TV perso de Free, la télévision vous regarde
par Fred William Dewitt
mardi 3 juillet 2007
Première semaine pour la nouvelle innovation du fournisseur d’accès à internet Free : TV Perso. Le principe est simple, c’est une sorte de service de vidéo en ligne (comme les célèbres Daily-motion, You tube, etc.) mais cette fois-ci directement (et pour l’instant uniquement) accessible via la télévision. Il suffit d’aller sur la chaîne 13, et un portail vous propose les vidéos des utilisateurs, ainsi que la possibilité de diffuser votre contenu. Mais le vrai plus produit du service, c’est le fait de pouvoir diffuser le contenu en live, et donc créer un canal TV personnel. Première soirée télévision chez les freenautes, ce dimanche premier juin, un petit goût de ré-évolution.
Ce n’est pas une révolution à proprement dit, mais une ré-évolution. Changement de support pour une recette qui fonctionne déjà bien sur internet (celle du partage de vidéo). La question ne va pas se poser sur la qualité technique du service, elle est globalement très bonne, mais plutôt sur son utilisation concrète.
Alors peut-on regarder la TV perso ? En fait, il y a deux types de diffuseur à ce jour : les "Streaming-users" et les "Live-users".
Les streaming-users diffusent un enregistrement via un canal live. Par exemple, ce dimanche 1er Juin, un utilisateur a diffusé des épisodes de la série Les Simpson. L’utilisateur Free regarde une chaîne qui passe une série en continu. L’avantage comparé au "dépôt vidéo" - c’est-à-dire à l’option de partage de vidéo - c’est qu’il n’y pas de risque que la vidéo soit supprimée pour des questions de droits, puisque c’est un flux live.
Dans la soirée, un autre propose une chaîne qui passe des clips des années 80, un autre des documentaires, des vidéos stars du net, sans compter les chaînes "Adultes". Encore plus ingénieux, une freenaute faisait un court-circuit d’une chaîne payante, en pointant son boîter vidéo free sur le canal payant (qu’il a lui-même acquis préalablement), faisant profiter les non-abonnés du contenu.
Dans une interview récente du site PCinpact, les responsables de Free ont appelé à la vigilance des utilisateurs sur le respect des droits d’auteurs (notamment avec un système d’alerte comme on trouve sur Daily-motion).
Live-users : interaction superstar
Dans la soirée du 1er Juin, j’ai pu compter trois TV perso. En réalité, il y en a eu beaucoup plus, mais les autres n’excédait généralement pas 10 à 20 minutes de diffusion. Le Live-user est un abonné Free dont la source audiovisuelle est une caméra, et qui propose un "show". Dans les principaux de la soirée : deux jeunes hommes affichant le thème du jeu vidéo, un autre qui ne fait que pointer la camera vers lui, et enfin trois jeunes personnes (une fille et deux garçons) qui eux affichent une ambiance soirée festive.
Ces canaux n’ont pas grand-chose de plus à offrir en termes de contenu que la seule présence de leurs animateurs. Alors ces derniers misent sur l’interaction. Les premiers discutent avec des connectés sur un chat mis en place pour l’occasion, le second en fait de même et joue sur un caractère ironique et méprisant ("cassez vous ! je veux aller me coucher"), et enfin le derniers groupe demandent aux internautes de leurs lancer des défis. Chaque groupe ayant les yeux rivés sur l’audimat, qui donne un nombre exact du nombre de personnes qui est connecté à l’instant.
Tout est bon pour se différencier : petite pancarte pour signaler le site des animateurs, utilisation de la voix par IP (skype, etc.) pour accueillir les spectateurs, interactions continues pour prouver que c’est bien du direct, etc. Le contenu de la soirée se résume à l’émulsion intellectuelle des protagonistes pour cette nouvelle fonction. Détail amusant, au cours de la soirée, les deux premiers diffuseurs se sont disputés, majoritairement sur le nombre de spectateurs, le plus diplomatiquement possible, avec chacun leurs groupes d’internautes fan derrière eux. Au final, les deux diffuseurs se regardaient entre eux : la boucle est bouclée. Les utilisateurs regardent les autres, se voient et se montrent regardant les autres.
La limite est là. Concrètement, on passe la soirée avec quelqu’un, un Live-user. Une sorte de "viens me voir, j’habite chez toi". Une limite qui s’exprime rapidement chez beaucoup d’utilisateurs dans de grands moments de solitude, de vide, attendant qu’un utilisateurs web finisse par créer une catalyse intéressante en termes de contenu par une quelconque interaction.
Spectateur du vide
Chacun sa chaîne ? Pour l’instant, c’est chacun sa fenêtre sur soi. Les freenautes font l’exhibition de leurs propre personne en simulant l’aspect d’une programmation contrôlée. Ce n’est d’ailleurs qu’une question de temps pour voir apparaître les vrais exhibitionnistes sur la chaîne "Adulte". Comme une télé-conférence à sens unique, les animateurs amateurs se concentrent sur la création de l’événement, dont le moteur est la nouveauté et le challenge le nombre de spectateur.
Le spectateur dans cette configuration est en plein dans le phénomène du wilfing. C’est le comportement de l’internaute assidu, qui lorsqu’il n’a plus de nouveauté informationnelle, zappe de canal en canal, comme un drogué en manque d’information, pour glaner ici et là un minima d’information. Ici, c’est pareil mais de manière audiovisuelle : comme pour les abonnés des chaînes de télé-réalité, le spectateur scrute en permanence, comme vigile de l’événement, le moindre sursaut médiatique. Il scrute le futur "culte", le futur "événement", syndrome du "j’y étais".
Comme à des Sims, on finit par s’attacher à ces animateurs d’un soir, à ces voisins éloignés, ces camarades d’internet. Internet a créé un court-circuit de la solitude physique, Free vient d’inventer la fin de la solitude télévisuelle : ces moments où les programmes du soir se fatiguaient dans leurs propres images ternes.
Ré-évolution
La TV perso de chez Free montre dans sa seule configuration initiale (c’est-à-dire sans compter les futurs extensions que le FAI pourrait y apporter) une multitude de possibilités formidables.
C’est pour l’instant les "Streaming-users" ou encore le partage vidéo qui apporte un réel intérêt du contenu pour l’utilisateur, mais il est probable qu’après le passage d’une masse d’animateurs éphémères, apparaîtrons quelques diffuseurs qui comprennent et utilisent à bien le potentiel d’une telle fonctionnalité.
Nous verrons peut-être bientôt apparaître les pionniers d’une nouvelle forme de télévision, héritière d’une radio libre qui de nos jours n’est plus qu’une prostituée des annonceurs. En tout cas, on peut avoir un peu d’espoir sur de futurs élus, maîtrisant leurs sujets et un minimum leurs techniques, gardant à l’esprit qu’il ne sont pas là pour renvoyer leurs propres images, et qui feront le succès de cette forme de broadcast qui est, à ce jour, quasi libre.