Vous ne savez rien sur Ben Laden, nous non plus

par Bernard Dugué
mercredi 4 mai 2011

C’est une grande victoire pour la démocratie a dit Alain Juppé après la liquidation de Ben Laden par un commando américain. « Justice a été faite » a déclaré l’Elysée, parlant au nom du peuple américain. Drôle de justice, sans aucun procès. Les coupeurs de cheveux sémantiques en quatre diront qu’il s’agit d’une vengeance suite à exécution comme on les pratique dans les pays qualifiés de totalitaires, à qui les Etats-Unis et ses alliés savent donner des leçons de droit de l’homme, s’indignant notamment quand des opposants au régime disparaissent. Tout cela semble contradictoire, sauf dans un univers manichéen. Quand un opposant à une dictature est éliminé, ce n’est pas bien. Par contre, éliminer un opposant à la démocratie, c’est légitime et c’est nécessaire, surtout quand cet opposant est un ennemi déclaré des grandes puissances démocratiques et utilise des moyens terroristes. Finalement, il n’y a rien à redire à cette exécution assez sommaire de Ben Laden, sauf si l’on est sourcilleux des formes peu cavalières prises par les événements. On pourra même gloser sur les obsèques improvisées de Ben Laden rejeté tel un sac d’ordure dans la mer et privé d’une sépulture et d’un enterrement effectué avec les rites de la religion à laquelle il appartient. Il se trouvera bien quelque Antigone de circonstance pour crier au scandale, pour pointer le sinistre symbole d’une fin de vie réalisée sans les rites funéraires établis depuis des millénaires. On jauge les sociétés à la manière dont elles traitent les morts. Oui mais Ben Laden n’est pas un homme comme les autres. Faut-il traiter un ennemi de l’humanité en respectant les règles de l’humanité ? Vieux débat sans réponse, comme faut-il interdire l’expression à ceux qui sont contre la liberté d’expression ? A la Maison Blanche, on est certain que la dream team du Pentagone ne s’est pas posée cette interrogation, l’éthique étant secondaire quand on veut régler un problème avec le moins d’emmerdements possibles. A ce compte-là, l’exécution de Ben Laden par un commando se justifie aisément. Le capturer et le mettre en détention, ç’eut été prendre le risque de prises d’otages dans le monde entier et d’avoir quelques cadavres de plus liés à cette guerre menée par des groupuscules opposés à l’Occident.

Les formes diplomatiques ont été respectées. Hillary Clinton a fait savoir que les Etats-Unis ont bien essayé de capturer Ben Laden vivant mais que ce n’était pas possible, chose confirmée plus tard par le conseiller anti-terroriste d’Obama, arguant que les membres du commando ne pouvaient risquer leur vie face à une riposte de l’ennemi public number one. Tout comme Mesrine, ennemi public numéro un exécuté en pleine rue car il était armé et menaçait le commando venu l’interpeller. C’est ce qu’a déclaré la version officielle du ministère de l’intérieur, thèse combattue entre autres par le groupe de métal français Trust à qui on doit une célèbre chanson. Ennemi public numéro un mondial, Ben Laden méritait bien ce qualificatif et d’ailleurs, comme pour le 11 septembre, tout le monde était américain ce 2 mai quand fut annoncée la mort de Ben Laden, même les officiels pakistanais qui pourtant devraient répondre de l’hébergement offert pendant des années au chef d’Al Qaïda. Ils ne savaient pas disent des diplomates mais cette version est difficile à croire si l’on sait la structure politique du Pakistan, pays doté d’un Etat dans l’Etat avec ses militaires et ses services secrets. On en sait un peu plus sur ce sujet après avoir écouté deux experts militaires sur les ondes de France Inter. On sait qu’on ne sait rien. Il y a une duplicité de la part des parties prenantes dans ce conflit atypique issu des attentats du 11 septembre, mêlant l’Irak, l’Afghanistan, l’Otan, les Etats-Unis, et par contiguïté le Pakistan, l’Inde et un peu plus loin la Russie qui elle aussi pratique un double jeu, craignant que le pétrole de la mer Caspienne ne fasse un détour par un port afghan mais dans ces jeux économiques, la Chine intervient aussi et pourrait bien financer un terminal pétrolier, à moins que le marché ne décide que l’oléoduc direct avec l’Orient soit l’option la plus économique. Si bien que le pétrole ne serait plus tellement un enjeu mais disons, les terres rares dont regorgerait l’Afghanistan et dont se fout apparemment le Pakistan qui lui, voudrait plutôt récupérer le Cachemire. Bref, tout ça pour dire qu’on ne comprend rien à toute cette affaire, qu’aucune source, officielle ou non, n’est infaillible. Alors, quand le soleil se lève et qu’on prend son café, chaque jour nous invite à regarder les médias d’un œil désinvolte, à ne pas craindre plus que de raisonnable la menace terroriste ou nucléaire ou génétique, et à espérer le lendemain voir le soleil se lever à nouveau et apprécier un café de plus, qu’on prendra sans forcément écouter les nouvelles à la radio. Ni lire la presse pour s’informer sur…

L’exécution de Ben Laden : les questions que vous vous posez. Tel est l’intitulé d’un article paru sur le site Rue89 invitant le lecteur à cliquer en espérant y trouver des réponses non sans connaître avant les questions essentielles qui ont été posées. Ce sont des marrants, à Rue89, comme si on avait les réponses. J’ai joué le jeu, cliquant pour connaître le rôle du Pakistan. Première phrase, ce rôle reste flou. Si tel est le cas, autant ne pas lire la suite. Et d’ailleurs, tout est flou, voire flouté, dans cette affaire qui d’ailleurs, n’a jamais commencé de manière claire puisqu’on ne sait pas grand-chose sur le 11 septembre, sauf que deux avions se sont écrasés sur des tours qui ensuite se sont effondrées. Là c’est certain. Le reste, je n’en dirai rien, chacun croyant à la version qu’il veut. Trancher sur ce point s’avère plus compliqué que résoudre les antinomies kantiennes ou établir l’équation de Schrödinger. Et comme l’a dit Elise Lucet au JT, il reste des zones d’ombres après l’intervention du commando américain.

On ne saura donc rien de plus que ce qui est contenu dans l’annonce officielle. Ce 2 mai 2011, nous sommes certains d’une chose, c’est que tôt le matin en horaire GMT, donc tard dans la nuit à la Maison Blanche, le président Obama a annoncé au monde entier un faire-part de décès, celui de Ben Laden. Dans les pages d’un quotidien de province, nous pouvons aussi lire que Claude Dupontin est décédé dans la nuit du 30 avril. La différence, c’est que seuls, quelques milliers de lecteurs sauront que Claude Dupontin est décédé et que parmi eux, quelques dizaines sont affectés par ce décès car ils connaissaient Claude Dupontin. Par contre, des milliards de gens connaissaient Ben Laden. Ce qui méritait une annonce depuis la Maison Blanche. Logique puisque le président a suivi en direct la mort de Ben Laden sur son écran. Du coup, des tas de gens ont été soulagés et des milliers de patriotes ont fêté cet événement. L’année dernière, des milliards de gens ont été attristés par la mort de Michaël Jackson qui elle, a été annoncée depuis un hôpital par les autorités médicales qui ont constaté le décès.

L’usage veut qu’on fasse un commentaire après le décès des célébrités. Evidemment, il faut être correct. On a dit que Michael Jackson a révolutionné la musique. Même si ce n’est pas vrai, ce commentaire est dans la tonalité convenable. Par contre, même si c’est vrai, on ne dira pas que Ben Laden a révolutionné le terrorisme, ce serait d’un très mauvais goût.

La mort de Ben Laden a également montré les tendances et les travers de notre époque qui veut tout savoir, qui exige de la transparence, qui place partout ses micros. Mais cette transparence est devenue un mythe, voire une supercherie. Après le décès de Ben Laden, tous, journalistes, analystes, experts, officiels, politiciens, gens de la rue, ont livré un commentaire, une analyse mais sur le fond, nous ne saurons rien, ni sur les rouages menant du 11 septembre 2001 au 1er mai 2011, ni sur les menaces terroristes, ni sur ce qui se trame dans les coulisses de la guerre globalisée, ni sur cette intervention qui a été filmée mais dont les images restent filtrées. Drôle de paradoxe que cette société où les moyens de communication sont considérables mais où l’on ne sait rien. Chacun s’exprime sur ce sujet et d’ailleurs, les gens en redemandent. Il faut leur donner leur dose d’info quotidienne, même si au final, les informés ne savent rien de tangible. On connaît juste le nom des otages français retenus par les émules de Ben Laden. Dernière dépêche ce 3 mai 2001 : selon Alain Juppé, le Pakistan manque de clarté. Zut alors, encore une zone d’ombre. Un conseil. Si un jour votre téléviseur n’a plus d’image, vérifiez avant de le jeter que le JT ne retransmette pas une zone d’ombre.


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