Vers une société de mise en scène de la peur ?
par Joël de Rosnay
vendredi 28 octobre 2005
Merci à HKac pour cet article courageux. Comme l’a dit le philosophe Michel Serres, nous vivons dans « une société de mise en scène de la peur ». Il est d’ailleurs revenu sur ce point dans sa chronique régulière de France Info, il y a trois semaines environ, au cours de laquelle il a parlé d’une sorte « d’audimat de la mort » aux journaux télévisés du soir. Il suffit de compter combien de fois revient le mot « mort » au cours des vingt premières minutes de « faits divers », pour réaliser à quel point que nous sommes effectivement entrés dans le « fear marketing », comme le dit très bien HKac.
Pourquoi ? L’entretien de la peur permanente (et de la rareté) est une forme de contrôle de la société par le politique, le médiatique et le juridique (voir à ce sujet, le dernier livre de Michael Chrichton State of Fear, L’État de peur). Il est d’ailleurs tout à fait significatif que l’article de HKac soit publié sur Agoravox, et non dans un média classique. Ceux-ci vivent en effet de la « vente de la peur » et de la crainte du « manque ». Sujets très mobilisateurs, évidemment, car nous partageons, avec les animaux, un système de renforcement de la mémoire visuelle et émotionnelle des événements traumatisants (pour ce qui concerne les humains : catastrophes, accidents, actes terroristes, incendies, inondations, tremblements de terre, cyclones, tsunamis, manifestations, scandales divers et corruption...) En effet, selon les mécanismes biologiques de la sélection darwinienne, ceux qui se souviendront de la manière d’échapper éventuellement à de tels événements auront plus de chances de survivre. Ils pourront donc procréer et assurer la survie et le développement de l’espèce. Dans un tel contexte, les sondages des chaînes de télévision retiennent surtout ce dont les gens se souviennent le plus, à savoir les catastrophes et les crises. Un cercle vicieux, amplificateur du pire, s’amorce, et s’exploite médiatiquement.
Il ne s’agit pas, bien sûr, d’opposer à ce catastrophisme permanent, un angélisme béat et naïf, mais de sortir de l’alternative stérile entre attitude « pessimiste » ou « optimiste » face à l’avenir, et de la remplacer par une approche réaliste, lucide, pragmatique et constructive. Car des faits positifs existent, en masse, dans la vie quotidienne du monde : découvertes déterminantes pour le futur, créations collectives, solidarités, générosités, bénévolat, liens transculturels, etc. Il faut aussi savoir les mettre en avant. La mémoire n’est pas seulement mémoire de survie, elle est aussi mémoire de création. Les faits positifs, reliés entre eux, nous aident à avoir l’envie de construire demain, les mois qui viennent, l’avenir. Comme le propose Michel Serres, il faut sortir du paradigme de la peur, pour s’orienter ensemble vers le nouveau paradigme de la création collective de l’avenir. Il est encourageant, dans cette optique volontariste, de constater que les « médias des masses », (avec les journaux participatifs en ligne comme Agoravox) sont aux premières lignes des actions solidaires permettant d’entrer avec confiance dans ce nouveau paradigme du « désir d’avenir ».
NDLR : après l’article de HKac et celui de Joël de Rosnay, nous invitons nos lecteurs à partager leurs réflexions sur le traitement "catastrophiste" de l’information par la presse.