YouTube : le grand bazar des émotions populaires

par Guy Morant
mercredi 18 octobre 2006

Le Web 2.0 fait encore couler de l’encre (électronique) : Google vient d’acheter YouTube, pour la coquette somme de 1,65 milliard de dollars. Cette fois, pourtant, le moteur de recherche s’est peut-être trompé d’avenir...

L’acquisition par Google de YouTube, le site de partage de vidéos le plus consulté d’Internet, a donné lieu à des commentaires dubitatifs de la part de nombreux spécialistes. Il est vrai que YouTube, bien que très populaire, ne se distingue guère par la qualité de ses contenus. Là où des sites comme Wikipedia ou Flickr illustrent la réussite du « Web 2.0 », YouTube propose essentiellement une collection d’enregistrements illégaux, de vidéos d’amateurs affligeantes (souvent pornographiques) et de farces d’étudiants en communication. Les adolescents adorent, vos collègues en parlent à table et vous finirez par vous y rendre vous-même, mais vous ne comprendrez pas pourquoi tout le monde en parle.

C’est que, disent les commentateurs, YouTube représente un nouveau modèle de distribution des contenus vidéo. La télévision de demain, paraît-il, sera interactive et conviviale, et un tel site, qui attire 30 millions de visiteurs par mois, représente une source de revenus publicitaires potentiellement énorme. Google espère annexer l’audio-visuel à son empire fondé sur la distribution de l’information, et transformer YouTube en une succursale rentable, et surtout légale. Pour cela, il devra mettre de l’ordre dans l’anarchie, régler les questions de copyright et intégrer au site un dispositif de conseils publicitaires personnalisés.

Le seul problème, c’est qu’une telle métamorphose risque de faire disparaître tout ce qui fait le succès du site. En d’autres termes, YouTube risque de subir le même sort que Napster, ce célèbre site qui permettait téléchargement (illégal) de fichiers MP3. De même que Napster n’avait d’intérêt pour les visiteurs qu’en tant que fournisseur de musique piratée, YouTube offre aux utilisateurs un moyen facile d’exprimer toutes sortes de passions qui ne trouvent pas leur place dans les médias ordinaires. Que le produit offert soit à la fois hors-la-loi et mal peigné ne constitue pas un défaut de jeunesse, mais la loi du genre. À l’inverse de Flickr ou de Wikipedia, que les particuliers sont en mesure d’approvisionner en contenus de qualité, YouTube n’existerait pas sans la télévision, dont il constitue un détournement ludique. Même les vidéos familiales prennent les émissions télévisées pour modèles ou les parodient, sans disposer des moyens techniques qui permettraient aux vidéastes amateurs de s’en affranchir.

Comme pour tout médium hautement technique, la production d’une vidéo de qualité implique l’intervention d’un grand nombre de professionnels et l’utilisation d’un matériel coûteux. Croire que des particuliers pourraient rivaliser avec des sociétés de production à l’aide d’un camescope et d’un logiciel de montage est tout simplement naïf. Là où la photo, par le biais d’appareils numériques programmés pour produire une qualité standard sans intervention technique, est devenue accessible à tous, là où n’importe qui peut écrire un article d’encyclopédie (en consultant les sources d’informations existantes), la vidéo demeure encore une technologie exigeant un haut degré de qualification. L’utilisateur de base peut bricoler un film de dix minutes en montant des extraits de journaux de 20 heures, des photos et des séquences filmées au caméscope numérique, mais le résultat n’atteindra pas la qualité du moindre reportage télévisé.

La révolution de la vidéo partagée n’aura pas lieu ; les fabriquants d’images professionnels continueront à dominer le marché. Pas plus que les logiciels de composition musicale n’ont engendré l’explosion créative annoncée, les logiciels de création vidéo ne permettront à l’amateur de concurrencer les studios et les télévisions (ce lien). YouTube restera ce qu’il est : un reflet des émotions populaires, un joyeux capharnaüm en images, où vous trouverez la confession d’une jeune fille solitaire, le bizutage d’une classe de prépa, les délires érotiques d’un adolescent frustré et la parodie de clip vidéo fabriquée en une heure par des militants politiques.


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