Une photo de l’espion Yves Bertrand qui vaut tous les communiqués de mise en garde ?

par Paul Villach
mardi 21 octobre 2008

M. Yves Bertrand, ancien directeur des Renseignements généraux, a vu ses carnets secrets qu’avait saisis la justice, divulgués par extraits dans Le Point. Un nouvel exploit sans doute d’un certain type de journalisme d’investigation qui n’est qu’une figure renversée du journalisme d’enregistrement ! Ils déclenchent depuis comme prévu un tir groupé dans la classe politique : le président de la République a porté plainte, MM. Montebourg et Pasqua aussi. M. Jospin s’indigne. Une affaire commence.

En attendant la suite, a-t-on vu l’unique et sidérante photo de l’auteur de ces carnets incendiaires que les journaux ont choisie pour illustrer leurs articles sur le sujet, à moins qu’ils n’en aient pas eu d’autres, et pour cause ? Elle est due à Jean-Pierre Muller de l’AFP.

Le regard d’un mage

Pris en gros plan, le visage de celui qui se dit la victime d’un vol envahit les deux tiers du champ. Une mise hors-contexte sur fond flou évite toute distraction pour diriger sur lui seul le regard, d’autant qu’il ressort dans un vif contraste de couleurs claires et sombres.

Il affronte frontalement le lecteur à hauteur d’yeux. Impossible d’échapper à son regard ! Il cloue le lecteur sur place dans un simulacre de communication interpersonnelle propre à toute image mise en abyme. L’iris enfoncé dans l’arcade sourcilière coiffée de sourcils en accent circonflexe, l’homme cligne des yeux comme on vise une cible au loin, mais c’est pour mieux les planter dans ceux de son interlocuteur et y plonger jusqu’aux tréfonds de son âme. Deux points brillants luisent sur les pupilles comme deux rayons laser braqués sur ce que son âme cache dans l’ombre. Par intericonicité, viennent pêle-mêle à l’esprit des images de mages, d’hypnotiseurs, de gourous, de sorciers ou même de Méduse dont le seul regard pétrifiait ses proies.


La caricature de l’agent secret

La moue méprisante d’une large bouche fermée sans lèvres aux commissures tombantes sous deux plis obliques qui s’écartent des narines, signale que l’heure n’est plus à la plaisanterie. Elle amplifie, avec la mâchoire que l’on devine serrée, l’intensité du défi lancé au lecteur : regarde-moi dans les yeux si t’es un homme ! C’est à qui les baissera le premier.

Peut-on douter que voilà un homme de l’ombre à qui rien n’échappe. « Elle a les yeux revolver, disait de son amante un chanteur des années 80, elle a le regard qui tue / Elle a tiré la première, m’a touché, c’est foutu ». Que dire alors des yeux et du regard d’Yves Bertrand ? Quels secrets ne peuvent-ils pas pénétrer ? Ils déshabillent celui qu’ils ensorcellent. Il en viendrait à se sentir coupable. De quoi ? Il l’ignore, mais lui le sait. Y a-t-il symbole plus caricatural de l’agent secret qui, comme Dieu, sonde les reins et les cœurs ? On voudrait éclater de rire pour échapper à l’emprise de ce mage tant la posture mise hors-contexte est grotesque.

Une incarnation du mal ?

Mais, en même temps, on respire l’insécurité à soutenir le regard de cet homme qui fusille ainsi des yeux son prochain. Selon la formule, qui serait assez fou pour lui acheter une voiture d’occasion ? Par métonymie présentant l’effet pour la cause, cette mine renfrognée renvoie à une insensibilité de marbre, voire à une sécheresse de cœur que même l’adiposité du visage ne peut adoucir : ces traits flasques disgracieux n’en sont au contraire que le masque sévère que le métier avec l’âge a modelé.

On est bien vite contraint de détourner les yeux. Une telle présence invasive importune et même suscite un réflexe de répulsion. Voilà bien le genre d’individu qu’il vaut mieux ne pas croiser sur son chemin. Sa seule proximité glace les os : n’est-on pas en présence d’une des incarnations du mal ?

Les journaux auraient-ils pris parti ? Car pouvaient-ils offrir de l’ancien directeur des RG photo plus négative ? Ce n’est pas l’image de la victime qu’il affecte d’être, mais celle de l’agent de renseignements lourd de secrets et de menaces qui peut faire chanter bien du monde. Justement, on a peine à imaginer que cette photo lui ait été extorquée contre son gré. Un espion de sa trempe n’a-t-il pas sciemment pris la pose, histoire d’avertir sans les nommer certains qui se reconnaîtront ? N’oubliez pas à qui vous vous adressez, sinon vous allez trouver à qui parler ! Cette photo ne vaut-elle pas tous les communiqués de mise en garde ? Paul Villach

 
 


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