Yade-la-joie, bonjour, bonjour, l’hirondelle...

par morice
lundi 24 décembre 2007

Dans ce monde « pipolisé » par la volonté des publicitaires qui y ont vu une manne sans fin, la vie politique vient de changer de sens. Avant, nous avions des hommes et des femmes qui s’évertuaient à faire passer avant tout leur message et des valeurs, aujourd’hui nous avons des potiches mettant en valeur leur look ou leur vêtements avant même d’avancer une seule idée.

La France s’est dotée d’un gouvernement Star Ac, ou bientôt le gel coiffant de l’un aura autant d’importance que le tailleur de l’autre, les escarpins de Christine Boutin l’emportant sur le carré Hermès de Michèle Alliot-Marie. On ne revient pas sur Rachida Dati, on va dire que je fais ici dans l’acharnement. Non, aujourd’hui parlons de Rama Yade, puisque les autres en parlent également. Le Figaro, en l’occurrence, qui n’est jamais à la peine pour donner un coup de pouce gouvernemental, et qui titre ce week-end "Rama Yade, la star rebelle du gouvernement". Ça sent le coup de pouce téléguidé cette affaire, l’auteur n’en étant à son premier coup de rouleau à encenser. Ou comment faire d’une belle bourde un avantage sur ses collègues, qui passeront obligatoirement après pour des larbins et des mollassons (exit Kouchner, expédié par Le Figaro en un vengeur "même si la secrétaire d’État a démodé son ministre de tutelle"). Dans le style qui lui est propre, celui de la flagornerie, Le Figaro n’hésite pas à nous faire comprendre à quoi pouvait bien servir pareille saillie. Eh bien c’est simple : "elle est désormais la plus connue des secrétaires d’État, écrasant sur son passage Nathalie Kosciusko-Morizet, pourtant ’gourmande’ de médias." Désormais, donc, les ministres ne sont plus friands d’apporter de bonnes nouvelles au gens. Il s’occupent avant tout de leur propre communication. Les nouvelles destinées au bas peuple, c’est pour après, eux avant tout. Il faut faire de l’audimat...ou partir. Au point où nous en sommes, nous suggérons à notre bon président d’instaurer le même système qu’à la Star Ac, et de faire venir chaque samedi toute l’équipe de Nikos Aliagas pour déterminer en direct et par téléphone qui doit quitter le gouvernement, justement. En "prime", et en surtaxant les appels, on comblerait un peu plus le déficit, voilà une idée généreuse. Et le lendemain on pourrait lire trois pages au moins sur "cette soirée fantastique qui a vu Rama Yade éliminer Bernard Kouchner, handicapé par un choix de chanson contestable"... ("Not alone", "compilation dependant" !).

Et le cas Yade n’est pas un cas isolé. La Star Ac, c’est une équipe. Deux articles plus loin , le même journal nous explique le prochain remaniement ministériel... avec ceux en odeur de sainteté et ceux... sur le départ... "selon certaines sources, semblent plus en danger que d’autres : Hervé Morin (Défense), Christine Albanel (Culture), Christine Boutin (Logement), Christian Estrosi (Outre-Mer), voire Nathalie Kosciusko-Morizet (Écologie) ou Hervé Novelli (Commerce extérieur)". On apprend ainsi qu’il vaut mieux, pour garder sa place dans ce gouvernement, faire la une des journaux, quel que soit le moyen, plutôt que de jouer le ministre qui bosse discrètement. Exemple dominical : Borloo en short à Bray-Dunes (non ce n’était pas Bray-Dunes !) garde son fauteuil (de cuir de vache ?). A l’inverse, Morizet, qui n’a pas refait de cheval avec Sarko depuis l’élection présidentielle perd sa place sur le manège. On peut lui conseiller de remettre "le pied à l’étrier" : c’est comme ça que Rachida Dati explique tous ses liens avec ses vieux mentors. Quelques coups d’éperons plus loin et la voilà bombardée ministre. Le tout étant après, dans le rodéo gouvernemental, de ne pas subir de ruade intempestive de la part du collègue. Celle dans les brancards de Borloo, qui n’aime pas trop qu’on lui fasse de l’ombre, lui, le nouveau champion de l’énergie solaire.

Et au Figaro, quand on commence à utiliser la brosse à reluire, on pourrait avec repeindre plusieurs appartements : pour le journal, Rama Yade devient "la Naomi Campbell du gouvernement" . Judicieuse comparaison ? Pas vraiment, titraille tout droit sortie des journaux people, oui ! A part la couleur de peau on ne voit pas ce qui les rapproche, même la coiffure est différente ! Ou alors Le Figaro fait dans le flinguage à mots couverts, car en ce moment la Noémie défraie plutôt la chronique judiciaire par une répétition de frasques démontrant un caractère de cochon et une âme fondamentale de garde-chiourme et de mal élevée, toute sertie dans une vie de star qui méprise le bas peuple, confondant salon de coiffure et droits fondamentaux de l’être humain à ne pas se faire injurier comme un chien. Il est vrai qu’un président qui s’entoure de "stars" telles que Johnny Hallyday ne peut qu’avoir des ministres à paillettes, façon costumes d’Hallyday dans les années 70. Chuck Norris eût été Français qu’on lui aurait demandé de faire la publicité pour Michèle Alliot-Marie. Si bien qu’on ne désespère pas totalement de voir débarquer un jour le commissaire Moulin au gouvernement, dans cette optique, il n’y a pas que Mick Huckabee à songer à recruter homme si clairvoyant et si... percutant. On peut suggérer à notre commandant en chef de l’escadron présidentiel de contacter Jean-Claude Vandamme, qui doit bien avoir davantage de diplômes que Christian Estrosi, à savoir un seul. Ces dernières prestations publicitaires démontrent que l’homme a aussi de l’humour. En tout cas, bien d’avantage qu’Estrosi, notre ministre motocompatible, partisan lui du retour des cendres de Napoléon III (et donc subitement grand rival de Gonzague).

L’inflation communicative aidant, on obtient des personnages quasiment religieux : « Elle est devenue une icône pour un électorat dont la droite a besoin », dit avec emphase Le Figaro, qui s’y connaît en saints, à dépêcher des rédactions complètes à chaque élection papale. La sanctification gouvernementale, par un adoubement devant le seigneur du château, l’image reporte à un vieux fond historique auquel les lecteurs du Figaro sont habitués. Et les Français aussi. La cour du roi resurgit, avec ses luttes intestines, ses maîtresses plus ou moins cachées, et les réglements de compte internes entre ministres, à savoir quel sera donc le Fouquet de l’équipe. On écrit à cette époque Fouquet, sans l’apostrophe et le "s", rappelons-le. Ce sera celui qui a organisé la venue de Khadafi, sans doute. Fouquet, lui, ne s’est jamais remis de la grande tente qu’il avait fait dresser à Versailles. A bon entendeur... Rappelons ici même la fin de l’histoire "il est vraisemblable que l’étalage de luxe auquel a assisté Louis XIV a renforcé sa détermination d’abattre son trop puissant surintendant".

Ne manque plus dans ce décor façon "Que la fête commence" le "valet de pisse" ou le médecin chargé de regarder les étrons royaux matinaux. Dans l’hagiographie royale, on parlait en effet souvent de poudre de riz et de parfums, jamais de waters. Il y avait déjà toilette et toilettes, un peu comme aujourd’hui finalement. Khadafi n’a pas eu le temps de le vérifier, à traverser Versailles au pas de charge : il y avait bien des baignoires... mais pas pour plus de 5 000 personnes sur place (certains annoncent le chiffre de 300 baignoires, toutes amovibles, mais ça paraît un peu trop). Logiquement, à ce rythme, un communiqué de l’Elysée devrait bientôt annoncer que ce matin les urines du président sont claires, et que par conséquent tout va bien en France. Lafayette peut venir dormir au panthéon, son lot d’éloges posthumes est prêt, ce bon Gonzague s’en occupe d’une plume ferme. Estrosi, lui c’est Napoléon III, le retour (en corbillard side-car ?)

"Y a de-la-joie, bonjour l’hirondelle", qui tombe bien dans cet univers paillettisé de chanteurs sur le retour : l’hiver au Tchad, l’été en France, à vérifier le courrier de sa collègue et néanmoins ennemie Rachida, qui en a reçu trois à propos de l’arche de Zoé sans jamais les avoir ouverts. A surveiller les oiseaux migrateurs, parmi lesquels se glissent des avions incongrus : ceux des soldats du feu, reconvertis en bombardiers à expulsés grâce à la baguette magique d’un ex-ministre de l’Intérieur. A faire des déclarations incendiaires sur les dictateurs, quelques jours seulement après leur avoir décroché son plus beau sourire (et dieu sait si elle en a un !). Les jours qui vont suivre, l’hirondelle va repartir vers des cieux plus cléments et aux températures plus élevées : son Grand Marabout, auprès duquel elle s’était réfugiée lui a conseillé d’aller se faire voir ailleurs quelque temps. Ou plutôt de ne plus se montrer. "Il m’a dit d’entrer en hibernation", avoue-t-elle. Logique chez une hirondelle. On attendra quelques mois pour la voir à nouveau survoler la vie politique. Avec quand même une interrogation qui subsiste : une hirondelle peut-elle faire le printemps... d’un président ? A Paris, au printemps, il risque déjà de pleuvoir, saut si Borloo arrive en trois mois à inverser le réchauffement planétaire, à plonger partout comme un pingouin échappé de Happy Feet. Résultat, au moment ou elle se réveillera, elle ne pourra qu’entonner :

Mais soudain voilà je m’éveille dans mon lit
Donc j’avais rêvé, oui, car le ciel est gris
Il faut se lever, se laver, se vêtir
Et ne plus chanter si l’on n’a plus rien à dire...


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