2012, une campagne sans saveur qui précède les temps apocalyptiques

par Bernard Dugué
samedi 14 avril 2012

En conversant lors d’un café citoyen avec quelques amis de passage, l’idée d’une campagne bizarre a été évoquée. Je rectifie, pas bizarre mais singulière. Les propos lus dans la presse se confirment. Les citoyens ne sont pas passionnés par les prestations des candidats et ce ne sont pas les foules déplacées par Jean-Luc Mélenchon qui changent l’appréciation. Une bonne majorité des français ira voter mais sans passion, sans rien attendre, d’autant plus que les sujets importants n’ont pas été débattus. N’incriminons pas les politiques, ils sont coincés entre la puissance des marchés financiers (dont il faut dire qu’ils servent les épargnants moyens et fortunés) et les demandes insatisfaites des citoyens. Qui de plus en plus, cessent de croire que la politique puisse résoudre leurs problèmes, pour de bonnes et mauvaises raisons. Cette élection est donc bien singulière, tant par son contenu, assez vide, que son style, agressif, parfois violent, quelques fois colérique ou humoristique, visant les adversaires, flattant les bas instincts du peuple, incitant les citoyens à craindre l’avenir, ou bien les invitant à aboyer contre une catégorie d’individus, les assistés, les capitalistes, les immigrés. Et comme un chien ne fait pas qu’aboyer, il faut bien mettre en ligne de mire un bifteck. Pour les jeunes, ce sera le permis de conduire et pour les vieux, le versement de la pension le premier jour du mois. C’est la première campagne où tant de petites promesses faites de détails prosaïques sont proposées aux électeurs.

Quelle interprétation pouvons-nous suggérer en observant et analysant cette singulière campagne ? Des idées simples en vérité. La perte de croyance dans la politique comme on l’a déjà dit mais aussi le poids de cette dette qui rend impuissants la plupart des candidats dont les marges de manœuvre budgétaires sont très limitées. C’est un peu comme le père Noël qui n’a plus trop de sous pour acheter les jouets et les mettre dans sa hotte. Il ne peut pas promettre grand-chose aux enfants. Alors Bayrou se propose de conduire le bus des enfants en faisant monter un père Noël qui n’a rien dans sa hotte. Voilà donc un premier niveau d’analyse qui ne doit pas occulter les fondamentaux d’une société parvenue à un stade de développement très élevé, alors que l’individualisme règne souvent et que les valeurs et la morale sont elles, sous-développées. Un consumérisme de masse se développe. Une addiction aux divers gadgets et aux objets technologiques. Une dépendance face à cette technologie devenue onéreuse, considérée comme indispensable, imposant alors d’avoir le plus de revenus possibles. Les produits mis sur le marché s’améliorent, fascinent, surtout dans le moyen et haute de gamme. Les individus sont affectés et quelques uns s’oublient, agissant parfois dans les limites de la déontologie, voire de la légalité. Alors que d’autres individus sont eux, carrément oubliés du système, du monde du travail, de l’accès aux biens et services. Allez, on ne va pas blablater des pages entières sur ce constat assez convenu.

Soyons réalistes. Un constat général doit associer la situation de l’Etat français et la condition générale de la plupart des Français en terme psychosocial et moral. On comprend aisément que l’adhésion à un programme de candidat ne suscite aucun enthousiasme, d’autant plus que ces programmes ne peuvent pas revêtir de grandes réalisations. On pense que les élites sont coupées de la société mais de ce malentendu ressort un consensus secret. Les Français jouent le jeu de l’élection et sont prêts à élire celui qui est le plus présentable, le plus compétent, le plus honnête ou bien qui plaît le plus et suscite la sympathie. Quant aux candidats, ils jouent le jeu, nous servant la comédie de gens respectables, sérieux, attentifs au pays, décidés à offrir leur compétence pour gérer la France ces cinq prochaines années en promettant qu’il n’y aura pas de scénario du pire façon Grèce. Il y a donc une entente secrète entre ceux qui n’attendent rien et vont voter et ceux qui veulent les suffrages et font semblant d’avoir des solutions. Une mention spéciale à Philippe Poutou qui, en jouant le clown face aux médias, offre une prestation d’une grande sincérité. Quant au consensus, citoyens et dirigeants s’entendent sur la préservation d’un modèle social qui inexorablement, se transforme en devenant moins social. Pays immergeant dira-t-on. 

La situation de la France ressemble à celle de bien des pays les plus avancés. Il est difficile de lire l’avenir. J’ai le sentiment qu’après les cinq ans de transition de la présidence Sarkozy, nous aurons encore cinq ans de transition, avec un gouvernement qui changera peut-être pour mener une politique ne peut pas changer car les déterminants socio-économiques sont d’une puissance incroyable, rendant les politiques impuissants. Pendant cinq ans, la France va résister en maintenant un niveau développé mais avec une fracture sociale évidente. Chacun jouera sa partie personnelle mais des solidarités vont se maintenir. Le monde ne va pas exploser car toutes les parties ont intérêt à maintenir le système sans conflit majeur mais dans quelques pays, la guerre persistera. Finie la ruse de l’Histoire et les grandes guerres. Place à la ruse de la Technique. Le monde est une machine désirante et dévorante de matérialités. Les pays ont les dirigeants qu’ils veulent et qu’ils méritent dans les démocraties, régimes dont la somme des PIB dépasse les 90% du PIB mondial.

Connaître l’avenir suppose d’en savoir un peu sur le passé. La trajectoire suivie par les pays développés est linéaire. La France a suivi ce rail dès 1983. Autant dire que cela fait trente ans que le pays est dans la voie de la croissance technique et du consensus consumériste faisant que l’action des politiques ne fait qu’accompagner le processus de production et de consommation avec le développement d’infrastructures étatiques. En dépit des différences idéologiques et des alternatives diffusées dans les médias, surtout en France, le consensus consumériste et productif est devenu un consensus de masse profondément ancré dans les âmes. Rien d’étonnant à ce que la campagne de 2012 prenne les contours qu’on constate. Le système va persister pendant un quinquennat, voire deux ou trois.

L’évolution du système dépendra peu du politique, sauf en cas d’alternative claire qui pourrait se dessiner ce qui suppose une division idéologique puissante, chose étonnante puisque les sociétés avancées ont évolués vers un rapprochement idéologique. Cette division sera donc inédite. Le cours de cette campagne désespère autant les Français que les analystes et les journalistes de cirque politicien, tel cet interviewer de RTL et Canal, un gars sympa qui a acquis toutes les tares du parvenu, comme tant d’autres. Pourtant, cette désaffection du politique est un moment important, révélateur. Il annonce les temps nouveaux. Mais pour l’instant, il n’y a pas de nouvelle division idéologique car les gens, les intellectuels et les dirigeants ne pensent pas assez. Il est assez confortable de se lover dans la vulgate du consensus consumériste et productif et de la régulation protection du modèle social mais pour combien de temps ?

Voyons cela dans une perspective longue, étant entendu que la gouvernance du modèle social immergeant peut durer des années avant que ne se fasse sentir les effets de la pénurie des matières premières, de l’énergie. Deux options, l’une policière et dictatoriale. Sous réserve d’une autre option entre l’alternative des gens résilients et résignés et celle des insurgés et révoltés dont on ne voit qu’une préfiguration incertaine dans les meetings de Mélenchon et les discours de l’extrême-gauche. Si les gens se révoltent, la réponse du pouvoir sera dure et nul ne sait où sont capables d’aller les élites pour préserver le système. Holocauste mondial ? Non, mais peut-être pas si loin qu’on ne le pense. Autre option, celle d’un avènement de la pensée et d’un éveil spirituel généralisé. Cette éventualité n’est pas la plus plausible, reposant sur des éléments gnostiques d’inspiration chrétienne, soufie et kabbalistique. Mais si la pensée et la sagesse adviennent, une division politique inédite émergera et cette fois, l’engagement politique sera bien plus clair et passionné qu’en 2012. L’époque que nous vivons pourrait aboutir à un enlisement dans les marécages de la matière ou bien se révéler passionnante en cas d’éveil spirituel. Une révélation, une apocalypse et un enjeu entre les lumières et les ténèbres.


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