personnel de maison (mais où sont donc passés la cuisinière afro-américaine et le jardinier mexicain attachés au service de tout bobo californien, cela ressemble diablement à la mise en scène de DSK et Anne à Washington se faisant cuir un steak avant la relation inappropriée) ni même de chauffeur ou de gardes du corps. Qui donc pourrait vouloir du mal à un homme si bon et aimé ? Madame Paulson n’est pas particulièrement belle, pas moche non plus, elle ressemble à nos épouse ou nos mères en somme. Mais surtout, elle a le bon goût de n’arborer ni robe de couturier ni diamant ; sûrement un problème d’allergie.

Même en s’appelant Majax, impossible de cacher aux téléspectateurs que le Secrétaire au Trésor est un ancien de Goldman Sachs. Alors on atténue, on gomme, on relative. On voit Henry Paulson traiter tous les banquiers qu’il rencontre de la même manière et GS ne bénéficie ni de passe-droit ni même d’un accès privilégié au ministère des finances alors qu’on sait très bien que beaucoup d’anciens de la compagnie y travaillent. Il n’invite jamais ses anciens potes de bureau à casser la croute avec la carte bleue de la société comme moi je le fais. Un mec droit comme un i ce Henry.

Mais le tour de force consiste à ne pas dire que Lehman Brothers est le principal concurrent de son ancien employeur et que la chute de celui-ci l’arrangerait beaucoup, d’après de nombreux observateurs.

Notre héros chauve a tellement à cœur de réussir sa mission qu’il en devient malade. Heureusement, un de ses collaborateurs (un ancien de Goldman encore, mais c’est un détail) lui propose un médoc pour qu’il tienne le coup. Le médoc finit au chiotte ; Henry est un bon Christian Scientist et même dans les moments les plus difficiles, il ne doit pas céder à la tentation du diable. Faut toujours une référence à la bible dans un film U.S.

Même le pire enfant de salaud a droit à un avocat

Si on devait reconnaitre une qualité à ce film ce serait de présenter le point de vu du gouvernement Bush jr. sur la manière dont il a géré la crise bancaire. Lehman Brothers a été lâché pour deux raisons : il faillait qu’un coupable paie pour ses fautes (le fameux aléa moral) mais surtout parce que cette banque ne disposait plus d’actifs à proposer en garanties en échange d’une intervention financière du gouvernement fédéral. Paradoxalement, les seuls « méchants » du film sont les Britanniques, avec qui pourtant les Américains entretiennent une « relation très spéciale » selon l’expression prêtée à Churchill. On leur reproche d’avoir roulé dans la farine Washington en leur faisant croire que la Barclays voulait reprendre Lehmman.

Si on fait le bilan des films et des reportages (Debtocracy ou Margin call) qui sont sorties sur ce sujet, force est de constater que la quasi totalité sont à charge contre les banquiers et les gouvernements Clinton et surtout Bush Junior. Le mérite de ce film, bien construit d’un point de vu cinématographique, est donc d’apporter la contradiction car tout le monde a droit à un avocat même celui que la foule veut lyncher.


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