A Amiens, les nazis ne sont pas toujours au bistrot
par morice
mardi 12 février 2008
La France est aujourd’hui choquée. Elle apprend avec effroi que des policiers chargés de protéger l’habitant ont tenu des propos nazis, un système de pensée qui ne privilégie pas l’individu, mais avant tout ses dirigeants et leur dictature infâme. Le choc est énorme, à en voir les manchettes de journaux, et le nombre important de titres y faisant référence sur internet. Or, à tout bien penser, à Amiens c’était hautement prévisible, tant la Somme reste marquée par une implantation régionale FN forte, avec des dirigeants locaux qui ne cachent pas leurs affinités avec des pouvoirs forts.
Aux dernières présidentielles, pourtant, N. Sarkozy avait fait jeu égal avec Ségolène Royal dans la Somme, la devançant d’un peu moins de seulement 3 000 voix. Aux régionales de 2004, c’était différent : le FN avait fait 18,66 %, contre 35 % à l’UDF de Gilles de Robien et 45,47 % à une association large de partis de gauche regroupant PS, PCF, PRG et les Verts. On peut donc considérer que son implantation dans la Somme reste forte, et J.-M. Le Pen d’ailleurs de le souligner pendant la campagne présidentielle. Un Jean-Marie Le Pen qui avait fait 21,74 % dans le secteur au second tour de 2002, ne l’oublions pas.
On apprend en effet ce week-end qu’un des policiers ayant tenu des propos extrémistes ("il faudrait rouvrir les chambres à gaz") la semaine dernière n’est autre que l’époux d’une conseillère régionale Front national et qu’il a pris une participation active aux campagnes du parti. Dans la Somme, les conseillers régionaux du "Groupe Front national pour la Picardie" sont au nombre de huit, la Somme elle-même en ayant deux, un homme et une femme. La femme est présentée ici. L’homme s’appelle Pierre Descaves, c’est disons un beau cas d’espèce en politique. Ancien putchiste à Alger en 1962, membre de l’OAS, groupe terroriste partisan de l’Algérie française, et créateur de "France-Résistance" qui n’a évidemment rien à voir avec les FFI. Un mouvement "patriotique" selon Descaves, qui fustige l’ordre établi : "les dirigeants sont corrompus, les cadres font preuve de couardise, de lâcheté et les troupes de complaisance complice", affirme le vieillard (77 ans) revanchard et nostalgique. Le forum du site n’attire pas les foules, à croire que les discours de 1962 ne passent plus du tout en 2008. Le site, en réalité ne prône qu’une chose : l’opposition à l’entrée de la Turquie dans la Communauté européenne.
On le voit souvent auprès de Michel Guiniot, le conseiller régional FN de l’Oise, un homme de 53 ans, conseiller municipal de Noyon depuis 1995, mais également membre du bureau politique du FN. Un homme qui présente bien dans son beau costume, mais qui tient à l’Assemblée régionale des propos d’un autre âge. Ainsi, sa déclaration du 15 décembre dernier, dans laquelle il s’attaquait à la taxe sur les carburants la TIPP, son nouveau dada, pour finir par déclarer que "oui, les Picards pourraient se passer des véloroutes, surtout si c’est pour aller à Moscou !" ou d’un "oui, les Picards pourraient se passer des luttes contre les discriminations alors qu’en réalité elles visent les Gaulois en étant positives" qui en disent long sur la profondeur de sa pensée néo-fascisante. Avec évidemment un couplet contre un complot international que ne renieraient pas les émules du nazisme : "oui, les Picards pourraient se passer de la coopération internationale qui profite surtout aux amis de l’internationale socialiste." Un politique qui refuse les aides européennes, c’est plutôt rare, autant le souligner. On pensait que c’était le plus vieux des deux qui tiendrait les discours les plus surannés, c’est l’autre. "Du grand Michel" comme dit son collègue du Puy-de-Dôme...
Evidemment aussi, notre homme a été le premier à foncer sur l’horrible assassinat d’Anne-Lorraine Schmitt car l’occasion pour lui était trop belle. Il en parle dans une interview pour le FN, où l’homme se présente comme "issu du semis picard depuis la nuit des temps" et revient sur le fait divers tragique. Dans cette vidéo, il évoque la véritable récupération de l’événement de la part de son parti, sans citer l’attitude du père de la victime, militaire de carrière, dont la fille décédée avait été également scoute. Et sans citer non plus le rédacteur en chef de Valeurs actuelles qui lui tient à l’époque un propos assez surprenant : "notre société doit avoir le courage de l’éliminer définitivement de la circulation, lui et tous [ses semblables]". En voilà un au moins qui ne cache plus ses opinions droitières et son maurrasisme évident. Notre conseiller FN, porté par de tels propos, en profite donc largement pour proposer ouvertement devant la caméra le rétablissement de la peine de mort, pourtant désormais exclue de la Constitution française. Et récidive même sur son blog. Un conseiller régional anticonstitutionnel, c’est tout aussi rare.
Pas un mot de sa part, bien entendu, sur la défenestration le 9 août 2007, à Amiens, d’un gamin lors d’une tentative musclée d’expulsion de son père. La pauvre victime du RER est Française, le gamin, Ivan Dembski, est d’origine ukrainienne, il est vrai : les deux vies, visiblement, n’ont pas la même valeur aux yeux du Front national. Personne n’a relevé que c’est dans la même ville où les policiers se sont comportés de façon un peu légère en venant défoncer une porte au petit matin que des policiers sont chanteurs de chants nazis le soir. La Bac, par définition, agit dans "des milieux difficiles, notamment dans les quartiers dits sensibles". Pour satisfaire les désidératas de quotas d’un ministre désireux de reconduire un maximum d’étrangers à la frontière, sans doute. Fort heureusement pour l’Etat, le procureur avait précisé que ce jour-là c’était des "policiers d’une brigade administrative" qui avaient frappé à la porte et non la Bac, l’honneur est sauf. L’autorisation provisoire de séjour de ses parents devait courir jusque début février selon Brice Hortefeux, qui l’avait alors prolongée de six mois. On compte sur nos vaillants journalistes papier pour aller vérifier où ça en est... aujourd’hui. A moins qu’on ne reçoive un jour l’enquête de l’IGPN promise, diligentée par François Fillon... enquête dont on a déjà plus entendu parler, en fait. Heureusement que certains y veillent.
Notre homme au beau costume, en réalité, n’est pas très loin des thèses affichées le soir dans un bistrot d’Amiens et nous en avons la preuve. Car notre conseiller endimanché peut faire pire encore que ses saillies en Assemblée régionale, et il ne s’est pas empêché de le faire. Dans son blog, en effet, on trouve assez peu de choses, car l’homme n’a rien d’autre à dire que ses litanies du XIXe, ou presque, mais il propose des photos, pour meubler ou décorer sans doute. Parmi celles-ci, un invité "de marque", selon lui. C’est Koen Dillen, dont le nom ne vous dit peut-être rien. Encore jeune, le Dillen, car ce n’est autre que le fils du fondateur du parti belge du Vlaams Blok, devenu depuis Vlaams Belang (pour Algemeen Vlaams Belang, en abrégé AVB). Le parti avait dû changer de nom en raison d’un jugement de la Cour de cassation belge du 21 avril 2004, qui condamnait pour racisme et xénophobie plusieurs associations proches du Vlaams Blok : Vlaamse Concentratie (VC), Nationaal Vormingsinstituut (NV) et Nationalistische Omroepstichting (NOS). Le parti, qui risquait alors de perdre son titre en raison de ses accusations de racisme, avait préféré changer de nom plutôt que de risquer de perdre son implantation à la chambre des députés et l’argent de l’Etat belge qui va avec. Sur le site du groupe, aujourd’hui, la toute première phase annonce la couleur "le Vlaams Belang veut dissoudre l’Etat belge." En second arrive d’"abolir le droit de vote des étrangers", ainsi que l’attendu "non à l’adhésion de la Turquie". L’affiche, justement, devant laquelle trônent nos deux larrons, d’ailleurs celle de la campagne du Front national contre l’adhésion de la Turquie. Un conseiller régional qui reçoit un député étranger qui prône le régionalisme et l’abolition de l’Etat, c’est plutôt rare, et tout autant inquiétant.
Or, qui est ce fameux fils de l’autre, le fondateur d’un parti néo-nazi belge ? Pour le savoir, retrouvons une autre image. Elle est surprenante. C’est celle d’un Koen Dillen un peu plus jeune, dans les années 90, prenant le champagne auprès d’un vieux monsieur... qui n’est pas n’importe qui. C’est Léon Degrelle. Ça ne vous dit peut-être rien, Léon Degrelle. Vous vous dites, si vous êtes jeune, qu’il ne doit pas y avoir eu beaucoup de nazis à s’appeler Léon. Ça fait un peu ridicule, "Oberlieutenant Léon", on se croirait dans un film de La 7e Compagnie. C’est vrai, pourtant, et il n’y en a eu qu’un et c’est lui, le plus important collaborateur belge des nazis et surtout le chef de la SS wallonne. On rigole déjà moins. Léon Degrelle, le fondateur du Rexisme, un parti copié sur le mussolinisme. Collaborateur des nazis au point de s’engager dans les SS pour aller combattre en Russie, où il deviendra Volksführer ("général de brigade", en 1944). Le Volksführer Léon a donc bel et bien existé. Un homme qui dans son pays s’alignait sur les thèses hitlériennes, prônant une "chasse aux pourris" dont les relents secouent régulièrement les propos de certains frontistes et de leurs sympathisants. A prendre le champagne avec un sous-Hitler, on attrape vite en effet les tics de langage des nazis et leurs propension à chasser le Juif de leur pays à la moindre occasion. Car notre Léon n’est pas un personnage de cinéma, même s’il a fait courir le bruit qu’il avait servi à Hergé pour créer le personnage de Tintin. Le livre qu’il a écrit à ce propos est introuvable, il a été tiré à 150 exemplaires et est de toute façon interdit à la vente pour négationisme. Léon Degrelle, mort en 1994 en Espagne où il s’était réfugié, était bien un véritable nazi.
Une vidéo terrifiante de trois minutes qui précède un long débat à la télévision belge lui sert d’épitaphe, à notre Léon, qui montre qu’il n’aura jamais eu de remords, et qu’il n’a jamais rien renié de son admiration sans borne pour Hitler et sa haine des Juifs. Une haine qui se poursuit. En 2001 encore, Roeland Raes, vice-président du Vlaams Blok depuis 1978, affirmant au cours d’un entretien sur une télévision hollandaise, que "le génocide des Juifs devait être relativisé". Il met également en doute ce soir-là l’authenticité du Journal d’Anne Frank : on est droit dans la lignée du négationniste Faurisson et pas loin des propos d’un Gollnisch ou de ceux de J.-M. Le Pen qui viennent juste de lui valoir trois mois de prison avec sursis.
C’est donc cet homme qu’admire tant Koen Dillen et son parti qui est donc bel et bien d’obédience néo-nazie. Cet homme-là également que reçoit le conseiller régional FN de Picardie, partisan ouvertement de la peine de mort et élu de la nation qui l’a abolie. Cet homme-là qui a dû avoir une influence sur un policier dont la femme et elle aussi conseillère régionale FN... N’en jetez plus la cour est pleine, et les amis de mes amis qui sont aussi mes amis, ça débouche sur des beuveries où l’on fait des saluts hitlériens, si à l’origine on a un vrai nazi comme Degrelle à admirer entre deux bières, et si les hommes politiques en place donnent le mauvais exemple en serrant une main qui a déjà serré celle de Degrelle.
Non, à Amiens, le soir, à certains endroits, le soir venu, c’est bien plus l’ombre de Léon Degrelle qui plane que celle de Léon Blum, envoyé au camp de Buchenwald par d’autres admirateurs d’Hitler, à savoir le régime de Vichy. Ce qu’on vient de voir et d’entendre ne peut donc constituer en aucune manière une surprise : le Front national entretien toujours des relations directes avec des mouvements néo-nazis, ne nous étonnons donc pas d’en voir les retombées régulièrement, quand bien même ici elles touchent à l’intégrité de l’Etat, qui a condamné dans le passé le nazisme et le condamne toujours aussi fermement aujourd’hui. Quant à savoir qui a pillé récemment les idées du Front national, je vous en remets à Henri Gaino, instigateur des idées sur l’immigration et la tolérance zéro, si chères au Front et au Vlams Belang, qui en ont fait leur préambule. Que la police de la République, à partir de là, se sente parfois attirée par ces thèses nauséabondes ne doit donc pas nous étonner, dans la Somme comme à Omaha Beach. Pour faire pousser les pires mauvaises herbes, il faut bien un terreau.