Une affiche politique de la Banque Postale sur le financement des retraites

par Paul Villach
jeudi 15 novembre 2007

Une campagne publicitaire sur le financement des retraites ne peut échapper à la politique. Que l’on défende la retraite par répartition ou la retraite par capitalisation ou même encore les deux à la fois, c’est un choix de société que l’on promeut. On ne s’étonnera pas que la Banque Postale défende son métier et profite de l’actuelle interrogation lancinante sur l’avenir des retraites pour vendre son produit qui prétend assurer une retraite par capitalisation.

Son affiche montre deux gosses de famille aisée, entre 9 et 10 ans, côte à côte, vêtus de vêtements de marque, en plein jeu vidéo, assis sur des coussins à même le parquet d’une superbe maison de campagne, tournant résolument le dos à de larges baies qui ouvrent sur une vaste terrasse et la pleine nature, sans vis-à-vis. Or, de quoi parlent-ils ? Ils s’interrogent curieusement sur les avantages comparés de deux plans épargne pour leur retraite future : « Et toi, pour ta retraite, demande l’un d’eux, tu partirais plus sur un PERP ou sur une assurance-vie ? » Paradoxe, humour grinçant, ou ironie intimidatrice ?

Un paradoxe violent

C’est le paradoxe de la scène qui à l’évidence capte d’abord l’attention : comment ne pas être saisi par la violente contradiction apparente assénée ? D’une part, l’âge des enfants caractérisé par une insouciance les adonnant naturellement au jeu, et d’autre part, le sérieux de leur conversation se souciant déjà de la sécurité de leur fin de vie dans un demi-siècle, et qui plus est, dans un registre de langue d’expert financier ? Quant aux revenus pour permettre une telle épargne, d’où les tireraient-ils, ces « pauvres » moutards ? C’est proprement absurde, est-on tenté de conclure, sauf à accorder aussitôt à la Banque Postale le bénéfice du doute si on crédite son affiche d’une bonne dose d’humour. Ne parle-t-elle pas de façon légère d’un sujet grave ? Du coup on peut se laisser gagner par le sourire de connivence qu’elle recherche. Mettre les rieurs de son côté, c’est déjà pour elle arracher un premier acquiescement.

Un humour grinçant

L’écart vertigineux entre l’âge des mômes et la préoccupation qui leur est prêtée, gêne, toutefois, aux entournures : pas facile de dissoudre cette absurdité dans le seul sourire de l’humour  ! Sans doute fut-il un temps où l’enfance n’était pas cet âge surprotégé qu’on connaît aujourd’hui en général : n’a-t-il pas fallu en 1841, après l’étude alarmante du Dr Villermé sur la santé des enfants au travail, édicter une loi pour limiter le travail des enfants de 8 ans... à 8 heures par jour ? Mais vue d’aujourd’hui, cette histoire, pourtant récente, garde des relents de barbarie. Du coup, si humour il y a dans cette affiche, c’est un humour grinçant, car il n’est pas anodin de mettre dans la bouche d’un enfant - même fictivement dans une bulle de bande dessinée comme ici - des soucis exclusifs d’adulte dont un enfant ne peut heureusement avoir idée.

Une ironie intimidatrice

La solution de l’énigme est dans une ironie intimidatrice de la Banque Postale pour secouer le client insouciant et le faire adhérer au produit proposé. Car c’est bien sûr au client adulte des bureaux de poste que s’adresse ce discours. L’ironie consiste, en effet, à dire le contraire de ce qu’on pense en laissant des indices pour le repérer.
- L’indice ici est une contradiction irréductible entre les enfants mis en scène et la préoccupation de la retraite qu’on leur prête. Elle est, tout compte fait, comparable à celle qu’on relève dans le compliment d’un maître adressé à un élève au moment de lui rendre sa copie corrigée : « Bravo ! mon garçon ! Joli travail ! Zéro ! » L’élève aurait bien tort de croire au compliment : le reproche qui lui est fait est encore plus acerbe que si la nullité de son travail était crûment dénoncée.
- De son côté, le client adulte de la Banque Postale se tromperait lourdement s’il croyait que cette scène de gosses obnubilés par la retraite ne le concernait pas. Au contraire, ces gosses aux soucis d’adultes doivent le convaincre, dans un premier temps, de sa propre insouciance infantile si ces préoccupations majeures ne lui ont pas traversé l’esprit. Car un adulte ne se découvre pas inférieur à un enfant sans ressentir un sentiment de culpabilité.
- Dans un second temps, l’adulte doit en déduire que si des gosses ont déjà ces soucis en tête, c’est qu’il n’est jamais trop tôt pour penser au financement de sa retraite : il n’y a pas d’âge pour ça ! Le plus tôt est même le mieux. Et pour peu qu’il mesure l’écart d’âge entre ces mômes et lui, une panique doit le saisir : n’est-il pas déjà en retard pour assurer sa retraite ? N’aurait-il pas dû y penser avant ? Car plus on capitalise, entend-on, plus on se prépare une retraite confortable. Il s’agit donc d’instiller cette fois chez le client l’inquiétude pour son avenir, voire d’accroître la peur distillée depuis quelques années sur l’avenir du financement de la retraite par répartition. Et cette peur doit déclencher le réflexe de défense approprié, la souscription du produit vendu par la Banque Postale sans plus tarder davantage. « La peur, voyez-vous mon petit, aurait confié Clémenceau à Paul-Boncour qui le rapporte dans ses Souvenirs, c’est le grand moteur des actions humaines. »

Le symbole d’une vie étriquée

Une telle publicité est révélatrice de l’époque où elle paraît. Jamais, semble-t-il, elle n’aurait pu être diffusée, il y a trente ans. Prêter à des enfants le souci de préparer leur retraite eût paru incongru sinon imbécile. L’idée d’avoir un jour à prendre sa retraite n’effleurait même pas nombre d’esprits. Beaucoup ne concevaient pas une vie après le travail. Forcément, objectera-t-on, l’espérance de vie était moindre. Quant au financement des retraites, il était alors assuré par le seul renouvellement des générations. Ce n’est pas contestable.
Il n’empêche, oser prêter à des gosses désormais, pour ces bonnes raisons, l’obsession d’une retraite à préparer, n’est-ce pas offrir une vision étriquée de la vie ? La retraite par capitalisation que certains voudraient substituer à la retraite par répartition, n’y conduit-elle pas obligatoirement, surtout quand on a en mémoire les infortunes qu’ont connues en Grande-Bretagne et aux USA certains fonds de pension mettant en péril la retraite de ceux qui y avaient souscrit ? Peut-on d’ailleurs trouver meilleur symbole de cette vie étriquée que cette scène de deux moutards, les mains prisonnières d’une console de jeu vidéo comme elles le seraient de menottes, qui tournent délibérément le dos au grand ciel bleu d’été au-dessus d’une nature verdoyante qui pourtant s’offre à eux ?

En somme, il faut remercier la Banque Postale pour cette projection fictive dans un sombre avenir habité par la peur où les individus survivraient recroquevillés sur des solutions individuelles. Pourvu qu’on réinvente son financement, la solution collective d’une retraite par répartition n’en paraît que plus capable de conjurer cette tragédie. Paul Villach



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