2011 s’annonce comme une année calamiteuse en politique

par Bernard Dugué
jeudi 30 décembre 2010

Le journal Marianne titre sur un Jean-Luc Mélenchon dépeint comme un Raffarin d’extrême-gauche. Cette formule m’interpelle car elle n’a aucun sens. D’ailleurs, je crains le pire en 2011, année préélectorale où les journaux vont y aller franco dans les petites formules et autres petites phrases pour éclairer une petite actualité politique dont l’intensité proche du bas bruit impose que les médias utilisent quelques amplificateurs de signal afin d’attirer le lecteur vers l’information. Tout récemment, nous avons eu droit à un échange sur le courage de DSK qui, selon le nouveau président du groupe UMP, aurait peur d’affronter Sarkozy, ce qui a valu une riposte d’un porte-parole du PS pour une réplique de circonstance, DSK, même pas peur ! En 2011, nous aurons droit à une flopée de phrases prononcées par des porte-parole. D’ailleurs cette fonction de porte-parole semble assez récente dans notre histoire politique. Peut-être verra-t-on quelque similitude avec le monde du commerce où l’équivalent se nomme chargé de communication. Curieusement, la vie politique locale recrute des chargés de communication censés expliquer ce que fait le maire pour sa commune, étant sous-entendu que le maire travaille bien et se met au service de l’intérêt public ce qui, traduit en langage de vérité sans analyse herméneutique (c’est inutile), signifie, votez pour moi aux prochaines élections. Les porte-parole des formations politiques nationales ont pour fonction précise de parler. Car il est des moments où il faut parler et d’autres où il faut se taire. Enfin, c’est juste la règle de bon sens pour le commun des mortels. Se taire est une faute quand on fait de la politique. Il faut parler, le plus souvent, pour montrer qu’on a des choses à dire et se faire inviter régulièrement dans les shows médiatiques pour parler de la politique. Ceux qui parlent sont-ils comme ces vantards en amour dont on dit que ceux qui en parlent le plus ce sont ceux qui en font le moins. Ainsi, il y a comment la politique se fait et dans ce domaine, c’est parfois opaque. Sans doute est-il préférable que le citoyen lambda ne sache pas comment se fait la politique, ni qui elle sert et quelles intentions elle nourrit. C’est pour cela que les porte-parole ont souvent pour tâche de parler des actions du gouvernement. Cela s’appelle de la pédagogie. Souvent, la pédagogie ne fonctionne pas et les politiques le reconnaissent volontiers. Nous avons manqué de pédagogie ! Traduction : les citoyens ont quand même compris qu’on les a un peu entubés malgré tous les efforts de communication déployés pour les persuader du contraire.

Revenons à ce Mélenchon qui raffarine à l’extrême gauche. La raison invoquée ? Mélenchon fait l’éloge de la Chine, tout comme Raffarin. C’est un peu rapide comme conclusion. Marianne nous a habitués à mieux. Raffarin dit du bien de la Chine, quoi de plus naturel en somme puisque l’ex locataire de Matignon est chargé d’entretenir des bonnes relations avec ce pays dont les réserves monétaires lui permettent d’acheter nos avions et nos centrales. Alors que Mélenchon, il note tout simplement que le Portugal et d’autres pays européens se renflouent grâce à la Chine et se plaît à ironiser sur tous ceux qui lui sont tombés dessus lorsqu’il se démarqua sur la question du Tibet, refusant de céder à la vindicte anti-Pékin au nom des droits de l’homme. Raffarin aime la Chine parce que la France fait des affaires alors que Mélenchon fait ses propres affaires médiatiques, dénonçant des hypocrisies classiquement diplomatiques. Mélenchon ne fait pas l’éloge de la Chine mais la sienne, autrement dit sa promotion qui passe par un plan d’occupation des médias, comme ce sera le cas du reste pour tous les gradés des formations de l’échiquier politique en 2011.

La vie politique en 2011 promet d’être aussi divertissante et amusante qu’une émission de télé réalité, avec quand même des réflexions et un vocabulaire plus élaborés que dans les dialogues de Secret Story. Mais nous comptons bien sur quelques porte-parole pour lancer quelques phrases rigolotes dépourvues de sens. Si BHL commet quelques bévues, alors gageons que la mode sera aux lapsus politiciens non sans quelques attaques tranchantes car dans la télé réalité, il y a toujours des méchants, comme c’est le cas dans Koh Lanta. Bref, attendons-nous à une vie politicienne marquée par les petites phrases, les médias, les attaques personnelles, les combats de chefs, les luttes pour se placer, se faire valoir auprès des plus hauts responsables car il y a des places à prendre. Cette tendance n’a fait que s’amplifier d’année en année, depuis quelques décennies, alors que s’estompait la figure du serviteur de l’Etat dont il reste quelques représentants dont la conviction semble avérée. Un Villepin, un Mélenchon, un Chevènement, un Hollande, comptent parmi ces figures un peu décalées mais dont on pressent qu’il ont quelque sollicitude pour le pays. Le reste, un spectacle pitoyable dont on taira les noms par souci d’équité et pour ne pas imposer au lecteur une page entière de bottin téléphonique. Le spectacle donné récemment n’incite pas à l’optimisme. La sincérité des engagements ne résiste pas à la vérité de quelques nominations d’ex membres du gouvernement placés au parlement européen, à l’Unesco, au Conseil économique et social. Les politiciens se battent pour leur carrière et un peu moins pour les idées dont ils se servent plutôt qu’ils ne les servent. Cela se voit surtout à droite mais si la gauche était au pouvoir, on assisterait également à ce genre de valse, avec certainement un peu plus de retenue, la gauche ayant encore quelques réticences éthiques à afficher cette insolente désinvolture des commensaux que pratique une droite décomplexée.

Comme dirait Aristote, la tendance est bien établie et la raison comprend. La feuille de route des politiques en 2010, c’est gérer les services publics, assister la croissance économique, faire entrer l’argent dans les caisses de l’Etat. Le jeu politique consiste moins à défendre ses convictions que ses positions pour une tactique visant à occuper une place. Est-ce la faute au manque d’horizon idéologique ou à l’individualisme des carriéristes ? Les deux causes sont peut-être liées. Un prochain jour, dans 50 ans, les historiens reviendront sur notre époque en jaugeant que les gouvernants et les gestionnaires du pays ont gaspillé entre 1990 et 2010 l’avenir de la France, pratiquant une gestion laxiste pour aboutir à une dette interdisant tout projet nécessitant des moyens financiers. En 2011, les options praticables reposent sur un délestage. Quels postes supprimer ? Voilà ce qui devrait être le débat si les politiques ne mentent pas en 2011. Cela dit, la situation n’est pas bloquée et si le courage sert l’imagination et les innovations, une transformation de la société peut se produire mais il manque la voie et les caractères bien trempés. Alors l’accent est mis sur la réforme. Qui est par essence une question de moyens. Or, dans l’existence, le sens est livré par un horizon ouvert dans l’avenir où s’entrelacent les fins, nous dirait Gadamer. Une civilisation s’étiole sans les mythes ajouterait-il en faisant allusion à la seconde intempestive de Nietzsche. Je n’irai pas plus loin dans cette digression hautement philosophique. Nous vivons certes dans l’Histoire, souvent à notre insu, mais nous ne pouvons échapper à l’actualité qui dès que les chaînes sont branchées, nous inonde de banalités, y compris dans le champ politique qui s’annonce plutôt pénible pour ceux qui ont le souci de la société, laissant augurer pour les badauds du Net et des journaux matière à gaspiller leur temps à lire les potins et écrire sur l’insignifiance, car tel est le signe de notre époque en 2011.


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