Apartheid : la faute et le piège de Manuel Valls

par Laurent Herblay
samedi 24 janvier 2015

Le mot employé par le premier ministre mardi a sans doute déclenché la première polémique de taille entre le PS et l’UMP depuis les évènements dramatiques de Charlie Hebdo. Même sans négliger les fractures qui existent aujourd’hui, il s’agit d’une exagération assez révoltante, un piège politique grossier.

 

Ghetto n’est pas apartheid
 
Bien sûr, nous traversons une crise qui a abouti à une fracture géographique bien décrite par Christophe Giuly par exemple. Bien sûr, on peut parler de ghettoïsation d’une partie du territoire, certaines banlieues ou territoires ruraux, qui cumulent fort taux de chômage, insécurité, échec scolaire et problèmes d’intégration d’une forte population immigrée. Mais parler d’un « apartheid territorial, social et ethnique  » est un abus de langage inadmissible de la part du Premier Ministre. Même si la situation est très grave, et sans doute parce qu’elle l’est, il ne faut pas se tromper dans le constat. L’apartheid a un sens : celui que lui a donné l’Afrique du Sud avec la ségrégation volontaires et organisés des noirs.
 
Même si la situation est grave, elle est tout de même profondément différente dans sa nature, puisqu’en Afrique du Sud, la situation était bien pire (en France, tous les citoyens peuvent voter par exemple et il y a plus de protections) et elle était sciemment entretenue alors que si la ghettoisation est bien le produit des politiques menées, elle ne l’est pas à dessein. On peut aussi se demander si cette comparaison n’est pas une insulte à toutes les victimes d’un véritable apartheid. En outre, Manuel Valls se réveille un peu tard. Le PS a été au pouvoir 18 des dernières 34 années. Il est donc très largement responsable de la situation et pourtant, il ne change quasiment pas l’orientation de sa politique !
 
 
Le piège grossier tendu à l’UMP

On peut se demander si cette déclaration ne fait pas partie de la stratégie socialiste pour 2017. En effet, en parlant d’apartheid, Manuel Valls se raccroche à la lecture traditionnelle d’une certaine gauche qui charge la responsabilité de la situation actuelle entièrement sur la société, épargnant les individus, qui seraient les victimes d’un apartheid par définition insurmontable. Car c’est ici que le choix des mots a un sens. En lavant de toute responsabilité les quartiers difficiles, il espère sans doute plaire aux classes populaires. On reste dans cette logique dangereuse où il n’y a que des droits, qui provoque la déresponsabilisation généralisée qui est également aux racines de la crise de ces territoires.

Ici, le Premier ministre essaie sans doute de cultiver sa différence avec l’UMP, après des annonces assez musclées et plutôt marquées à droite. L’idée derrière est sans doute de coincer Nicolas Sarkozy dans un espace politique trop étriqué entre un Front National qui essaie difficilement de se modérer et une majorité qui vire à droite mais qui doit veiller néanmoins à rester un peu plus à gauche que l’ancienne équipe au pouvoir, ce qui était peut-être l’objectif de cette déclaration extravagante mais qui a retenu l’attention de tous les médias. Le pari est loin d’être gagné mais il n’est sans doute pas perdu étant données les casseroles de l’ancien président et la possible légère amélioration de la conjoncture.
 
Oui, il y a des ghettos en France et cela doit être combattu, notamment en luttant contre le chômage, et en assurant l’ordre et l’éducation. Mais il est profondément abusif de parler d’apartheid, qui renvoie à une forme de violence totalitaire malheureusement pire encore que celle que subissent nos territoires abandonnés.

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