Une autre bonne année ?

par Bruno de Larivière
mercredi 29 décembre 2010

Vous avez un créneau de libre cette semaine ? Allez voir le dernier film de Mike Leigh. Sans pour autant être dupes devant l’unanimité de la critique. ’Another Year’ réserve des surprises, derrière le tableau de héros à la fois ordinaires et positifs...

Le film ‘Another Year’ rassemble à juste titre tous les suffrages. Les critiques détaillent l’histoire. Je devrais dire, ‘Ils tentent de le faire‘, parce que le scénario de Mike Leigh ne s’appuie pas sur une intrigue. La caméra suit quelques personnages dans la banlieue sud de Londres. Des allusions répétées à la ville périphérique de Crawley ou à l‘île de Wight ont sans doute titillé mes sens géographiques.

Tom et Gerry forment un couple uni. Ils figurent la cinquantaine épanouie. Appartenant à la classe moyenne supérieure, les deux diplômés ont un travail dans le secteur public (expert géologue) ou parapublic (dans la santé) qui leur permet de vivre dans une petite maison victorienne à la façade en briques, une maison assez proche d’une gare. Les visiteurs doivent quand même prendre une voiture pour leur rendre visite.

Un ingénieur travaillant dans les égouts de Londres, c’est tout un symbole ! La Tamise drainait encore tous les effluents de la ville au XIXème siècle, au point de dégager une odeur si prégnante que le Parlement britannique a interrompu ses travaux durant l’été 1858 (Great Stink), que le choléra tuait par centaines les Londoniens en 1849. L’ingénieur Joseph Balzagette imagine alors un système d’évacuation des eaux usées en lien avec la marée qui assainit définitivement la capitale. Dans ‘Another Year’, l’ingénieur sauveur de l’Occident a cédé la place à un ingénieur dont un chacun moque les compétences, au demeurant gentil mari, père attentif et ami fidèle.

Nos deux Anglais aiment plus que tout jardiner leur petit lopin à l’extérieur de la ville. Ils y suivent le déroulement des saisons, amendent la terre, regardent pousser les fleurs, inspectent le mûrissement des tomates. Ce loisir innocent, par son rattachement à un monde immémorial pourrait passer pour du passéisme ringard. La critique française préfère encenser le cinéaste britannique en évitant de s’arrêter sur les plaisirs agrestes des deux personnages. Lorsque Becker lorgne dans la même direction, elle suscite l’ironie condescendante, les commentaires fustigeant une vaine réhabilitation du temps jadis. Pierre Murat, le critique de Télérama, synthétise cette incohérence relative, dithyrambique pour ‘Another Year’ Mike Leigh et assassin vis-à-vis du ‘Dialogue avec mon jardinier’ [’Les lendemains qui chantent‘]. L’idée de comparer les deux films déclenchera sans doute chez lui une irritation cutanée.

Mais je me tairai sur la réussite essentielle du film, qui détaille comment l’amour irradie naturellement autour de lui, attire les isolés et console les esseulés. C’est un amour pur, altruiste, et néanmoins détaché de toute référence religieuse. On se doute en regardant Tom et Gerry qu’ils ont pour nature d’être accueillants, qu’ils prennent plaisir à écouter les uns, à tolérer les incartades des autres ; sans juger mais aussi sans se complaire à l’excès. A l’évidence, le film séduit par sa dimension humaniste. D’aucuns percevront une pincée de morale. Elle me semble difficile à percevoir. Lors d’obsèques d’une belle-sœur, le couple assiste à une cérémonie particulièrement funèbre sans se départir de son flegme. Cliché assuré pour les Français.

Une dimension du film arrête mon regard à cet instant. Les spectateurs n’y ont peut-être pas prêté attention. Un personnage discret peuple ‘Another Year‘. Il s‘agit de la voiture. La voiture de l‘amie du couple, Mary, qui finit par en faire l‘acquisition. Elle croyait recommencer une nouvelle vie en redevenant conductrice. Sa petite citadine rouge la fait au contraire basculer dans le chaos. Elle fragilise son amitié avec Tom et Gerry. Elle tombe en panne et provoque de multiples ennuis domestiques. La femme seule imaginait devenir plus indépendante, mais c’est l’inverse qui se produit. Elle se perd dans la banlieue, ne trouve pas son chemin dans Londres, doit transporter un ami encombrant. La voiture est un personnage inquiétant. La caméra tourne quelques instants de bouchons londoniens.

C’est un autre enseignement du film. L’acquis essentiel de la modernité accable ses utilisateurs. La circulation les englue. La voiture se transforme même en linceul. Mike Leigh détaille en effet l’arrivée lugubre du convoi de voitures transportant le cercueil de la belle-sœur. Les deux limousines noires font penser à un cortège de mafieux qu’affectionnent tant les films hollywoodiens. Elles contrastent de façon grotesque avec l’intérieur décrépi de la défunte. Dans la ville européenne qui a la première expérimenté la civilisation de la voiture, cette dernière m’est apparue soudain comme son fossoyeur.

Charles Rolls, mort il y a tout juste cent ans a illustré la disparition de l’âge aristocratique. Il fonde à Piccadilly sa première concession, puis crée la marque légendaire Rolls-Royce avec un associé en 1904. Mike Leigh montre dans ’Another Year’ des voitures Volvo. L’industrie automobile britannique a vécu. Quant au fils de la défunte, pris dans les embouteillages londoniens, il a raté l’heure des obsèques. Il rentre dans la chapelle au moment où le rideau se ferme sur le cercueil partant à la crémation.

Décidément, c’est un peu sombre pour souhaiter ‘une autre bonne année’ 2011, avec quelques jours d’avance ?!

PS./ Geographedumonde sur le Royaume-Uni. Vous avez dit délétère ? La crise à London ?! Des difficultés d’être à la fois fils et retraité

Incrustation : L’affiche du film


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