Agriculture : le laisser-passer n’est pas une fatalité

par Laurent Herblay
samedi 10 février 2024

« Si on remet en cause les accords de libre-échange, c’est tout une part de l’agriculture française aussi qu’on prive de capacité exportatrice  » : Marc Fresneau s’est livré à un exercice tout macroniste, défendre en même temps les accords de libre-échange tout en disant s’opposer au Mercosur. Mais plutôt que de rester dans les postures superficielles qui prédominent dans notre pays et en Europe, mieux vaut regarder vers l’Asie pour constater qu’un autre modèle agricole existe.

 

Fortement protéger ses agriculteurs, c’est possible

Gabriel Attal n’a pas été si prolixe sur l’agriculture dans son discours de politique générale. Bien sûr, parler d’une « exception agricole française  » pourrait être intéressant, mais ce gouvernement tord tellement les mots en disant l’inverse de ce qu’il fait, et inversement, qu’il est difficile d’en attendre quoi que ce soit. D’ailleurs, il avait bien conscience de n’avoir proposé que des mesures techniques dérisoires puisqu’il a cru bon devoir dire que le gouvernement « ne résoudra pas la crise agricole en quelques jours  ». Nous sommes exactement dans le même cas de figure que lors des Gilets Jaunes, à savoir des demandes très claires (alors, plus de justice sociale et plus de démocratie) auxquelles le gouvernement ne veut pas répondre car cela lui imposerait de renier l’ensemble de la politique qu’il mène depuis 2017.
 
Dans le cas des agriculteurs, leurs demandes sont finalement assez simples : pouvoir gagner dignement leur vie avec leur métier (alors qu’un tiers d’entre eux gagnaient 350 euros ou moins, dont une trop grande partie carrément en déficit) et mettre fin à la concurrence déloyale de produits venus de payer aux règles sanitaires tellement moins contraignantes que les nôtres. Bien sûr, l’exécutif a annoncé vouloir bloquer le Mercosur, limiter les importationss venant d’Ukraine par des quotas, et imposer des clauses miroirs pour s’assurer que les produits qui rentrent en France doivent respecter nos normes, pour ne pas faire une concurrence déloyale à nos agriculteurs. Mais on sait qu’entre la parole et les actes, il y a souvent un grand écart. D’abord, d’autres accords commerciaux sont déjà passés, comme avec la Nouvelle Zélande, et tout le cadre de l’UE va contre les clauses miroir, au nom de la liberté de circulation des biens.
 
Mais surtout, les pays asiatiques montrent depuis des décennies, comme la CEE en son temps, qu’il est parfaitement possible de s’ouvrir raisonnablement au monde tout en protégeant son modèle agricole. Il n’y a que l’UE pour s’ouvrir autant aux importations alors même que ceux qui lui vendent restent largement fermés. Comme pour l’automobile (plus de 90% des véhicules vendus au Japon, en Corée du Sud et en Chine sont fabriqués dans leur pays), ces pays, comme bien d’autres, ont choisi d’assurer une vraie souveraineté agricole. Comme The Economist l’avait rapporté, le Japon osait des droits de douane de 300% sur le riz, et la Corée du Sud de 200%, quitte à assumer un prix bien plus élevé qu’ailleurs. Tout ce que vendent ces pays, et leur petite taille aurait pu les pousser à négliger leur agriculture. Mais ils préfèrent protéger leurs agriculteurs et avoir un prix de l’alimentation rémunérateur, en se coupant du marché mondial, par des droits de douane, mais aussi de multiples autres mécanismes protectionnistes.
 
Sans cet arsenal, impossible de protéger nos agriculteurs des eaux froides des marchés globalisés qui ne tournent que pour une petite oligarchie. Il est intéressant de voir la révolte paysanne faire tache d’huile dans tant de pays européens, ce qui montre bien que le problème ici, c’est bien l’UE. La déconstruction de la PAC originelle, qui protégeait les marchés européens par des prix minimums et des quotas est une monstruosité en aucun cas nécessaire, tant les pays asiatiques montrent qu’il est parfaitement possible de s’ouvrir au reste du monde, tout en assumant une forte exception agricole. Malheureusement, il faut noter une nouvelle fois ici le rôle de l’Allemagne et de ses satellites, qui ont poussé à la déconstruction de la PAC pour obtenir l’ouverture de nouveaux marchés à leur industrie sans que nos dirigeants s’y opposent vraiment, comme il faut aussi le reconnaître, malheureusement. Mais le cas asiatique montre qu’il est parfaitement possible de vendre à l’étranger sans sacrifier le moins du monde son agriculture.
 
Si l’exécutif a gagné du répit avec la fin d’une grande partie des blocages, en ouvrant son chéquier et en annonçant de nombreuses mesures à tonalité protectionniste, il y a fort à parier qu’au bout du compte, si le prix des produits agricoles ne monte pas, les agriculteurs verront bien que les réponses n’étaient que conjoncturelles et que les annonces structurelles ne trouvent pas effet. Dans ce cas-là, on peut penser qu’une saison deux de cette révolte pourrait bien alors démarrer.

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