A Poitiers, les sans-papiers déterminés

par benjamin
mercredi 28 juin 2006

Depuis le 29 mai 2006, des sans-papiers, en majeure partie d’origine guinéenne, ont entamé une grève de la faim à Poitiers (Vienne). Bien décidés à obtenir des autorités préfectorales des titres de séjour, ces immigrés sont déterminés à ne plus se nourrir jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause.

Au départ ils sont 98, sur les 349 membres que compte le Collectif local contre les expulsions, à décider de s’arrêter de s’alimenter. La mairie de Poitiers leur permet alors de s’installer dans une école désaffectée de la ville, l’Ecole Saint Louis, située en face du Conservatoire de musique.

Bernard Niquet, préfet de la Vienne et ex-directeur de cabinet de Bernadette Chirac, régularise le 16 juin, « à titre exceptionnel », 70 personnes dont 15 grévistes de la faim. Sont concernées les personnes répondant à trois critères selon lui : une résidence établie dans la Vienne, au moins un enfant né et scolarisé en France depuis septembre 2005, y compris en maternelle, et une ancienneté de la résidence en France.

Mais les sans-papiers qui occupent l’école ne sont nullement satisfaits. Mohamed Sakho, leur porte-parole, souligne : « Nous n’avons pas compris les critères retenus par les autorités car certains qui étaient dans la même situation que les régularisés ne l’ont pas été. »

La préfecture refuse en effet toute régularisation globale, et ne prend pas en compte le fait que nombre des sans-papiers sont en France depuis déjà plusieurs années. Ces derniers craignent surtout pour leur vie si on les contraint à retourner en Guinée. Claude Quémar, porte-parole du Collectif contre les expulsions de Poitiers, souligne ainsi que certains d’entre eux ont quitté la Guinée au titre d’opposants politiques au régime.

70 personnes entrent cette semaine dans leur quatrième semaine de jeûne, bien décidées à rester dans l’Ecole Saint Louis et à ne pas se nourrir jusqu’à l’obtention d’au moins un titre de séjour de trois mois renouvelable. La solidarité s’organise autour d’eux avec des médecins, des infirmières, un dentiste ou encore un kiné. Mais ces derniers sont inquiets. Certains grévistes commencent à montrer de sérieux signes d’affaiblissement, ne bougeant plus de la journée, allongés sur des matelas de fortune dans les salles de classe de l’école.

Jacques Santrot, maire de Poitiers, et par là-même responsable des locaux de Saint Louis, a solennellement demandé aux grévistes le 21 juin de cesser leur grève de la faim. Mais ceux-ci refusent de se réalimenter, prêt à se battre jusqu’à la mort. Ils survivent ainsi depuis bientôt quatre semaines avec de l’eau, du sel et du sucre.

La situation semble inextricable, entre un Préfet qui doit respecter la politique du chiffre réclamée par Nicolas Sarkozy, celle de l’augmentation du nombre des expulsions, et la détermination des sans-papiers à être régularisés, quitte à mourir d’inanition.

La municipalité de Poitiers a fait preuve de solidarité et de bonne volonté en permettant aux grévistes de rester dans les locaux de l’école et en leur proposant un parrainage pour les protéger face à d’éventuelles expulsions. Plusieurs élus municipaux se sont investis pour défendre les sans-papiers, parmi lesquels les Verts Eric Joyaux et Daniel Lhomond. Des manifestations de soutien ont été organisées, dont une marche jusqu’à la préfecture, le 9 juin, qui a rassemblé 150 personnes.

Beaucoup de Poitevins semblent soutenir aujourd’hui les grévistes de la faim. Dans ce concert de solidarité, il manque la voix d’une personnalité locale, et non des moindres, la présidente du Conseil régional et députée des Deux-Sèvres, Ségolène Royal. Les sans-papiers espéraient bien depuis le 29 mai obtenir un soutien public de l’égérie des médias. Mais après plus de deux semaines de silence total, Ségolène s’est contentée d’envoyer ces quelques lignes à Mohammed Sahko : « J’ai pris connaissance de votre détresse. Le vice-président de la région et ma directrice de cabinet vous ont reçu et m’ont fait part de vos difficultés. Je demande au préfet de trouver une issue humaine à votre situation. Bien attentivement. Ségolène Royal. »

Aucun témoignage de solidarité, nul déplacement sur place. Après son absence sur les bancs de l’Assemblée lors du vote du projet de loi sur l’immigration, Ségolène Royal fait preuve ici de bien peu d’enthousiasme face à la détresse de ces immigrés sans papiers. Comme le dit Mohamed Sahko, amer, c’est même le service minimum.

Le thème est-il quelque peu dangereux face à l’opinion publique ? L’immigration, talon d’Achille de Ségolène Royal ? On peut se demander aujourd’hui si dans son « ordre juste », il y a de la place pour les sans-papiers. Ceux de l’Ecole Saint Louis de Poitiers en tout cas, n’attendront certainement pas la prochaine présidentielle. Ils préfèrent aujourd’hui mourir plutôt que de vivre cachés, en permanence dans la crainte d’une expulsion. C’est un exemple de dignité que certains devraient suivre, par exemple sur les bancs de l’Assemblée.

70 personnes, c’est si difficile à accueillir pour un pays comme la France ? En plus, ils savent peut-être jouer au foot.

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