Airbus, une coopération internationale ?

par Laurent Simon
mercredi 22 mai 2019

Airbus, ce n'est ni une coordination (forte ou faible), ni une coopération forte – partage de connaissances, toutes possibilités déjà essayées et que pourraient souhaiter les ‘souverainistes’… mais bien peu pertinentes !

En revanche, Airbus c'est finalement beaucoup mieux que tout cela réuni... Notamment pour les clients, pour les personnels, mais aussi pour les pays fondateurs !

Airbus, une coopération internationale ? La question ferait sourire en Allemagne !

Et en dirait-on autant de l’alliance Renault Nissan Mitsubishi ? De Peugeot Opel ?

De Volkswagen Seat Skoda ?

Une telle tendance, surtout française, peut s’expliquer, du fait de l’importance historique ici du secteur public ou nationalisé

Mais aussi parce que, au sortir de la 2e Guerre mondiale, les géants de l’aéronautique étaient trois américains, ne laissant que des miettes aux entreprises aéronautiques des pays européens.

Une autre explicaton, pratique et médiatique, tient à la taille des produits, du fait du choix, spécifique à Airbus (copié par la suite) de construire des tronçons d’avions et de les assembler à Hambourg et à Toulouse.

Qu’en est-il réellement aujourd’hui, dans un monde aéronautique très mondialisé ? Comme nous le verrons un peu plus loin, Airbus …

mais c'est finalement beaucoup mieux que tout cela réuni... Notamment pour les clients, pour les personnels, mais aussi pour les pays fondateurs !

Airbus, c’est d’abord et avant tout une entreprise multinationale.

Mais elle porte un projet européen très ambitieux face à une concurrence très puissante, transatlantiques, et bientôt également asiatique.

L’histoire de cette entreprise est très liée aux démarches qui ont permis la construction européenne (par la création d’un marché intérieur conséquent), et Airbus bénéficie ainsi beaucoup des nombreuses avancées décisives apportées par l’Union Européenne (notamment du Marché unique et de ses 4 libertés fondamentales, mais aussi de la R&D gérée par la Commission européenne, par exemple avec le projet CLEAN SKY, et de la mutualisation juridique permise par la Commission européenne).

Ce qui ne l’empêche pas de s’implanter, avantageusement, sur d’autres continents pour

ni d’utiliser des sous-ensembles produits dans le ‘village mondial’, par exemple des moteurs

ou des pièces produites en Afrique du Sud (pour l’A400M).

Cette internationalisation très forte est nécessaire pour pouvoir vendre des aéronefs à toute la planète, mais la fabrication de pièces ou l’assemblage en dehors de la zone euro et même de l’UE profite largement aux pays fondateurs de cette entreprise.

Par exemple, l’assemblage de la famille A320 en Chine ou aux Etats-Unis permet de vendre des Airbus en bien plus grandes quantités dans ces pays, et aussi de bénéficier le cas échéant de coûts de production plus faibles, mais la part produite dans les pays européens initiaux reste largement majoritaire, et le nombre d’emplois y a donc augmenté de façon très significative depuis les débuts d’Airbus.

Face à des géants outre atlantiques qui dominaient le marché, le nain Airbus des années 1970 a su s'imposer, en particulier grâce à des innovations audacieuses, réalisées avec des technologies maîtrisées.

Cette position très forte dans la compétition mondiale, acquise de haute lutte, a permis à l'avionneur européen de bien résister aussi face à l'émergence d'une récente concurrence non UE : russe, chinoise (COMAC) et canadienne (BOMBARDIER).

Et face à cette dernière menace canadienne qui s'avérait la plus dangereuse (par rapport aux petits A319 et A320 à terme), Airbus a su répondre de manière magistrale, grâce à la famille A320 NEO et ses réacteurs plus économes de 15% en carburant.

Ainsi, malgré la qualité de ses avions performants, Bombardier n'a pas pu vendre beaucoup de C-series CS100 et CS300, du fait du duopole très installé Boeing – Airbus : une compagnie aérienne ne peut facilement essayer de sortir des voies toutes tracées par ces deux géants, puisqu'il faut former les pilotes à de nouveaux cockpits, constituer et financer un nouvel ensemble de pièces détachées, etc.

Ces difficultés rencontrées par Bombardier permettent d'ailleurs, a contrario, et a posteriori, de mesurer la brillante performance d'AIRBUS, pour s'imposer hier face aux géants américains, et résister aujourd’hui à BOEING, après son absorption de Mac Donell Douglas (concepteur notamment des fameux DC 8... et moins fameux DC10).

Finalement, si Airbus a racheté 50% du C-series, pour un dollar symbolique seulement, c'est grâce à cette position très forte acquise par l'avionneur européen. Airbus commercialise ainsi depuis peu ces excellents avions, et du seul fait de les ajouter à son catalogue (sous le nom d'A220), crédibilise la démarche des concepteurs canadiens.

Mais revenons à notre question du départ : Airbus est-elle une coopération internationale ?

1. Airbus, c’est moins qu’une coordination forte

  Airbus, c'est moins que la coordination forte (type Concorde), et c’est heureux, car cela coûte très cher : si le Concorde a été une réussite technique extraordinaire mais ce projet, outre les ventes très insuffisantes, a été une parfaite illustration de la réalisation de deux projets en parallèle, des 2 côtés de la Manche. Il faut dire que, pour ne rien arranger, chaque pays avait déjà lancé son propre projet d'avion supersonique, et que ces deux projets n'ont pas vraiment fusionné en un seul : c'est comme si on avait financé deux projets concurrents, et que l'on avait choisi les meilleures idées (espérons le !), ou la moitié des propositions de chaque pays. Cette façon de faire est extrêmement coûteuse. Peut-être cela a t il été nécessaire en partie, étant donnés les nombreux défis technologiques qu'il fallait relever, mais ces énormes surcoûts constatés ont heureusement été évités avec le projet d'Airbus A300, qui lui a succédé.

Cette coordination était suffisamment forte pour permettre le succès technique, et elle passait par exemple par la réalisation d’un dictionnaire commun, comme me l’a confirmé un ami qui avait travaillé sur ce projet. 

Mais Airbus, ce n'est plus non plus une entreprise qui avait une tête bicéphale, avec un dirigeant des 2 pays les plus importants (un allemand et un français à la tête d'EADS, et à la tête de chaque filiale), et heureusement, car cela rendait l’entreprise très lourde, dans un environnement concurrentiel exacerbé, qui demande des processus de décision très rapides

Et Airbus, ce n'est pas non plus une 'coopération entre pays' (façon 'souverainistes'), avec des représentants de ces pays qui auraient un pouvoir de décision, ou une entreprise dont les dirigeants devraient se plier aux injonctions de chacun des Etats. Voir par exemple les prises de position régulières de Tom Enders, pour demander que les Etats n’interviennent plus

2. Airbus, c’est plus qu’une coordination faible

Airbus, c’est plus qu’une coordination faible, sans gestion de projet conséquente. Les dégâts ont été constatés sur le projet de fusée Europa, contemporain du Concorde, et antérieur aux succès d’Ariane. Ce projet a illustré une autre tendance, se satisfaisant d’assembler des fusées développées par 3 pays, qui fonctionnaient, pour en faire des étages d’Europa. Mais sans appliquer les bases d'une gestion de projet élémentaire, à savoir sans définir une Maîtrise d'oeuvre unique, et suffisamment puissante pour pouvoir prendre des décisions adaptées, pour trancher chaque fois que nécessaire, du fait des impératifs du projet commun.

Cette « coordination faible », par opposition à la coordination forte du Concorde, a logiquement débouché sur 6 lancements ratés, sur 6 tentatives associant plusieurs étages (100% d’échec !)

Mais Airbus, c’est aussi désormais plus qu’un ‘simple’ GIE (entre entreprises des pays fondateurs d'Airbus), et heureusement. Ce GIE a certes permis de grandes choses (lancement des A300, A310, A320, et A330/A340), mais il a aussi facilité le déclenchement d’un bug industriel gigantesque, lors de la fabrication des premiers A380 de série, qui a entraîné un retard de 2 ans et a coûté des milliards d’euros de pertes : les organisations allemandes et françaises, qui avaient pris l’habitude d’être très (trop) autonomes, avaient décidé d’utiliser une version différente du logiciel Catia de CAO, ce qui a obligé à refaire le câblage de très nombreux fuselages, envoyés à Toulouse par bateau depuis Hambourg. Plus de 1000 câbleurs allemands ont dû être déplacés vers Toulouse, pour défaire le mauvais câblage, et tout refaire !

Et Airbus, c’est aussi plus qu’une ‘simple’ coopération lancée (par des pays) sur un produit identifié, et heureusement. C’est une entreprise en étroit contact avec le marché, pouvant lancer de nouveaux produits de façon autonome (l’A320 par exemple, ou l’A330 – A340) ; ce qui n’exclut pas d’être soutenue dans ces projets par les Etats correspondants

3. Airbus, c'est également différent d'une coopération forte-partage de compétences

Airbus, c'est également différent d'une coopération forte-partage de compétences (chasseur Eurofighter), entre pays ‘pairs’, et heureusement. Une telle coopération est si forte qu'elle impose aux entreprises les plus avancées (ici Italie et surtout Royaume Uni) de partager leurs compétences de pointe avec les entreprises moins compétentes (ici en Espagne et Allemagne)

et ces façons de faire (et d'apprendre de la part de ses partenaires)

Ces surcoûts très importants, manifestes, ont été relevés et analysés à la fois par les Cours de Comptes britanniques et allemandes. Du fait, par exemple :

Mais Airbus, c'est également différent d’un organisme de recherche commun, comme le CERN à Genève. Son activité consiste à élaborer et donc partager des connaissances, mais ne va pas jusqu’à concevoir, vendre et fabriquer, des produits très innovants, grâce à des technologies maîtrisées, à très forte valeur ajoutée pour les clients et à des coûts restant très compétitifs. Ce qui est très différent !

D’ailleurs le CERN est malheureusement réputé pour être très bureaucratique (comme beaucoup d’autres instituts de recherche publics). Ce qui ne favorise ni les initiatives, ni la créativité, l’ambiance de travail n’y étant pas super positive ! L’auteur ne souhaite à personne de travailler dans un tel contexte, bien différent d'une entreprise comme Airbus.

Le tableau récapitulatif suivant permet de mieux distinguer les différentes caractéristiques de ces différents projets.

Spécialisation

faible

moyenne

forte

Gestion de projet…

 

 

Avec partage des connaissances dissymétrique

 

… défaillante

 

Fusée EUROPA

(6 échecs sur 6 lancements)

 

 

..efficace, mais pas efficiente

CONCORDE (réussite technique mais projet très très cher)

 

EUROFIGHTER

(surcoûts et retards importants)

 

… optimale

 

 

 

AIRBUS

4. Airbus c'est mieux que tout cela réuni

Finalement, Airbus c'est mieux que tout cela réuni, et heureusement

Airbus est une entreprise très vivante, créative, productive, efficiente, contrairement aux différents exemples cités plus haut.

 

En conclusion, Airbus montre bien l'exemple, en matière de coopération internationale (en particulier européenne), mais ce n'est absolument pas la coopération, qu'essaient de nous vendre les 'souverainistes' et 'populistes' de tous bords et de tous pays, mythifiée, mais inefficace et/ou très coûteuse, en conception, production et maintenance.

 

D'ailleurs que connaissent-ils, ces politiciens, du travail en projet ? Et des projets internationaux ? Que savent ils des nécessaires et délicates négociations, portant sur l'avenir d'entreprises et de leurs salariés, et pas seulement sur le très court terme (pour se faire réélire) ? Alors que ces partis n’arrivent même pas à se mettre d’accord sur un programme, et qu’ils continueront à siéger dans 3 groupes différents au Parlement européen.

 

Il faut bien méconnaître le travail en entreprise, en mode projet, pour proposer de telles usines à gaz, bureaucratiques, totalement inadaptées à une très intense compétition internationale, et qui ne permettraient pas non plus une coopération gagnant / gagnant, entre entreprises réparties en différents pays.

 

De plus ces politiciens, qui n'ont pour la plupart jamais travaillé dans un secteur hyper concurrentiel comme l’aéronautique, s'imagineraient-ils que des entreprises peuvent être aux ordres des pays, sans garantie pour leur survie et leur succès ? En tout cas, la réalité est tout autre !

Enfin, last but not least, coopérer entre entreprises ne va pas de soi, surtout entre entreprises de pays, de langues et de cultures différentes ?

A une enquête réalisée a posteriori par la Commission européenne, auprès des personnes ayant travaillé pendant des années pour les programmes européens de recherche ESPRIT et EUREKA, le premier avantage cité, unanimement reconnu, était justement d'avoir pu travailler ensemble, avec des personnes étant souvent dans des entreprises au moins en partie concurrentes de la leur !

Et pour cela il avait fallu dépenser des milliards, pendant des années !

Milliards que les 'souverainistes' et populistes seraient bien en peine de justifier, et même d'envisager, du fait de leur approche très étriquée, et de leur mauvaise compréhension de ce qu'est une pleine et entière coopération.

 

Au contraire Airbus est un exemple, imparfait bien sûr mais déjà très abouti, illustrant les difficultés et défis de la construction européenne, mais aussi ses succès incomparables, et inégalés jusqu'à présent, dans toute l'histoire de l’humanité, et qu'aucun autre continent ne peut encore ne serait-ce qu'esquisser valablement.

Et comme indiqué dans les deux articles précédents :

L’UE facteur de succès d’Airbus, pas le ’souverainisme’ ! (1)

Ariane, aidé par les ’souverainismes’ ? Non, bien au contraire ! (2)

Airbus bénéficie beaucoup de l’Union Européenne et du travail de la Commission.

Cette construction européenne est-elle d'ailleurs parfaite pour autant ? Non bien entendu, ne serait-ce que parce qu'elle est bien incomplète : c'est comme une bicyclette, pour ne pas tomber, il faut continuer à pédaler, pour la faire avancer !

Alors que cette construction européenne avance beaucoup trop lentement depuis quelques années, notamment à la suite du fameux référendum de 2005 en France.

Pour lequel, faut-il aussi le rappeler, 36% seulement des NON étaient contre le Traité constitutionnel : plus de la moitié des NON visaient 'seulement' à manifester un mécontentement profond par rapport à la politique nationale en France ! Ceci a cependant suffi à bien contrarier, pendant des années, les progrès de la construction européenne... progrès pourtant tellement nécessaires pour que nos enfants et ces pays européens puissent encore compter, dans un monde dominé par des grandes puissances , actuelles ou futures.


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