Après le carnage du 13 novembre 2015, l’Europe et la France face à la désintégration ou la métamorphose

par Bernard Dugué
lundi 16 novembre 2015

L’année 2015 n’est pas encore terminée mais elle sera marquée par quelques événements ayant une portée historique pour la France et l’Europe. Avec pour commencer les attentats de janvier 2015 et le rassemblement des bonnes consciences qui s’en suivit. Puis l’arrivée massive des migrants, autant sur le territoire européen que sur le théâtre des images, certaines ayant comme objectif de secouer les âmes, les unes charitables, les autres inquiètes par ce déferlement de gens errants qui ne parlent pas nos langues ni ne connaissent nos valeurs et notre culture. Et puis, cette entrée en scène de la Russie sur le front syrien contre les activistes islamistes. Ces événements laissent songeurs et n’offrent guère d’espérance en des jours meilleurs. C’est même l’inverse. Des heures sombres nous attendent. Il est impossible de fermer les yeux et de subir le cours des choses.

Un bref état des lieux nous montre l’étendue d’une masse de population à gérer chiffrée à plusieurs centaines de Calais dans un contexte où l’Europe est aussi face à une crise à la fois financière, politique et sociale avec son chômage et sa pauvreté. En France, le système de santé est saturé, les finances sont dans le gouffre, la police est débordée, les agents hospitaliers et les forces de l’ordre sont parfois proches du burn-out, le logement fait défaut. Or, les migrants ne sont pas des touristes ordinaires. Il faut du temps, des moyens en personnel et financiers pour les former, les loger, éduquer les enfants, apprendre la langue. Mais : dette publique, bientôt 100 % du PIB, déficit devenu presque chronique à plus ou moins 4%. Dans ces constats, vous ne verrez aucun jugement moral. Ce n’est qu’un état des lieux en 2015. La question des migrants ne se réduit pas à la France puisque d’autres pays, moins bien lotis, doivent faire face à un afflux de migrants plus élevé. C’est le cas de la Slovénie, pays dont les populations ont subi depuis la crise financière de 2008 une austérité conséquente.

L’accueil des migrants ou s’il y a lieu leur renvoi et la fermeture des frontières, place l’Europe dans une crise sociale spécifique qui s’ajoute à la crise déjà présente et qu’on doit présenter comme une crise de civilisation. Deux options extrêmes sont envisageables. Un formidable élan de fraternité et d’universalité se propageant au sein des populations européennes ou à l’inverse une crispation, un souci de sécurité, de maintien des acquis avec la possibilité d’un Etat policier et même des risques de guerre civile. Un curseur qui va de la pénombre à la lumière. La position du curseur dépendra des choix politiques et sociaux effectués. Mais une chose est certaine, la situation ne va pas être facile à gérer. D’autant plus qu’en la matière, il faut penser et agir collectif dans un contexte historique où les intérêts particuliers et l’individualisme dominent.

Mais qu’appelle-t-on penser ? Se demandait Heidegger dans un texte des plus fulgurants qui représente une sorte de testament ainsi qu’un aboutissement du chemin entamé dans Etre et Temps.

Manuel Valls parle de fusion entre listes de gauche et de droite. Il entretient la confusion. La COP 21 est aussi le théâtre d’une confusion des esprits sur le climat qui n’y est strictement pour rien dans l’afflux de migrants. Le monde de la politique et des intellectuels entretient une confusion dans les idées alors que les migrants ne font qu’ajouter à la crise. Pour gérer les choses, il est préférable de ne pas introduire de la confusion. L’Europe devrait s’orienter vers la clarté. C’est une partie de la métamorphose nécessaire.


Je devais mettre une note finale à cet article puis les événements du 13 novembre se sont enchaînés. Stupeur évidemment mais aussi une attention spéciale pour observer le déroulement médiatique. Ces carnages nous placent face à une double nécessité, celle de comprendre l’histoire qui se joue et celle de prendre les bonnes décisions. Les politiques et les intellectuels doivent coopérer. Les dernières nouvelles médiatiques montrent l’impuissance de notre pays à faire face à l’histoire. Aller chercher des indices et des précisions dans l’entourage des terroristes relève d’une opération ordinaire de police mais qui n’a pas d’intérêt pour affronter une situation qui doit amener une prise de conscience nouvelle. Et qui doit être élargie aux questions de civilisations et raccordée au problème des migrants ainsi qu’à notre matérialisme exacerbé accompagné de l’individualisme. Décréter l’état d’urgence pendant trois mois est d’une stupidité abyssale à laquelle nous a habitué le président Hollande.

Quelques retours historiques ne sont pas de trop. Cette vague d’attentats rappelle les heures sombres du terrorisme rouge en Europe, notamment l’Italie et l’Allemagne. L’idéologie était différente. Les attentats étaient ciblés contre les « lieutenants du capitalisme ». Le terrorisme a été contenu et si la France n’a pas trop été touchée, c’est parce que des résistances idéologiques se sont dessinées dans la société. Les intellectuels ont condamné le terrorisme. Sans oublier la présence d’un Etat doté d’une police. Il n’y a rien de facho ou de réac à souligner la nécessité d’un dispositif de sécurité dans un Etat de droit.

Le terrorisme islamique est identique dans son dessein nihiliste mais distinct dans son fondement idéologique et sa logistique. Les brigades rouges étaient disséminées dans un Etat de droit et bien organisé. Ce n’est pas le cas pour les terroristes affiliés à Daesh qui ont des bases arrière, des lieux de formations et le gros problème, c’est l’idéologie au sein du monde musulman. Il y a trop de sympathisants envers ces terroristes ainsi que des complicités dans les monarchies du pétrole. Cela complique la tâche. Le combat contre le nihilisme islamiste se joue sur deux tableaux. Militaire sur le théâtre des opérations et rationnel sur le terrain des idées et des partages de pensée. C’est une clé nécessaire mais hélas peut-être pas suffisante. Un dialogue sans condescendance ni complaisance du côté des forces démocratiques. Car quelque part, le monde de l’Islam fait partie de l’Occident, même si l’Islam nous paraît comme une civilisation étrangère. Le dialogue oui, mais sans concession sur les valeurs de liberté qui nous animent.

Il ne faut pas se le cacher. Des heures sombres nous attendent. Il est possible que nous vivions dans la crainte des attentats pendant dix ou trente ans si rien n’est fait. Une intervention terrestre est incontournable si l’on veut régler le problème de l’Etat islamique. Ce qui suppose une diplomatie nouvelle. Je ne suis guère original, François Fillon dit la même chose. Une intervention conjointe associant toutes les puissances concernées, locales mais aussi européennes et russe. Et un dialogue sans faux semblant avec la Turquie et les monarchies du golfe. Cela implique aussi une résistance des peuples européens et pour nous Français, l’éventualité de « débarquer » Hollande et Sarkozy du jeu politique. Résister et se battre pour nos valeurs impose aussi de combattre les incapables et irresponsables qui sont au gouvernement. La stratégie de Hollande au proche orient a été désastreuse. Mais on ne peut imputer à telle partie la responsabilité du naufrage. Il n’y a qu’un réseau de responsabilité avec des individus plus ou moins influents et donc responsables en partie dans ce réseau global des décisions politiques, sociales et militaires.


Reprise du chemin de pensée. Les terroristes ont frappé mais ils ont fait une erreur si nous savons réagir. Ils ne sont pas les maîtres du jeu mais c’est à nous de prendre les dispositions pour être maîtres du jeu. Ils peuvent frapper à nouveau, ils sont en dehors des codes de la guerre conventionnelle et sont psychologiquement égarés mais efficaces dans la logistique. La France risque de connaître une situation comme Israël avec la crainte des attentats mais sans les possibilités de contenir la menace car la géographie de la France est incomparable à celle d’Israël. Quel est le nombre de gars prêts à se faire exploser ? Très peu, quelques centaines. Combien sont opérationnels ? Quelques dizaines, de quoi faire de gros dégâts. Surtout dans les médias et le moral des Français. On ne peut pas faire grand-chose lorsque des gars ont décidé de sacrifier leur vie pour en détruire des dizaines. Dans aucune école militaire on ne prépare les soldats à se faire exploser avec une ceinture d’explosif. Cette guerre est inédite. Mais la société aussi nous impose de penser les situations inédites. Sans pensée, nous sommes morts !

Bien évidemment, ce billet n’offre aucune solution, pas plus que les interventions d’intellectuels aguerris et certainement pas celle des politiciens qui commentent les événements dans les médias. Ce billet ne dit qu’une chose, c’est que pour changer notre vie, il faut changer notre pensée et sortir des cadres habituels.

Pur clore ce texte qui est à la fois combatif et critique, une réflexion de Heidegger sur son époque, celle des années 1960, avec une interrogation sur une alternative déterminante déclinée en deux éventualités : la fin des temps modernes ou un processus d’accomplissement des temps modernes qui sera peut-être long et ne fait que débuter.

Je ne suis pas assez éclairé pour trancher. La situation actuelle s’inscrit hélas dans le processus d’accomplissement des temps modernes. La guerre contre l’Etat islamique s’inscrit dans les temps modernes. Nous ne pouvons pas sortir de cette guerre car nous ne savons pas penser au-delà des temps modernes. Nous ne savons pas inventer un futur qui se présente à nous et que nous ne voyons pas car nous sommes devenus aveugles. Je ne sais pas si j’ai la volonté de continuer à éclairer des aveugles.


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