Accord sur le travail : Sarko l’a rêvé, Hollande l’a fait !

par Pingouin094
samedi 19 janvier 2013

L’Accord National Interprofessionnel (ANI) dit « Accords de Wagram » modifiant en profondeur le droit du travail qui vient d’être signé est loin d’être un accord « gagnant-gagnant », et une réussite du dialogue social. Au contraire, on peut le résumer en disant qu’il s’agit d’un coup de force contre le dialogue social, donnant des miettes aux salariés et le jackpot au patronat … sous un gouvernement socialiste !

Un coup de force contre le dialogue social !

Cet accord est un coup de force contre le dialogue social. Il est certes parfaitement légal en janvier 2013, mais il est surtout minoritaire et n’aurait jamais été approuvé après l’entrée en vigueur de l’ensemble des dispositions de la loi de réforme de la représentativité syndicale du 20 août 2008 qui prendront effet au plus tard le 21 août 2013 :

Participaient aux négociations les 5 syndicats représentatifs au niveau interprofessionnel : CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC, n’y participaient pas les 2 syndicats non-représentatifs, l’UNSA et Solidaires (Sud). L’accord a été signé par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC qui représentent 38.7% des salariés selon les élections prud’homales de 2008. Il a été dénoncé par la CGT et FO qui représentent 49.7% des salariés selon les mêmes élections. Plus encore, si on additionne les voix des syndicats non-représentatifs (UNSA qui soutient l’accord, Solidaires qui le dénonce), on arrive à 45% pour l’accord, 53.6% contre. Il s’agit clairement d’un accord minoritaire.

Mais jusqu’au 21 août 2013, la loi stipule qu’un accord doit être approuvé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant obtenu au moins 30% des suffrages aux élections professionnelles (38.7% dans notre cas), et ne pas être contesté par des syndicats représentatifs ayant obtenus au moins 50% (49.7% dans notre cas). A 0.3% prêt, et 6 mois prêt, l’accord est valable. Car l’audience de chaque syndicat doit être réévaluée au 1ersemestre 2013 et au plus tard le 21 août 2013en tenant compte de l’ensemble des élections professionnelles durant la période 2008 – 2013 et notamment de la mise en place d’élections dans les TPE où la CGT est ressortie renforcée et la CFDT affaiblie. A l’issu de cette mesure d’audience, les syndicats signataires d’un accord devront désormais représenter 50% des salariés et non plus 30%. Dans ces conditions, il est vraisemblable que la CGT et FO auraient été en mesure de bloquer l’accord en refusant d’y apposer leur signature, s’il avait été négocié en août 2013 et non en janvier 2013.

Le gouvernement socialiste a délibérément choisi d’imposer une négociation sociale majeure avant que le poids des syndicats réformistes ne risque d’être considérablement réduit. C’est un choix politique dramatique pour un gouvernement se prétendant « de gauche » et cela doit être dénoncé.

Tout ceci délégitime fortement l’ « accord » signé entre les organisations patronales et certains syndicats minoritaires. Il rend au contraire tout à fait légitime de poursuivre la bataille pour que les parlementaires ne le ratifient pas « tel quel », mais l’amende dans un sens plus favorable aux salariés.

Des miettes pour les salariés

Les contrats courts,

La principale avancée de l’accord pour les salariés serait la sur-taxation des contrats courts : CDD de moins d’un mois à 3 mois. Cet accord exclu cependant les contrats saisonniers, les contrats « pour une tâche précise et temporaire » et la surtaxation est réduite pour les CDD dit d’ « usage » (comme les sondages, branche professionnelle de la patronne du Medef. On n’est jamais mieux servi que par soi-même). Cela fait déjà quelques trous dans la raquette.

Mais surtout l’intérim est exclu de la surtaxation. L’accord se résume plus à une victoire du patronat de l’intérim qu’à une victoire des salariés. Les salariés basculeront d’un CDD à une mission d’intérim, je ne suis pas sûr que la différence change profondément leur quotidien et sécurise leur parcourt professionnel.

D’autant que le patronat a négocié en compensation une exonération de cotisations patronales pour les jeunes de moins de 26 ans pendant 3 mois, 4 mois dans les entreprises de moins de 50 salariés L’ensemble des deux mesures (surtaxation des cotisations pour les CDD court d’un côté, exonération pour les jeunes de moins de 26 ans de l’autre) devrait coûter 50 millions à l’assurance chômage, autant de charge patronale en moins pour le patronat.

La complémentaire santé

L’accord devrait permettre à 4 millions de salariés d’accéder à une complémentaire santé, ce qui semble un grand progrès social. Sauf que l’entreprise définit seule, sans concertation avec les représentants du personnel, l’organisme chargé de la complémentaire santé. Un immense et nouveau marché s’ouvre donc aux assurances privés, et les salariés n’auront aucune liberté de choix pour adhérer à des mutuelles plutôt qu’à des assurances privées !

Là encore, cette prétendue avancée sociale a un étrange goût de victoire pour le patronat de l’assurance privée.

Le droit de recharge de l’assurance chômage

Les salariés devraient conserver leur reliquat de droit au chômage s’ils reprennent un emploi. Sauf que le détail de la mesure est renvoyé à la future renégociation de la convention Unedic. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ».

Le compte personnel de formation.

Le nouveau compte personnel de formation de 20h par an dans la limite de 120 heures est exactement du même montant que le DIF. Ce droit devient transférable d’une entreprise à l’autre, rien ne change en profondeur sur la formation. C’est un gain, certes, mais en aucun cas « historique ».

La mobilité volontaire sécurisée

Les salariés de plus de 2 ans d’ancienneté des entreprises de plus de 300 personnes pourront aller découvrir un emploi dans une autre entreprise tout en ayant l’assurance de pouvoir revenir dans leur emploi actuel, ou du moins un emploi similaire. Voilà une avancée qui pourrait sécuriser la mobilité volontaire des salariés.

Sauf que ce droit est soumis à un avenant au contrat de travail et donc à l’accord de l’employeur. On imagine que le nombre d’employeurs prêt à vous laisser aller voir à la concurrence si l’herbe y est plus verte et à vous accueillir avec le sourire si vous décidez de revenir sera assez peu élevé.

Présence de salariés dans les Conseils d’Administrations des grandes entreprises

Les salariés auront des représentants avec voix délibératives dans les conseils d’administrations des grandes entreprises. Cela pourrait être une très grande avancée si elle n’était pas sérieusement limitée dans les faits.

D’une part, il ne s’agit que des très grandes entreprises (5000 salariés en France, 10 000 dans le monde), cette avancée ne concernera donc qu’un nombre très réduit d’entreprises (environs 200). D’autre part, le pouvoir de vote y sera purement symbolique car les représentants des salariés y seront extrêmement minoritaires (un ou deux).

Surtout, le représentant des salariés sera soumis à un devoir de confidentialité qui limitera grandement la portée de son action. De plus, en échange, le patronat a négocié une refonte globale de l’information aux Instances Représentatives du Personnel ( CE, CHSCT et autres ) d’ici un an et dont on peut craindre une sérieuse perte de qualité de l’information, non seulement pour les 200 plus grandes entreprises, mais également pour toutes les autres.

Le temps partiel

Les temps partiel passent de 20h par semaine à 24h par semaine minimum. Une avancée qui doit également être tempérée : le calcul des 24h par semaine sera lissé tout au long de l’année selon les périodes de plus ou moins grande activité de l’entreprise ; avec les conséquences de cette annualisation qu’on peut imaginer pour la vie de famille des personnes concernées, dont les horaires dépendront désormais du bon vouloir de l’employeur.

D’autres parts, pour les branches professionnelles employant au moins un tiers de salariés à temps partiels, de futures négociations sont prévues pour fixer par exemple le nombre d’interruption dans la journée (aujourd’hui, une seule interruption est possible. Demain ?) ou le délai de prévenance en cas de modification des horaires notamment. On peut craindre le pire …

De grandes avancées pour le patronat

Création d’un CDI intermitant :

Le CDI est attaqué de multiple manière. La première est celle d’une expérimentation du CDI intermittent (c'est-à-dire que le salarié alternerait des périodes travaillés et des périodes chômées tout en restant dans le cadre d’un CDI) dans 3 secteurs (chocolaterie, article de sport, formation). Mais si l’expérimentation est jugée positive (par le patronat), on l’imagine s’étendre rapidement.

Accords de maintien de l’emploi.

L’accord officialise le chantage à l’emploi. Désormais, en cas d’accord de maintien de l’emploi en échange d’un chômage partiel ou d’une baisse de salaire, les salariés qui refuseront seront licenciés pour motif économique avec cause réelle et sérieuse, sans possibilité de contestation juridique ! Même le gouvernement Fillon n’avait pas osé aller aussi loin dans sa loi de 2004.

Reclassement forcé.

Dans la même veine, un salarié qui refusera un reclassement dans sa société en cas de réorganisation se verra licencié pour motif personnel ! Les limites géographiques à une telle mobilité forcée sont renvoyées à d’autres négociations. On peut s’attendre au pire une fois encore.

Ces deux accords portent un coup de canif très sérieux à l’essence du CDI. Désormais, le salarié perd sa capacité individuelle à refuser une modification substantielle de son contrat de travail ! Et c’est sous la gauche que ça arrive !

Dérogation aux plans sociaux

En cas d’accord majoritaire avec les syndicats de salariés, une entreprise pourra déroger dans un sens moins favorable aux salariés à la réglementation sur les plans sociaux.

Dans la même veine, les délais de mise en œuvre et de contestation des plans sociaux sont fortement réduits ! L’actualité de ces dernières années a pourtant montré que c’était un élément essentiel de la capacité des syndicats à s’opposer à un plan social.

Réduction des délais de contestations.

Le délais de contestation aux prudhommes est réduit de 5 ans à 2 ans, le délais de contestation pour les heures supplémentaires est réduit de 5 ans à 3 ans.

On le voit, c’est un accord fondamentalement défavorable aux salariés, totalement favorable au patronat qui a été signé par les syndicats réformistes et minoritaires, avec le regard bienveillant du gouvernement socialiste. Il peut et doit être contesté par la gauche et ne doit pas être transcrit tel quel dans la loi au Parlement.

 

PS : Je veux rendre hommage à l'analyse de Gérard Filoche, ancien inspecteur du travail, syndicaliste CGT et membre du Bureau National du PS (nul n'est parfait) dont je me suis largement inspiré.

PPS : Article initialement paru sur mon blog personnel. 

 


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