Adresse à la gauche radicale pour un Front populaire du 21è siècle

par Marianne
samedi 21 mars 2009

Les dissensions existant aujourd’hui à la gauche de la gauche entre Front de gauche et NPA (sur l’unité aux prochaines élections notamment) rappellent à certains égards les débats que d’autres révolutionnaires eurent au début du 20è siècle. Pour qu’un Front populaire du 21è siècle puisse se constituer en France n’est-il pas temps de laisser de côté les vieilles chimères du passé et de construire l’Unité en ancrant sa réflexion dans la réalité d’aujourd’hui ?

L’histoire est en marche. Le moment est venu d’entendre le cri du peuple français qui est descendu massivement dans la rue jeudi 19 mars 2009 pour hurler sa colère et son désarroi face à la politique de casse systématique des acquis sociaux de la classe ouvrière et des services publics menée par le gouvernement de droite portée au pouvoir par 53% de votants en juin 2007, un des gouvernements les plus à droite que la France ait connu depuis Pétain et la collaboration.

Le 29 janvier était un coup d’essai à côté de la déferlante à laquelle nous allons assister !

Il est fort à parier qu’une partie des électeurs qui ont mis Sarko 1er au pouvoir étaient aussi dans la rue ce jeudi, car subissant également les dégâts d’une politique prédatrice pour tous les travailleurs, qui par ses choix et sa défense viscérale du chacun pour soi et de la loi du fric depuis des décennies est directement responsable de la crise internationale qui a éclaté et dont les effets s’amplifient de jour en jour...

Depuis la journée du 29 janvier, un mois et demi s’est écoulé. Un délai qui a été jugé trop long par certains militants ou observateurs de la gauche radicale pensant et écrivant qu’un mouvement durable pouvait être impulsé en France dès le mois de février 2009.

Soit, mais pour quel débouché politique ?

Bien sûr, la situation n’est pas en tous points comparable aux dissenssions existant chez les révolutionnaires d’Octobre 1917. Mais qu’on veuille lire attentivement ces lignes de Lénine :

« Dans le courant du printemps et de l’été prochains écrivent les « communistes de gauche » dans leurs thèses, doit commencer l’écroulement du système impérialiste, écroulement que la victoire éventuelle de l’impérialisme allemand dans la phase actuelle de la guerre ne peut que différer, et qui revêtira alors des formes encore plus aiguës. » La formule est ici encore plus enfantine et inexacte, en dépit de tout son appareil pseudo-scientifique. C’est le propre des enfants de « comprendre » la science comme si elle pouvait prévoir en quelle année, au printemps, en automne ou en hiver, « doit commencer l’écroulement ». Ce sont des tentatives ridicules de connaître l’inconnaissable. Aucun homme politique sérieux ne dira jamais quand « doit commencer » l’écroulement d’un « système » (d’autant plus que l’écroulement du système a déjà commencé, et qu’il s’agit de dire quand se produira l’explosion dans les divers pays). Sur l’infantilisme de gauche et la propriété petite-bourgeoise, Lénine, 1918.

Les “communistes de gauche” s’opposaient aux Bolchéviks sur la question de la poursuite ou non de la guerre contre l’Allemagne. Les communistes de gauche, jusqu’auboutistes (c’est un terme employé par lénine) se prononçaient pour la poursuite de la guerre par soi-disant “pureté” révolutionnaire et les Bolchéviks (dont Lénine) pour la paix (Paix de Brest-Litovsk) dans l’intérêt de la Révolution. Lénine explique pourquoi dans ses écrits.

Les partisans de la gauche radicale acepteront-ils seulement de discuter et de débattre de la question de la construction d’un mouvement populaire uni et adulte politiquement, c’est à dire ayant pris le temps de l’élaboration de solutions révolutionnaires, sans crier à la trahison et sans trépigner d’impatience infantile (le terme est aussi de Lénine) devant la molesse des syndicats (7,5% de syndiqués parmi les salariés !) et des partis de la gauche de la gauche, tous mis dans le même sac des “traitres à la cause” des travailleurs ?

Ces militants et observateurs accepteront-ils seulement l’idée qu’à regarder ce que nous enseigne l’histoire, une Révolution se fait avec tout un peuple et pas avec une minorité d’avant-gardistes le plus souvent autoproclamés ? Et que ceux qui manifesteront jeudi ne sont pas des professionnels de la politique mais des citoyens qui en ont marre et qui ont envie que les choses changent. L’idéal serait qu’ils aient envie de changer les choses. Mais en sommes-nous déjà là ?

“Pour devenir le pouvoir, les ouvriers conscients doivent conquérir la majorité : aussi longtemps qu’aucune violence n’est exercée sur les masses, il n’existe pas d’autre chemin pour arriver au pouvoir. Nous ne sommes pas des blanquistes, des partisans de la prise du pouvoir par une minorité. Nous sommes des marxistes, des partisans de la lutte de classe prolétarienne ; nous sommes contre les entraînements petits-bourgeois, contre le chauvinisme jusqu’auboutiste, la phraséologie, la dépendance à l’égard de la bourgeoisie”. Lénine, sur la dualité du pouvoir, avril 1917.

Ces partisans de la gauche radicale voudront-ils entendre qu’à notre avis, les solutions à apporter contre les ravages du capitalisme et les fondements de la société socialiste à construire, ses institutions, ses lois, doivent être les fruits d’une volonté et d’une élaboration populaire la plus large possible, c’est à dire de la majorité des citoyens et de la démocratie ?

Voudront-ils seulement entendre qu’au 21è siècle, en France, si l’on tire les leçons de l’histoire et des graves dérives des régimes socialistes du bloc soviétique dans les décennies qui ont suivi la révolution d’Octobre, une Révolution ne vaincra qu’à travers l’adhésion d’une majorité de citoyens adultes à même de se prononcer pour de vrais bouleversements révolutionnaires ?

L’exemple du Vénézuela et des multiples élections organisées par son président Hugo Chavez, celui de la Bolivie devraient pourtant donner des idées à ces penseurs de la Révolution qui écrivent des articles à grands coups de références historiques (Lénine parle de “phraséologie”) en oubliant bien souvent d’ancrer leur réflexion dans la réalité contemporaine (Pour Lénine, “un vrai communiste est plus tourné vers l’avenir que vers le passé”).

Entendent-ils que les modèles du passé servent à être critiqués et dépassés ? Que l’histoire doit servir à apprendre et à eviter les écueils d’hier, mais qu’elle ne peut figer l’esprit dans un récit mystificateur (encore une expression de Lénine) de ce que devrait être la Révolution et quant elle doit avoir lieu, en s’appuyant sur des textes écrits il y cent ans ou plus ? Que la Révolution se construit jour après jour au sein même des institutions bourgeoises pour former les esprits à la résistance et à la combativité, pour tirer partie de ce que le capitalisme a construit, tirer partie de ses faiblesses, et transformer peu à peu le rapport de forces en faveur d’un changement radical (oui, nous sommes d’accord !) du système politique et économique.

Quel marxiste-léniniste prétendrait aujourd’hui vouloir faire la Révolution sans actualiser, prolonger les pensées de Marx et de Lénine en les confrontant aux nombreuses connaissances accumulées tout au long du 20e siècle sur le mouvement ouvrier, la lutte des classes, la nature même du système capitaliste, les expériences heureuses ou malheureuses du socialisme du 20è siècle ?

Sans mesurer les forces aujourd’hui en présence en France (et dans le monde) dans le camp révolutionnaire et en tirer les conséquences quant à la stratégie à adopter pour faire grandir la Révolution ? Le niveau d’éducation des citoyens dans la France d’aujourd’hui ne peut-il être un levier pour une Révolution socialiste qui s’épanouirait dans la rue et dans les urnes, comme une promesse de jours meilleurs ?

Etre révolutionnaire n’est-ce pas avant tout se projeter dans le futur et imaginer la société que l’on veut construire ? Peut-on sèrieusement penser aujourd’hui l’avènement d’une société socialiste, révolutionnaire, sans recours fréquent au vote, à l’expression démocratique qu’il constitue et qui reste une des plus grandes conquête de l’homme moderne devenu citoyen contre les despotes ?

Bien sûr, donner aux travailleurs des droits inédits de réunion, d’élaboration de la stratégie de l’entreprise sur leur lieu de travail, nationaliser les moyens de production, orienter l’argent vers l’emploi et les progrès humains sont autant d’objectifs essentiels, primordiaux de la Révolution. Mais la Révolution du 21ème siècle ne vaincra pas par le sang et les larmes mais par la conviction du plus grand nombre que le capitalisme a fait son temps et qu’une ère nouvelle doit s’ouvrir plus humaine et plus solidaire.

Elle vaincra par la démocratie la plus poussée – articulation de la démocratie directe et de la démocratie représentative - et par la faculté du peuple de substituer aux institutions capitalistes des institutions socialistes, de restituer l’héritage de l’ancien système à tous les travailleurs et d’ organiser la société nouvelle au profit de tous. Aujourd’hui, la question du vote, de la prise de décison collective et l’organisation d’élections à tous les niveaux – assemblées élues et référendums - ne peut être considérée comme le détail (encombrant) d’un projet politique révolutionnaire...

C’est pourtant ce que semble nous dire les partisans de cette gauche radicale qui rappelle à plusieurs égards les “communistes de gauche” du temps de Lénine et qui, tout en présentant des candidats aux présidentielles et aux européennes explique qu’élire des représentants au parlement européen a finalement peu d’intérêt et que “le fruit est mûr” pour une Révolution dans la rue, sans l’unité nécessaire à l’édification de solutions politiques.

“Des ignorants ou des renégats du marxisme, tels que M. Plékhanov et ses pareils, peuvent crier à l’anarchisme, au blanquisme, etc. Qui veut penser et apprendre ne peut manquer de comprendre que le blanquisme est la prise du pouvoir par une minorité, tandis que les Soviets des députés ouvriers, etc., sont notoirement l’organisation directe et immédiate de la majorité du peuple. Une action ramenée à la lutte pour l’influence au sein de ces Soviets ne peut pas, ne peut littéralement pas verser dans le marais du blanquisme. Elle ne peut pas, non plus, verser dans le marais de l’anarchisme, car l’anarchisme nie la nécessité de l’Etat et d’un pouvoir d’Etat durant l’époque de transition qui va de la domination de la bourgeoisie à la domination du prolétariat. Je défends, au contraire, avec une clarté excluant toute équivoque, la nécessité, durant cette époque, de l’Etat, non pas d’un Etat parlementaire bourgeois ordinaire, mais, en accord avec Marx et avec l’expérience de la Commune de Paris, d’un Etat sans armée permanente, sans police opposée au peuple, sans fonctionnaires placés au-dessus du peuple." Lénine ; Lettre sur la tactique., avril 1917.

A cette gauche-là, nous disons que la démocratie représentative est une avancée humaine si importante qu’aucun révolutionnaire n’a le droit de la poser en concurrente déloyale de la démocratie directe. (Exclure l’une ou l’autre serait condamner la Révolution au despotisme...) Et que nous appelons la démocratie directe de nos voeux aussi chèrement qu’eux. Que ces deux formes d’expression politique doivent être associées, articulées tant par un gouvernement révolutionnaire que dans le combat qui construit patiemment l’esprit de la Révolution en s’appuyant sur les réalités présentes. Et l’une des données de la réalité présente en France, c’est qu’une partie du PS, emmenée par Jean-Luc Mélenchon, fait scission avec ce parti libéral hégémonique à gauche !

A cette gauche radicale, nous disons que dans ce combat pour la Révolution des consciences, elle qui veut prétendument nous faire gagner du temps en appelant à l’insurrection sans l’unité politique du camp révolutionnaire, négligeant du même coup la force que recèle la démocratie représentative pour fragiliser l’ordre capitaliste dominant, eh bien cette gauche-là nous en fait perdre - du temps - en suscitant des attentes que la “pureté” de son isolement ne pourra satisfaire.

Pour cela, nous ne lui disons pas merci ! Mais nous l’appelons à laisser derrière elle ses vieilles chimères et à nous rejoindre dans le combat unitaire pour une Europe politique sociale et solidaire et pour tous les combats à venir afin de débarasser le monde de l’aigle capitaliste.

Pour un Front Populaire du 21ème siècle !

P.S. Les mots qui peuvent blesser ou être perçus comme désobligeants ne sont pas de moi... 


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