2007, populismes, année inutile

par Bernard Dugué
vendredi 23 juin 2006

Autant l’accepter, la course pour l’Elysée a commencé avant même la trêve des vacances. Décidément, les politiques et les médias ne nous accordent aucun répit. Et chaque candidat à la candidature de nous abreuver de sa manière de voir, non pas le monde, mais l’action politique (son monde), et de signaler quels thèmes seront essentiels, tout en se réclamant d’un projet, et surtout en décrédibilisant l’adversaire. Pas facile d’être politicien. Le plus puissant des ordinateurs aurait subi un infarctus (un bug) depuis longtemps. La gent médiatique s’affaire autour des manœuvres politiciennes.

Et la communauté des internautes relaie à sa manière les questionnements que les élites instruisent. Les uns pratiquent le down top et les autres l’inverse, autrement dit, les élites voient le monde de leur point de vue, derrière les vitrines et autres tableaux de bord pour VIP, alors que les internautes sont immergés dans le « monde réel » et tentent de faire remonter leurs idées vers les centres décisionnels. De ce mélange des points de vue se dégagent parfois quelques lignes cohérentes. Les médias évoquent les tendances populistes en Europe et ici, les phénomènes autour de Sarkozy, Royal et Le Pen, tandis que sur le Net les blogueurs suivent le mouvement, accompagnés par les rédacteurs d’AgoraVox. Le social-nationalisme y est évoqué, autant que l’éventualité d’une présence de Le Pen au second tour en 2007. Voir ici ou ici ou ici ou ici

Un peu d’histoire. La version canonique de l’histoire admet que le XXe siècle a été le théâtre d’un combat idéologique mais aussi économique, politique et militaire, ayant conduit au triomphe de la démocratie contre les deux systèmes totalitaires adverses que furent le fascisme et le communisme. Bref, triomphe de la liberté, de l’Etat de droit et de la libre-entreprise. Cette thèse est recevable, bien qu’elle masque quelques subtilités ; mais elle reste opérationnelle pour penser le cours du monde dans ses orientations générales. L’ère du fascisme et du communisme est révolue. Actuellement, ce qu’on appelle les populismes, de droite ou de gauche, n’ont rien de totalitaire. Tout au plus, on les prendra pour des systèmes peu ou prou coercitifs mais pour l’instant, assez anodins, sauf pour les populations en marge. Comme le dévoile ce politologue bulgare, les populismes avérés et investis en Europe centrale ne sont pas opposés au libéralisme, et c’est pour cela que les libéraux les tolèrent, du moment que les affaires peuvent prospérer. Cela dit, brandir le populisme dans un éditorial est chose facile pour dénigrer le peuple, et ceci dans le cadre d’une opposition élite-peuple qui caractérise le populisme sans en épuiser les différentes facettes, nationalistes, sécuritaristes, xénophobes, et j’en passe.

En bref, les différents populismes semblent constituer des sortes de synthèses (hégéliennes ?) entre la démocratie et les anciennes idéologies. Voilà pourquoi les uns accusent Sarkozy de fascisme et les autres Besancenot ou Buffet de stalinisme. Ce qui ne fait guère avancer le débat. Tout au plus, on admettra que des penchants populistes s’expriment à l’UMP et au PS avec des variantes relativement étatiques ou relativement anti-étatiques. Les uns optant, comme Ségolène Royal (qui pique le thème à Fabius) pour un Etat protecteur face à la mondialisation, les autres comme Sarkozy (imitant Madelin) préférant moins d’Etat pour une meilleure croissance face à la mondialisation et une lutte économique pour celui qui veut travailler plus dans la société.

Si histoire il y aura, avec comme sens la démocratie, la République, la liberté, alors le combat ne sera pas tant économique (la croissance ne rend plus les gens plus intelligents ni meilleurs), militaire (plus d’affrontements violents), politique (le pouvoir central et médiatique ayant trouvé ses limites) que personnel, et spirituel. En une formule, la seule espérance de progrès repose sur ce hiéroglyphe mystérieux où quelques questions fondamentales furent posées, en Mai 68, à l’occasion du Festival de Woodstock, à travers ces quêtes spirituelles d’une tradition dégagée de tout emprisonnement de l’esprit tel qu’il fut appliqué, pour le meilleur et pour le pire, servant de béquille, par les institutions religieuses et politiques de la modernité. Le phénomène actuel des populismes et autres tendances nationalistes montre que les sociétés ont encore besoin de ces béquilles, ou alors qu’une ruse des pouvoirs fait en sorte de ne pas faire prospérer les voies de l’affranchissement.

Il se peut bien que les luttes politiques et idéologiques soient achevées. A quoi bon combattre Sarkozy si ce n’est pour laisser l’initiative à Ségolène, et inversement ? Quant aux extrêmes, autant les écarter du terrain démocratique en les censurant dans les urnes, mais les laisser s’exprimer pour ce qu’ils témoignent en termes de combats symboliques. L’avenir se joue autant dans les esprits que dans les productions économiques. L’âge du progrès politique est achevé, et c’est ce qui inquiète les individus, que les partis aux tendances populistes tentent de rassurer. Quand les individus auront retrouvé la voie de l’intelligence, de la confiance, en soi, pour soi, en l’autre, alors de cette nouvelle énergie, solidaire mais nullement totalitaire, émergeront des sociétés inédites. Pour l’instant, contentons-nous de décréter les élections de 2007 comme nécessaires, mais inutiles.


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