Une révolution médiatique en marche
par Manuel Atreide
mercredi 16 janvier 2008
Je regardais lundi soir Mots croisés, l’émission politique d’Yves Calvi sur France 2. Le sujet portait sur le président avec cette interrogation majeure : quels sont ses rapports avec les médias ? Il m’est venu un sentiment étrange, celui d’une profession comme fascinée et déstabilisée par un chef de l’Etat qui change les règles du jeu et devant lequel elle ne sait quoi faire. Jeu dangereux ? A vous d’en juger.
L’ambiance devait être étrange ce soir-là, sur le plateau de France 2. Quelques invités triés sur le volet faisaient un premier point sur la présidence Sarkozy, après huit mois de mandat. Seuls, deux politiques étaient là, Nadine Morano en défenseur UMP du président, Arnaud Montebourg en représentant d’une opposition qui peine à exister. Mais, si notre représentante zélée de la majorité présidentielle faisait feu de tout bois pour défendre SON président, la conversation n’a pas vraiment tourné autour des sujets politiques, enfin pas de manière classique.
Quels sont les rapports entre Nicolas Sarkozy et les médias ? Comment ces derniers réagissent-ils face à un président qui communique si différemment de ses prédécesseurs ? Comment l’opinion réagit-elle face aux propos, promesses, actes d’un président qui change la donne ?
Une journaliste politique de France Inter s’interrogeait - de manière très franche, il faut le reconnaître - sur la conférence de presse du président, à l’occasion des voeux à la presse. Si elle reconnaissait qu’il avait été terriblement bon, elle jugeait en revanche que les journalistes, dans leur ensemble, n’avaient pas fait preuve de la même qualité de travail, déplorant les questions convenues ou attendues, l’absence d’audace sur certains sujets. Bref, elle a décrit une audience comme paralysée, apeurée, déboussolée par un président qui pourtant leur faisait face seul.
Je m’interroge depuis un moment sur le déséquilibre d’une presse qui est le 4e pouvoir selon l’expression consacrée, et surtout un contre-pouvoir essentiel dans nos démocraties modernes. Un ami m’a fait une réflexion qui m’a soudain permis de voir le jeu médias/politique sous un nouveau jour : le rapport au pouvoir de Nicolas Sarkozy n’est pas sans similitude avec celui de Louis XIV. Même volonté d’incarner le pouvoir, même volonté de le concentrer entre ses mains, même propension à reléguer son gouvernement dans un rôle éminemment subalterne.
Même rapport aussi vis-à-vis des contre-pouvoirs. Louis XIV n’a jamais oublié la Fronde, ni le danger mortel que faisait peser sur la couronne une aristocratie qui voulait le pouvoir pour elle, laissant un pantin sur le trône. Il a conçu, bâti Versailles sur ce constat, en faisant une cage irrésistible par son luxe et son raffinement, dans laquelle il a enfermé la noblesse, la détournant de ses envies politiques en l’étourdissant de fêtes, d’appartements somptueux, d’un jeu de cour qu’il contrôlait entièrement. Pour museler la bête, Louis XIV l’a non combattue de front, mais l’a séduite, enjôlée. Il l’a dressée.
Nicolas Sarkozy agit de même en ce moment avec les médias. Il a non seulement compris comment fonctionnaient les médias, et il en joue admirablement, mais il a aussi gardé en mémoire leur comportement de fauves quand le pouvoir politique est affaibli. Que ce soit à propos de Mitterrand, et surtout Chirac, interrogés encore et encore sur les affaires, je crois que le président n’a rien oublié et qu’il sait à quel point un journaliste peut être dangereux.
Or, les journalistes ont peut-être la même envie que la noblesse en son temps de faire de leur fameux 4e pouvoir une réalité. Depuis les années 70 et l’affaire du Watergate, les médias se sentent capable de faire et défaire les rois. Sarkozy est donc - à mon avis - en train de leur présenter un miroir aux alouettes pour les hypnotiser et les circonvenir. Par son incessante agitation, par son action frénétique, par son jeu entre politique et glamour de star, en assumant au grand jour son coté bling-bling, il va si vite que les journalistes perdent peu à peu de vue ce qu’ils doivent faire face au pouvoir.
Comment interpréter différemment les éditos divers et variés où des rédacteurs en chef passent leur temps à s’interroger sur ce que leur média doit dire, montrer, filmer, passer sous silence ? Ils s’interrogent, discutent, réfléchissent alors que le roi court, fait, décide, tout en dansant. Soudain, le monde politique qu’elles avaient pris l’habitude de toiser, peut-être de mépriser un peu, va tellement plus vite que les rédactions sont prises de vertige.
Pourtant, je ne vois que peu de signes qui pourraient montrer une volonté de reprise en main. Combien de journalistes sont prêts - à l’heure actuelle - à délaisser les salons dorés et les cocktails mondains de la République ? Bien sûr, je ne parle pas de la province, mais de Paris où se fait, encore et toujours, la tendance... Eblouie par le faste du pouvoir, qu’elle est conviée à partager - un peu - cette nouvelle noblesse abandonne son rôle traditionnel pour se lancer dans une pavane savante autour des grands. Je sais, c’est cruel, mais ni Bernard Kouchner ni Jean-Louis Borloo n’ont pour compagne une petite pigiste ou une secrétaire. L’aristocratie médiatique génère même ses reines de cour, dont la puissance, parfois le chic, peuvent faire de l’ombre à l’épouse du prince.
Cela dit, nous savons tous comment s’est terminé la lutte mortelle entre la couronne des rois de France et la noblesse d’ancien régime. Je crains qu’on n’aboutisse au même résultat, avec ceci de terrifiant que le monde va considérablement plus vite qu’au XVIIIe siècle. Signe des temps qui s’annoncent, une "bourgeoisie" médiatique est en train d’apparaître. Le net, ce vaste espace protéiforme, abrite désormais les nouveaux Birotteau, ces journalismes citoyens.
Raillés et méprisés par la haute caste, réputés incapable de faire un travail de qualité, censés se rouler dans la fange du ragot le plus ignoble, les nouveaux venus dans le monde des médias sont vus de haut par la caste noble qui reproduit avec une similitude glaçante la morgue de la noblesse terrienne d’ancien régime pour ces parvenus de bourgeois qui voulaient leur part de gâteau. On sait qui a gagné...
Je suis l’un de ces gagne-petit de l’info. Un petit rédacteur d’Agoravox. Je sais la distance qui me sépare des grandes pointures du journalisme professionnel. Je sais aussi que cette noble profession est en danger. Elle se crispe, se rigidifie, se veut désormais autre que ce qu’elle est. Je sais aussi que le point de non-retour n’est pas encore arrivé. Mais que son salut, elle le trouvera d’abord en elle.
La question que je me pose actuellement est la suivante. Dans ce bouleversement qui se prépare, dans quelle direction aller ? Etre un réformiste et essayer d’intégrer la profession pour lui apporter un regard autre, non formaté par une école de journalisme ? Ou être révolutionnaire et pousser la charrette vers l’abîme, plus vite encore, afin de précipiter la chute de cette Maison Usher ? Peut-être ni l’un ni l’autre, faute de talent me direz vous...
Mais cette question, les journalistes citoyens se doivent de la poser. A eux-mêmes, pour savoir où va leur préférence intime. Aux journalistes professionnels qui détiennent aussi une partie des réponses. Car ils peuvent fermer une porte. Et dans ce cas ouvrir l’autre en grand. Ils ne pourront plus désormais laisser les deux closes. Un choix est à faire. Mais j’entrevois un 1789 sanglant pour nos médias. Et c’est une très mauvaise nouvelle pour la démocratie française.
Manuel Atréide