A droite, la volonté qui manquait

par Argoul
mardi 17 octobre 2006

 Poursuivant notre lecture de la revue « Le Débat » septembre-octobre 2006 (Gallimard), commençons donc par la droite, puisqu’elle est au pouvoir.

Selon Stéphane Rozès, sondeur d’opinion au CSA, la « monarchie républicaine » actuelle en France renvoie à une nature « religieuse » du pouvoir : « tel un roi thaumaturge, le président bénéficie d’une double fonction lors de son sacre. Une onction spirituelle : celle qui s’attache au contrat passé avec la nation. Une onction temporelle : celle qui découle d’un projet qui a pour instrument l’Etat. » François Mitterrand a manié en virtuose ces deux légitimités, incarnant la sagesse de la France éternelle par l’imprégnation barrésienne de ses jeunes années, tout en manipulant les slogans et les appareils au nom de la « lutte des classes » dont il avait assimilé l’usage tactique. « Jacques Chirac ne sera élu (en 2002) que sur sa dimension spirituelle alors que la majorité, élue dans sa foulée sur le seul refus d’une cohabitation, mènera une politique économique et sociale de retrait de l’Etat rejetée par le pays, comme le montrera la lourde sanction des régionales de 2004. Le contrat de 2002 entre Jacques Chirac et le pays avait beau être symboliquement fort, avec ses huit votants sur dix, il était excessivement faible politiquement. » D’autant qu’aucune action du président n’a su établir de légitimité politique, sauf par évitement (sur l’Irak) ou dans le (certes utile mais) dérisoire (les radars sur les routes). Sauf grave crise internationale impliquant la France de façon immédiate, sauf grave faux pas de son jeune challenger Nicolas Sarkozy, Jacques Chirac apparaît trop usé pour avoir une quelconque chance comme candidat.

Dominique de Villepin avait heureusement surpris par un ton prosaïque, mêlé à son sens de l’histoire de France, durant les premiers mois de son gouvernement. Mais son activisme brutal, plus bonapartiste ancienne manière qu’adapté aux Français post-68 et relativement éduqués d’aujourd’hui, le disqualifie dans la durée. La décision de créer un CPE fut solitaire, sans consultation, ni de son gouvernement ni de sa majorité, l’obstination à le faire passer en force alors que l’emploi est un sujet très sensible, montre « qu’il n’était peut-être pas fait pour être un chef de gouvernement car le rôle du Premier ministre est autant de veiller à la cohésion de l’équipe que de prendre des initiatives personnelles » (René Rémond). Le quinquennat, établi sans réflexion par un Jacques Chirac toujours à la pointe de l’agitation, aggrave les crises car il rapproche les échéances électorales. On pourra objecter que la stature présidentielle est au-dessus de celle de chef d’équipe. Mais l’histoire montre que les Français n’élisent comme président qu’une personne ayant fait ses preuves pour guider son camp. L’agitation de ces derniers jours sur la remontée de Dominique de Villepin dans les sondages ne saurait valoir brevet de présidentiable : le Premier ministre est resté récemment en retrait, retrouvant le ton pragmatique qui était le sien ; il n’offre aucune perspective claire d’avenir aux Français, contrairement à Nicolas Sarkozy.

Michèle Alliot-Marie (que Le Débat n’évoque pas une seule fois), se voudrait à droite une « madone » que le peuple de gauche a su éveiller avec Ségolène. Mais voilà : déjà on ne l’appelle pas « Michèle », ensuite ce n’est pas l’opinion qui l’appelle, enfin elle apparaît appartenir à la génération d’« avant », malgré ses juste soixante ans, pour avoir présidé le RPR de 1999 à 2002. Ses récentes compétences à la Défense lui donnent, certes, une stature internationale (après l’Education en 1986, le Parlement européen en 1989, la Jeunesse & Sports en 1993), mais inhibent ce rôle de « mère » qui colle à l’image de Ségolène, non mariée avec quatre enfants (deux garçons et deux filles), menant sa carrière de front avec une vie familiale meilleure que la sienne. Les électeurs de droite préfèrent toujours les « pères ».

Dans une majorité UMP où l’inspiration gaullienne s’essouffle avec les années qui passent, où les parlementaires sont volontiers considérés comme des godillots, il n’y a guère de débat d’idées. Nicolas Sarkozy apparaît comme un homme incarnant une volonté. Un père symbolique ? Peut-être lorsqu’il parle de sécurité ou qu’il tance les bonnes âmes un peu trop naïves ou les magistrats assez peu « éducateurs ». Sans doute pas assez en termes d’images. Il devrait (comme Laurent Fabius hier et Ségolène Royal plus récemment) cultiver dans les médias son rôle de père réel avec ses enfants. Pas trop, pour ne pas céder au people et pour garder la réserve qui sied à sa fonction, mais suffisamment pour faire passer ce courant affectif, subliminal, qui compose peu à peu une image médiatique.

Son handicap, note René Rémond, est qu’« il laisse toujours aussi perplexe. D’abord parce qu’(il) multiplie les initiatives dans toutes les directions. Il y a chez lui comme une fébrilité. Il en fait trop, il parle sur trop de sujets. On se demande où est la cohérence de sa démarche. Ses déclarations ne procèdent pas toutes de calculs. Il en est qui expriment des convictions sincères ». Gaulliste ? « Il retrouve le langage social du général de Gaulle décrétant que ce n’est pas à la corbeille que se décide le destin de la France ». Libéral  ? « Je persiste à ne pas le croire libéral : c’est un homme d’action ; il n’est pas de ceux qui pensent qu’à ne rien faire les problèmes se résoudront d’eux-mêmes. Il est interventionniste, il croit que l’Etat a des responsabilités, qu’il doit user de son pouvoir pour faire des réformes. »

Stéphane Rozès voit là une méthode alliée à une symbolique : « Face à un problème, il explicite les choix, il formule sa préférence et il la met en œuvre. Ses résultats peuvent être discutés, c’est la démarche qu’on aura retenue. Il signifie par elle que la politique n’est pas une gestion froide de dossiers appelant une solution unique, mais relève de l’exercice d’une volonté qui donne du sens au choix qu’effectue le citoyen au travers de son vote. » Nicolas Sarkozy possède le courage politique que Jacques Chirac n’a jamais eu, mais guère plus de doctrine. Les Français ont-ils d’ailleurs besoin de doctrine ? René Rémond : « Il a l’immense avantage de n’être pas énarque, mais un avocat de talent, qui sait écouter attentivement ce qu’on lui dit et réagir avec à-propos. » Son discours a-t-il d’ailleurs besoin de cohérence ? Justement, « il est convaincu, manifestement, qu’il n’y a pas lieu de chercher la cohérence, et qu’il faut traiter la société française comme un agrégat de segments auxquels il s’adresse à tour de rôle. » Tactiquement, il n’a sans doute pas tort pour gagner l’élection. Mais s’il veut rester dans la durée, il lui faudra trouver une cohésion de ses actions qui le place dans la lignée du modèle hérité : sur les solidarités sociales, sur les initiatives individuelles, sur la présomption oligarchique de détenir la vérité dans la culture d’Etat, sur l’Europe à reconstruire, sur le monde devenu multipolaire.

François Bayrou n’a pas tort de croire qu’il existe un électorat centriste prêt à apporter ses suffrages à un candidat libéral qui garantirait la protection sociale, ou bien à un candidat socialiste rompant avec la radicalité gauchiste. Pierre Mendès-France, Jacques Chaban-Delmas, Michel Rocard, Jacques Delors, eussent été des hommes adoubés par eux. Il serait possible que Ségolène Royal ou Dominique Strauss-Kahn recueille une part de ces suffrages centristes, n’étaient la bipolarisation du scrutin et la réalité des tabous d’appareil. Le principe majoritaire vise à dégager une coalition qui ait les moyens de gouverner, tout en forçant la distinction entre une droite et une gauche pour offrir la possibilité d’une alternance républicaine. Quant aux vieux dinosaures du Parti socialiste, il fallait entendre leurs cris d’orfraie lorsque François Bayrou a évoqué l’idée de gouverner avec eux, pour que l’idée même reste utopie. Le centrisme est condamné à demeurer un idéal des hommes de bonne volonté, pas un grand courant politique. Sauf si, « à la française », un homme « providentiel » surgit de ses rangs ce qui, selon l’idéologie du centre, paraît très peu probable.


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