A gauche, prier l’icône !
par Argoul
lundi 16 octobre 2006
La gauche : selon cet excellent numéro du Débat de septembre-octobre 2006 (Gallimard), rien de nouveau depuis Lionel Jospin.
Marcel Gauchet : « Face à l’adversité, le Parti socialiste fait le gros dos et ignore ce qui pose question. [...] Il avait évité de s’interroger sur le choc du 21 avril 2002 ; il a évité de s’interroger sur ce qui a déterminé l’échec du oui, jusque dans son propre électorat, au référendum du 29 mai 2005. Cet évitement de la difficulté sur le fond est impressionnant. » Le parti « fonctionne », il n’accouche de rien. Bureaucratie mécanique visant à formater un candidat-président, il n’a pas de doctrine, et son programme n’est qu’un ramassis d’idées puisées ici ou là au gré des « contributions », de manière à contenter tout le monde. « Il s’agit d’un texte de réassurance à usage interne, destiné à se convaincre en famille que les piliers du dogme sont toujours en place. » Pauvre gauche...
L’antilibéralisme exacerbé est une formule d’opposition confortable, mais vraiment pas crédible comme formule de gouvernement. Le Parti socialiste se voit donc réduit à ne gagner les élections que lorsque la droite a trop lassé, ou se trouve vraiment usée. Pas sur un projet positif. C’est dans ce contexte qu’il faut probablement situer la percée de Ségolène Royal. Son image réelle, incarnée, se substitue aux idées évanescentes ou impossibles. Elle éprouve la même méfiance que Nicolas Sarkozy envers les « doctrines », elle souffre d’une même absence de cohérence pour le moment.
« Ségolène » est une icône - cette idée m’est personnelle et ne se trouve pas dans Le débat. Comme le support de bois de l’église orthodoxe, elle est dotée du pouvoir de traduire à nos sens humains la présence immanente du socialisme, conçu comme un espoir religieux (non comme une politique qui marche). A l’image d’une France qui se cherche. Ségolène est imaginée, rendue image par cette dévotion. La création d’une icône est un mystère, un jaillissement bouleversant - comme Ségolène dans les sondages. L’icône a une réalité sacramentelle autonome, incarnant la gloire du Royaume en même temps qu’elle en contient l’énergie vivifiante - comme Ségolène, à qui Marcel Gauchet rend ainsi hommage : « On a tout essayé, sauf une femme. Essayons la femme ! Et pas n’importe quelle femme. L’alchimie politique qui s’opère autour de l’image de Ségolène est remarquable. Compagnonnage moderne à la Simone de Beauvoir et Sartre avec François Hollande, mais quatre enfants ; autonomie de carrière et vie de famille ; francité provinciale et militaire, mais médiatique jusqu’au bout des ongles ; pragmatisme et conviction, le social, mais bon chic bon genre ; l’autorité avec le sourire : pareil mélange ne s’invente pas ! Elle réussit la performance de paraître plus moderne, plus avancée que ses petits camarades, tout en restant plus proche de ce qu’il y a de conservateur dans la sensibilité populaire. Elle sacrifie moins aux réflexes de la tribu bobo. Son absence de fibre libertaire la rend en fait plus populaire, sans oublier les sympathies qu’elle gagne à droite. En termes d’image, la synthèse est d’une efficacité ravageuse. »
Ajoutons la troisième fonction de l’icône : la médiation. L’homme a besoin du rituel et des sacrements pour atteindre à la communion avec l’Invisible. Ségolène Royal reprend l’alchimie qui a si bien réussi à François Mitterrand : né très à droite, venu à gauche par fraternité sociale et raison, il incarnait les Français dans leurs contradictions successives et leurs aspirations éternelles. Comme eux, il a été pétainiste puis résistant, opposant à de Gaulle mais rallié à la Ve République, puis libertaire en 1968 dans une France trop coincée par les principes début de siècle. Plus que Laurent Fabius, qui n’est que le "dauphin", Ségolène apparaît comme la fille adoptive de François Mitterrand en termes d’image : père rigide, catholique et général, ambition de se faire soi-même, souplesse politique. Marie-Ségolène reprend la dévotion mitterrandienne (notée par Fraise) et instaure, plus Vierge Marie au fond que Jeanne d’Arc, une relation entre le croyant (le sympathisant socialiste) et la communion avec l’Invisible. Cette foi en un socialisme mythifié a beaucoup de traits du message du Christ, si l’on sort de la rhétorique laïcarde... Le sympathisant de gauche semble donc avoir perdu le sens des réalités au profit d’un mythe qu’il se crée de toutes pièces : Ségolène-du-signe ou Ségolène-la-consolatrice qui, probablement, en joue et n’en peut mais. Faut-il rappeler aux socialistes le message de Patrick Swayze (du film Point Break) au héros du nul-en-surf Brice de Nice ? Lorsqu’il lui apparaît après l’échec, telle Marie à Bernadette, il déclare au pauvre Brice effondré : « Quand on commence à vivre ses rêves plutôt que de rêver sa vie, on commence à devenir adulte. »
Mais retombons hors du sacré. Dans la triste réalité d’appareil, pour le choix du candidat unique du parti, quinquennat et législatives obligent, « ce sont les élus qui vont arbitrer en fonction de ce qu’ils estiment être leurs chances de réélection. Pour un parti d’élus comme le Parti socialiste, le meilleur candidat est celui qui tire ou protège l’élection des autres aux différents échelons du système politique. » (Marcel Gauchet). Que les rêveurs de changement ne rêvent donc pas trop : si l’opinion contribue sans conteste à peser mystiquement en faveur de Ségolène, c’est toute la bureaucratie d’appareil qui décidera en fin de compte. Car elle pèse, cette bureaucratie, beaucoup plus au PS qu’à l’UMP. Alors, Fabius, Royal ou Strauss-Kahn ? Dans cette offre politique, l’image de la Patronne de France depuis Louis XIII (Royal) compte sans conteste bien plus que l’image d’ancien Premier ministre de Mitterrand (Fabius) ou celle d’expert en économie (Strauss-Kahn). Mais nous en saurons bientôt plus.