Yvan Colonna : « Faites Entrer le Coupable »

par Marie-Ange
vendredi 13 novembre 2015

« Faites Entrer le Coupable » aurait été un titre plus approprié à l'émission diffusée sur France 2, le dimanche 8 novembre 2015, et consacrée à Yvan Colonna.

Car, sous une apparente neutralité, ce reportage était bel et bien à charge.

Le ton est donné dès les premières minutes. Dans sa présentation, la journaliste Frédérique Lantieri annonce : « Quand des membres du Commando, qui a assassiné Claude Erignac, ont parlé, lui, il a pris le maquis. Il s'est caché pendant plus de quatre ans ».

Et comme le dira plus tard dans l'émission le commissaire principal Frédéric Veaux, « Des gens innocents qui s'enfuient, j'en connais peu. Enfin, je n'ai pas d'exemple en tête ».

La culpabilité d'Yvan Colonna ne peut être qu'ainsi ancrée dans l'esprit du téléspectateur. Coupable et lâche de surcroît.

 

A la cinquième minute, la parole est donnée à l'avocat de la famille Erignac. Mais, Maître Benoît Lavagne n'est pas seulement l'avocat de la famille Erignac, il est également leur ami, et ses déclarations vont toucher la corde sensible : madame Dominique Erignac n'aura pas eu le temps de prévenir ses enfants de la mort de leur père, ils l'ont appris par les médias.

Il n'est alors plus question d'impartialité, de neutralité.

 

Ce n'est qu'à la quarante-troisième minute que la défense peut enfin s'exprimer, avec Maître Pascal Garbarini. Un temps de parole qui, remarquons-le, sera dérisoire : 9 minutes (en tenant compte du témoignage à décharge de Marie-Ange Contart) sur 1 heure 37 minutes que dure l'émission. 

Peu importe, puisqu'Yvan Colonna est coupable. Forcément coupable, puisqu'il s'est enfui. 

 

Et tout au long du reportage, seront distillées des demies vérités.

Ainsi lorsque le juge Gilbert Thiel affirme que le « Commando Erignac » s'est rétracté après, et seulement après, la lettre d'Yvan Colonna publiée dans le mensuel nationaliste corse « U Ribombu », il omet de préciser que cette lettre date du 5 janvier 2001. Or, Pierre Alessandri, qui est le premier à retirer ses accusations, s'est rétracté le 26 octobre 2000, lors d'une audition dans le bureau de la juge Laurence Le Vert. Soit, trois mois avant la publication de cette lettre. 

Demie vérité également lorsqu'il est fait état des noms donnés par l'informateur du préfet Bernard Bonnet, le dénommé « Corte ». Renseignements à l'origine de l'arrestation des membres du commando. Sur cette liste figurent bien les noms de Ferrandi, Alessandri et Colonna. Sauf que... il ne s agit pas d'Yvan, mais de son frère Stéphane.

Pour le juge d'instruction Gilbert Thiel, les mises en cause ont été circonstanciées. Elles ne peuvent être mises en doute.

« 24 heures avant la mise en cause de Didier Maranelli, sa femme donne le nom d'Yvan Colonna ». Sauf que... cette dernière déclare qu'Yvan Colonna est venu boire un café chez eux, à Cargèse, le lendemain matin de l'assassinat du préfet Erignac, le 7 février 1998. Sauf que... dans le même temps, la femme d'Alain Ferrandi, Jeanne Ferrandi, affirme, elle, qu'Yvan Colonna était avec son mari et Pierre Alessandri, à Ajaccio ! Stéphane Durand-Souffland, journaliste au Figaro, avait alors titré son article « Le don d'ubiquité de Colonna n'émeut pas les assises » (19 mars 2009). Un détail ? Sauf que... c'est à partir de cette déclaration qu'a été construite toute la théorie de l'accusation.

Vous avez dit « cohérentes » les déclarations des femmes des membres du Commando ? « Spontanées » ? Il a été prouvé que les gardes-à-vue ont été poreuses, que les époux Ferrandi ont été mis en présence l'un de l'autre, que les procès-verbaux de Didier Maranelli ont été présentés à Pierre Alessandri. Des procès-verbaux qui ne sont que des copier-coller, à la virgule près, à la faute d'orthographe près.

Le nom d'Yvan Colonna était inconnu des services de police, avant la déclaration de Didier Maranelli ? Il n a donc pas pu être « suggéré » aux gardés à vue. Sauf que... lors de l'enquête parlementaire, le 7 juillet 1999, Jean-Pierre Colombani, numéro trois du SRPJ Corse, déclare qu'ils ont soupçonné Yvan Colonna d'être le tireur, « vu son degré d'amitié avec Didier Maranelli et Alain Ferrandi », dès décembre 1998. A la question du président de la cour, « A ce moment, vous n'aviez pas des preuves formelles ? », Jean-Pierre Colombani répond : - « Non, nous n'en avons d'ailleurs jamais eues ». - « La seule preuve est les aveux ? ». - « La seule preuve est les aveux ».

A la question de Frédérique Lantieri sur les agissements d'Yvan Colonna le soir de l'attentat de Pietrosella et de l'assassinat du préfet Erignac, le juge Gilbert Thiel reste évasif, évoquant un probable repas d'Yvan Colonna avec son fils dans une pizzeria, à Cargèse. Mais il oublie d'ajouter que le restaurateur a témoigné en faveur d'Yvan Colonna, confirmant sa présence dans son restaurant, le soir de l'attentat de Pietrosella. A ce propos, je souhaiterais souligner les moqueries qu'a subies cet homme devant la cour. Le côté « pittoresque » et « simple » du personnage avait entraîné l'hilarité générale, y compris sur les bancs de la cour, de la partie civile. Alors face à ces rires méprisants, ce dernier avait déclaré, dans ses propres termes, que la mort d'un homme ne devait pas faire rire. Fermons la parenthèse, et ajoutons un autre témoignage. Celui de Sylvie Cortesi, habitante de Cargèse, qui atteste avoir vu Yvan Colonna sur la place du village. Des affirmations et des témoins oculaires qui disculpent Yvan Colonna, et qui n'ont jamais varié. Contrairement à d'autres.

Les policiers, commissaires et juges d'instruction se succèdent et martèlent : « Il n'y a pas de preuve matérielle ». Sauf que... on a bien retrouvé une empreinte digitale sur un ruban adhésif ayant servi à ligoter un gendarme, lors de l'attentat de Pietrosella. Mais celle-ci n'appartient a aucun des membres du Commando, et encore moins à Yvan Colonna. C'est d'ailleurs la défense qui a dû exiger l'examen de la dite empreinte. A qui appartient-elle ? Cela ne semble n'intéresser ni l'accusation, ni les juges d'instruction.

Soulignons le professionnalisme du commissaire principal Frédéric Vaux, patron du SRJ d'Ajaccio de 1998 à 2001, qui affirme que, je cite : « On veut des certitudes pour aller arrêter quelqu'un », évoquant ici l'arrestation d'Yvan Colonna. Oublie-t-il de dire qu'avant même l'arrestation des membres du Commando en mai 1999, plusieurs centaines de personnes ont été entendues, 347 gardées à vue, et 42 écrouées ?

Une nouvelle fois interrogé par Frédérique Lantieri sur les rétractations des membres du Commando, le juge Gilbert Thiel les balaie d'un revers de la main. Pas d'explications valables. Du moins, pour l'accusation. Puisqu'il faut savoir que les membres du Commando ont donné leurs explications, lors du troisième procès. Ils avaient évoqué une certaine rancœur à l'égard d'Yvan Colonna pour ne pas avoir voulu participer « aux actions plus dures » qu'ils projetaient. Certains l'avaient même suspecté d'avoir été l'informateur mystérieux du préfet Bernard Bonnet !

Nous avons donc des alibis, des témoins oculaires, une preuve matérielle démontrant que des participants à l'attentat de Pietrosella n'ont pas été arrêtés d'un côté, et des mises en cause contradictoires et incohérentes, des gardes-à-vue poreuses, des rétractations de l'autre. Que reste-t-il à l'accusation ? Comment a-t-on pu condamner cet homme à la perpétuité ?

 

Le réalisateur de cette émission aurait pu se pencher sur l'indépendance de la Justice, sur l'indépendance du juge d'instruction Gilbert Thiel qui se rend sur les lieux du crime le lendemain-même de l'assassinat du préfet Erignac, avant même d'avoir été officiellement saisi, et qui rappelle à cette occasion à un autre magistrat s'étonnant de sa présence, ses liens avec la victime. Anecdote rapportée par Irène Stoller, chef de la section antiterroriste du parquet de Paris, à l'époque des faits, dans le cadre de sa déposition sous serment, dans le cadre du rapport d'enquête parlementaire sur le fonctionnement des forces de sécurité en corse, en novembre 1999.

 

Il aurait également pu se pencher sur l'indépendance du procureur de la République de Paris en charge des poursuites dans les dossiers de l'attentat de Pietrosella et de l'assassinat du préfet Erignac. Jean-Pierre Dinthilac qui se prévaut en début d'instruction de son amitié avec le préfet assassiné, et désigne Yvan Colonna comme étant l'assassin, en violation de la présomption d'innocence, et adhère dès le début de l'instruction à laquelle il participe en tant que représentant de l'accusation, à l'association créée en mémoire de la victime.

Il aurait été intéressant de parler de la composition de la cour spéciale de justice qui a jugé Yvan Colonna. Ainsi, les deux juges qui ont été appelés à présider les procès de première instance et d'appel d'Yvan Colonna ont été désignés par le juge Jean-Claude Magendie, un proche d'un certain Nicolas Sarkozy. 

 

Il aurait été intéressant de décrire le climat politique de l'époque. L'assassinat du préfet Erignac est intervenu en pleine Cohabitation.

Un gouvernement qui n'a su protéger son serviteur. Malgré le communiqué du groupe Sampieru adressé au journal « Libération », puis transmis au ministère de la Justice qui annonce la dissolution du groupe, dénonce « la mégalomanie dangereuse » et « le jeu pervers » de ses chefs, en condamnant par avance les meurtres à venir, notamment celui de « représentants éminents de l’État colonial ». Seize jours plus tard, le préfet de région est abattu.

Un gouvernement qui n'a pas pris la mesure du climat qui régnait alors sur l'île. Aucun ministre ne fait le déplacement après l'attentat de Pietrosella.

Alors à défaut d'avoir protéger son serviteur, l’État va devoir le venger. Car il s'agit bien de vengeance, et non de justice. Et de vengeance au nom de « la raison d’État ».

 

Il aurait été également intéressant de parler de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme, qui titre son rapport : « Le procès Colonna : la justice antiterroriste dans l’impasse ». Mais en 9 minutes, temps imparti à la défense durant une émission d'1 heure 37, cela semble bien ardu.

 

Pour finir, il faut se rappeler que la question n'est pas de savoir si Yvan Colonna est innocent, mais de savoir s'il est coupable.

 

Dans un procès classique, rappelons le discours que le président adresse aux jurés : « Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X, de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime, de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration, de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection, de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter, de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ». 

 

En ce 11 novembre, permettez-moi de citer Georges Clemenceau :

« Une patrie sans Justice est une prison ».


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