40% des grecs sont sans couverture sociale

par Jacques Arfeuillère
mercredi 19 juin 2013

La Grèce pays développé, c’était il y a 4 ans. Aujourd’hui dégringolée au rang des pays émergents, elle n’en finit pas de souffrir malgré la résistance d’une population combative qui n’accepte pas le diktat d’une Troïka désormais ressentie comme une force d’occupation. L’exemple de la santé à travers le témoignage d’Emmanouel Kosadinas, médecin grec, rencontré grâce au Collectif 86 pour un audit citoyen de la dette publique.

« Ils ont gardé le bébé en otage parce que la maman ne pouvait pas payer l’accouchement ! » C’était il y a quelques semaines, une de ces situations monstrueuses, devenues ordinaires dans un pays où le ministère de la santé a donné ordre aux hôpitaux de ne pas soigner les patients qui ne sont pas en mesure de régler leurs soins. C’est-à-dire pas moins de 40 % d’une population qui se retrouve désormais sans couverture sociale. Comment est-ce possible ? il suffit d’additionner les chômeurs qui n’ont pas travaillé depuis un an, et ils sont nombreux dans un pays qui atteint un taux de 40% de chômage (60 chez les jeunes), les professions indépendantes qui n’ont pas les moyens de payer leur caisse, les entrepreneurs en faillite et leurs familles, les nombreux travailleurs au noir embauchés par des petits patrons eux-mêmes dans la misère et tous ceux qui sont en situation irrégulière. Voilà, plus du tiers de la population qui en est réduit à devoir choisir entre se nourrir et se soigner, comme cette femme qui a renoncé au traitement de son cancer du sein pour faire vivre sa famille.

« Certains chiffres montrent bien quel niveau catastrophique nous avons atteint : la mortalité infantile a augmenté de 30 %, tandis que l'espérance de vie a déjà diminué de 5 ans », rapporte Emmanouel Kosadinas, médecin grec. « On a sonné le glas de cette idée qui consistait à croire à un sens de l’histoire conduisant à espérer une vie toujours plus longue, en jouissant d’une santé toujours plus forte. » Sommée par la Troïka (Le FMI, la Commission européenne et la Banque centrale européenne) de réduire ses dépenses de santé à seulement 6% du PIB (comme le Portugal et l’Irlande) la Grèce réagit dans la panique, taillant dans les campagnes d’assainissement et de désinsectisation, par exemple, ce qui provoque le retour du paludisme, abandonnant la prévention. Le Sida augmente, la tuberculose revient, le taux de suicide est multiplié par 3… « On supprime des lits, on ferme des unités de soins, on fusionne des services, on irrigue moins le territoire, ce qui dans un pays semé de montagnes et d’îles laisse dans l’abandon des populations entières », égrène le médecin. Rappelons, pour mieux comprendre, que l’effort d’économie demandé à la Grèce, si il était demandé à la France, consisterait à réduire de 50 % ses dépenses de santé ! 

Le Peuple grec à l’avant-garde !

Une telle situation met bien le peuple à l’avant-garde du sort promis aux peuples européens ! Difficile de ne pas comprendre que le système capitaliste a changé d’étape. Quand il investissait dans la reproduction de la force de travail en développant les systèmes de santé, il fait aujourd’hui le choix de ne plus investir et de ne plus compter que sur le remplacement d’un travailleur par un autre. Une logique cynique qui ne saurait manquer de se propager si elle ne se heurte à la résistance des peuples. « Il faut comprendre que nous vivons désormais dans un pays où le pouvoir d’achat des salariés et des retraités a baissé de 50 %, où la population ne s’est pas chauffée cet hiver, où on n’achète plus de vêtements, où certains parents en sont réduit à diluer le biberon des bébés pour économiser le lait », rappelle E. Kosadinas. « La situation sanitaire entraîne un désastre culturel, la montée de la violence, des maltraitances. Le sentiment de vivre sous le diktat d’un gouvernement bis imposé de l’extérieur par la Troïka fait monter le nationalisme et les risques qu’il entraîne. » Et pourtant, le gouvernement est régulièrement félicité par la commission : on est bien passé du 12, 5% de déficit fin 2009 à 6 % aujourd’hui comme elle le demandait. Faut-il rappeler à quel prix ? Faut-il rappeler qu’on est passé des 115 % d’endettement si décriés alors à 178 % aujourd’hui ? Et surtout, que de 10 % de chômage, on est arrivé à 40 % ? Les banques qui ont bien saigné le pays, n’hésitent pas à achever le malade. 

A moins que les grecs ne soient aussi à l’avant-garde de nouvelles formes de résistance et ne montrent les voies que les peuples européens feraient bien de suivre ensemble. « Nous avons d’abord vécu les grèves et les manifestations qui se sont heurtées à une répression violente. Puis il y a eu le mouvement des indignés, réprimé de la même façon », rappelle le médecin grec. « La voie des urnes n’a rien donné : le pouvoir en place ne représente au bout du compte que 15 % de la population ! Nous en sommes aujourd’hui à une autre étape : se multiplient dans le pays les initiatives de solidarité dans le domaine juridique, alimentaire, scolaire pour répondre à la casse des services publics. Ainsi, on ne compte pas moins de 30 dispensaires autogérés dans le pays. » Entièrement animé par des bénévoles militants qui font de leur action, un acte de revendication, ces structures sont gérées en assemblées générales des personnels et des usagers, organisent la gratuité des soins, distribuent les médicaments donnés par des citoyens. C’est un des moyens d’éprouver la nécessité de la solidarité, de souder le peuple ensemble, de maintenir vivant le sentiment de la force collective. Soutenons le peuple grec dans son effort. Soutenons-nous dans son combat !

 

Jacques Arfeuillère, photo Séverine Lenhard

 

Pour aider le réseau des dispensaires sociaux, on peut adresser des dons par chèque à l’ordre du « Convoi syndical », 25 rue des Envierges, 75020 Paris. Pour toute information : Collectif de Solidarité France-Grèce pour la santé, france.grece.solidarité.sante@gmail.com


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