Le procureur Badinter accuse le criminel de guerre Poutine !

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 3 mai 2023

« Je pense que nous ne réalisons pas assez, nous Français, qu'il y a une guerre en Europe, aujourd'hui, à deux heures d'avion de Paris. » (Robert Badinter, le 26 avril 2023 sur France Inter).
 



Lorsque j'ai évoqué la figure de Robert Badinter qui venait d'avoir 95 ans il y a un mois, j'expliquais pourquoi il était très écouté. Comme juriste, comme constitutionnaliste, comme politologue, comme pénaliste, comme historien, comme enseignant (professeur agrégé), et même comme sociologue et comme écrivain (voire dramaturge !), ses avis comptent d'autant plus dans une société française en perte de repères qu'ils sont rares et précieux.

L'ancien ministre est certes une icône un peu trop facilement affichée, haut bourgeois, sans problème d'argent, vivant dans les beaux quartiers, et il a l'humilité des très grands, qui lui a fait refuser des décorations comme la Légion d'honneur ou le Mérite.

Mais Robert Badinter est tout sauf un animal politique. S'il a eu de grandes fonctions politiques, elles n'étaient qu'octroyées par la grâce de son ami et client François Mitterrand. Il n'a jamais compris un congrès du parti socialiste (peu comprennent d'ailleurs), il n'a jamais su se rendre indispensable politiquement, il n'a jamais eu de chef, de courant, d'écurie, de lieutenants, de bras droits, de disciples... Il n'a jamais compris pourquoi la communication politique avait supplanté la politique elle-même, ni pourquoi les directeurs des instituts de sondage étaient désormais les politologues les plus interrogés.

En ce sens, il est très différent du Président actuel Emmanuel Macron, mais plus généralement de tous ceux qui recherchent le suffrage des électeurs : il ne peut pas comprendre le principe du selfie et encore moins de la personnalité politique en tant que star d'un jour, dans un lieu et un temps donnés. Il conçoit l'histoire d'abord comme une gravité.

Probablement que ce n'est pas le fait d'être avocat qui lui a donné cette distance peut-être nécessaire avec ses contemporains qui peuvent l'admirer mais qui ne le connaissent pas vraiment. J'avais remarqué que c'était aussi le cas de Simone Veil (dont il a préfacé un livre en 2016). Or, les deux ont eu une histoire pas si différente : leur chair a été meurtrie par la Shoah. Robert Badinter avait 14 ans en 1942. Il a failli être arrêté par la gestapo, tandis que son père, Juif d'origine moldave, a été déporté et assassiné par la folie nazie dans un camp d'extermination, son oncle également. Il porte en lui cette tragédie dont on ne peut jamais se remettre complètement. Après une telle adolescence, les futilités de la quotidienneté politicienne peuvent échapper à l'entendement.

J'ai fait cette longue introduction pour insister sur le fait que Robert Badinter ne parle jamais pour ne rien dire et que lorsqu'il ouvre la bouche, il est très écouté. C'est peut-être pour cette raison que certains aujourd'hui viennent l'accuser de tous les maux, lui reprochent son âge (alors qu'on aimerait voir comment eux-mêmes seront ou seraient au même âge), et plus généralement, lui reprochent d'être riche (jalousie) voire, mais sans le dire vraiment, Juif (selon une tradition antisémite encore très prégnante bien que délictuelle que les aspérités de l'histoire, malgré tout, n'ont pas réussi à totalement emporter).

Or, ces derniers jours, Robert Badinter s'est beaucoup répandu dans les médias, une offensive médiatique, dans les matinales, sur France Inter le mercredi 26 avril 2023, sur Radio Classique le vendredi 28 avril 2023, il était, le même jour, l'invité spécial successivement de LCI puis de BFM-TV.

La raison ? Il a coécrit un réquisitoire sans pitié contre le Président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine dont il a évoqué la pulsion : « On en a un exemple avec l'Ukraine, qui a résisté à une agression de sang-froid, préméditée, c'est pourquoi on parle de crime. Il avait médité et préparé ce coup-là, qui est la négation absolue de la paix et de la diplomatie. », a-t-il expliqué à Léa Salamé sur France Inter le 26 avril 2023.

Il veut que Vladimir Poutine soit jugé pour les crimes qu'il a commis : « C'est la multitude des crimes commis contre les civils, les bombardements d'hôpitaux, d'écoles, les viols collectifs... C'est ça, l'horreur de la guerre. Les Ukrainiens et la Cour pénale internationale récoltent les preuves. Pourquoi ? Parce qu'on s'est aperçu, au moment du conflit en ex-Yougoslavie, qu'après coup, c'était très difficile de réunir ces preuves, et qu'il fallait aussitôt le faire, de façon à ce que l'accusation soit prête. ».



On notera d'ailleurs que Robert Badinter n'a jamais oublié la guerre de l'ex-Yougoslavie, mais qui restait un conflit régional tandis que le conflit ukrainien met en jeu la Russie (fauteuse de guerre) et il pourrait dégénérer en conflit mondial : « On l'oublie. Moi j'ai connu la guerre, je sais ce qu'est la guerre, et elle existe, elle est là. J'imagine simplement, et ce n'est pas qu'une invention de l'esprit, ce qui se passerait si un drone égaré ou un hélicoptère touché s'abattait sur une région truffée littéralement d'usines atomiques. Ce serait Tchernobyl multiplié par quatre ! ».

Robert Badinter rappelle qu'il a connu la guerre et il ne reste plus grand-monde pour en dire autant. Kiev était une capitale aussi paisible que Paris, Londres, Berlin, Rome il y a seulement deux ans. Le pays est devenu la cible d'une lubie outrancière et meurtrière qui peut avoir ses similitudes avec la Seconde Guerre mondiale : « Chaque conflit a ses particularités, ses sources, mais quand je regarde l'agression commise, [Vladimir Poutine] disait que c'était pour empêcher le génocide des Russes par les Ukrainiens dans le Donbass. C'était au début ! Comme il n'y a pas la moindre preuve de ce génocide, il a laissé de côté cet argument. C'est le type même de la propagande totalitaire : il suffit de regarder les discours de Goebbels ou Hitler pour mesurer qu'il y a un constant mépris de la vérité et de l'interlocuteur. ».

Alors, bien sûr, on voudra maugréer le vieillard avisé quand il fait le lien entre la guerre en Ukraine et la réforme des retraites : « Au même moment où nous faisions passer la semaine de travail à 40 heures, Hitler faisait passer à 60 heures dans les usines allemandes tout ce qui concernait la défense nationale... Et tout concernait la défense nationale. Il y avait une espèce d'aveuglement, on ne voyait pas, ou bien on ne tirait pas les conséquences de ce qui se passait de l'autre côté du Rhin. Et là, je vois les défilés, justifiés, à propos de la question des retraites : mais la première question, c'est la paix et la guerre. Parce que ce ne sera pas l’allongement de l'âge de la retraite, ce sera la vie et la mort. C'est ça, la guerre ; c'est la vie et la mort. » (notez bien qu'il a qualifié les défilés de justifiés, ce n'est pas cela qu'il remettait en cause, même si lui-même ne connaît pas le mot retraite encore à 95 ans !).

Sur Radio Classique le 28 avril 2023, Robert Badinter est revenu sur le sujet : « Si on avait dit à Göring, le numéro 2 du Reich qu’il allait être jugé à Nuremberg par une juridiction pénale internationale, il aurait ricané. Le dictateur en exercice ne croit jamais qu’il peut se retrouver un jour devant une Cour pénale internationale. ». La grande nouveauté depuis la Seconde Guerre mondiale, c'est que les États se sont dotés d'une « justice pénale internationale dont le premier modèle a été Nuremberg ». Et l'expérience de la guerre civile en ex-Yougoslavie a montré qu'il fallait collecter les preuves des horreurs au moment même où étaient commises ces horreurs. Insistons !

Sur LCI le 28 avril 2023, Robert Badinter a mis cependant un préalable au possible procès : « L'avenir n’est pas écrit d’avance. Et s’agissant des dictateurs, il serait bon et juste qu’un jour, ils répondent de leurs crimes (…). Soyons réalistes : aussi longtemps que Poutine sera Président de la Russie, maître incontesté du pouvoir, je ne crois pas qu'on puisse espérer le traduire en justice (…). L’histoire nous enseigne que les dictateurs d'aujourd'hui font les accusés de demain (…). Évidemment, c’est l’histoire qui doit parler. Je veux dire par là que Poutine ne doit plus être Président de Russie ! ».

Ce réquisitoire est publié dans "Vladimir Poutine : l'accusation" (éd. Fayard), coécrit avec un ancien président de chambre à la Cour pénale internationale Bruno Cotte et un ancien président de la Commission du droit internationale des Nations Unies Alain Pellet.



Sur BFM-TV, toujours le 28 avril 2023, Robert Badinter a abordé plus longuement la réforme des retraites et sa validation globale par le Conseil Constitutionnel : « Le Conseil Constitutionnel est toujours critiqué par ceux qui sont demandeurs de l'annulation (…). Dans la vie judiciaire, il est rare que celui qui a perdu son procès ne maudisse pas ses juges, le Conseil Constitutionnel n'échappe pas à cette loi commune. ». Parole avisée d'ancien Président du Conseil Constitutionnel. Que ceux qui le critiquent sur cette question de la constitutionnalité de la réforme aient montré autant de compétences que Robert Badinter dans le domaine juridique et constitutionnel !

Il ajoutait : « Quand je vois nos compatriotes se mobiliser, comme je le comprends, à propos de la retraite, on voit qu'ils n'ont pas vécu la guerre. ». Il a toutefois considéré qu'il n'y avait pas de crise démocratique : « Comme il sied dans une démocratie, le pays choisira. ». Ce qu'une majorité fait peut être défait par une autre majorité. C'est l'exercice de la démocratie. Histoire de dire que la bataille des retraites, elle ne se situe par le 1er mai 2023 sur le pavé parisien, mais elle a déjà eu lieu le 10 avril 2022 dans urnes.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (29 avril 2023)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
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