Assumer son vote

par Fergus
mardi 17 janvier 2023

On entend ou on lit, ici et là, qu’il existerait une obligation d’« assumer son vote » lorsqu’au fil d’un mandat politique en cours montent dans la population des protestations contre la gouvernance de l’exécutif en place. Ce type de réflexion est évidemment frappé au coin du bon sens. Mais dans l’électorat tout le monde n’a pas, loin s’en faut, la même lecture de cette « obligation »...

L’exemple du mandat présidentiel en cours est, sur ce plan, emblématique. Le 10 avril 2022, Emmanuel Macron s’est qualifié pour le 2e tour de scrutin avec les voix de ses électeurs propres avant, deux semaines plus tard, d’être élu avec les voix des mêmes électeurs augmentées de celles qui sont venues des rangs d’une partie des candidats éliminés au 1er tour, et notamment de l’électorat des candidats de gauche, La France Insoumise ayant fourni dans les urnes l’essentiel de ce renfort décisif.

C’est le jeu démocratique, et peu de monde dans notre pays ne conteste ce fonctionnement de nos institutions, directement lié au mode d’élection du président de la République au suffrage universel. Mais de quelle manière ces votes d’adhésion agrégés aux votes de rejet de l’adversaire du 2e tour (en l’occurrence contre Marine Le Pen) ont-ils engagé les électeurs relativement au président élu et à son action politique ?

En réalité, personne n’est « engagé » par son vote à soutenir le président élu en toutes circonstances. Pas même ses électeurs de 1er tour. Et pour cause : excepté le noyau dur des militants et des adhérents du parti ainsi que les sympathisants confits en dévotion, la majorité des électeurs d’un candidat le soutient pour son orientation politique générale, mais sans adhérer à tous les points de son programme.

Comment pourrait-il en aller autrement alors que figurent dans le projet de gouvernance des éléments de nature économique, géopolitique, sécuritaire, sociale, éducative, sanitaire ou sociétale ? Chacun ayant une histoire particulière faite d’éducation, d’expériences familiales et professionnelles, de vécu dans des environnement contrastés, il est normal que les attentes diffèrent au sein d’un même camp politique.

« Assumer » son vote, autrement dit une part de responsabilité de la gouvernance mise en œuvre au cours du mandat par le président n’en est pas moins une obligation, intellectuelle pour les uns, morale pour les autres. Vis-à-vis de soi-même, mais également vis-à-vis des compatriotes. Une obligation qui va de soi dans les rangs de ceux qui ont adhéré au projet présidentiel, mais également une obligation dans les rangs de ceux qui ont voté contre l’adversaire du président élu en permettant de ce fait l’élection de celui-ci.

À cet égard, voir des électeurs du 2e tour, notamment venus des rangs mélenchonistes, refuser d’assumer les conséquences de leur « vote contre » Le Pen n’est ni sérieux ni crédible, même si leur attitude a été, de leur point de vue, légitime du fait de la nature réputée « xénophobe » du Rassemblement National et de l’« incompétence » présumée de sa candidate récurrente.

Assumer son vote interdit-il pour autant de s’opposer frontalement à tel ou tel projet de loi piloté par l’Élysée et Matignon. Non, évidemment, dans la mesure où le vote n’est pas un contrat liant les électeurs à l’élu. Les premiers nommés peuvent avoir changé d’avis sur des mesures qui ont pu les séduire dans un premier temps. Ils peuvent même, pour les ralliés de 2e tour, avoir été, dès le dépôt de leur bulletin dans l’urne, déterminés à lutter le moment venu contre des mesures inacceptables à leurs yeux.

C’est exactement ce qu’il se passe avec la réforme des retraites, actuellement au cœur de l’actualité politique. Nul doute qu’il se trouve des électeurs de Macron qui, au vu des modalités du projet de loi envisagé par l’exécutif, ont pris conscience qu’ils seront personnellement impactés. Quant aux électeurs venus de La France Insoumise ou du Parti Communiste, ils font très majoritairement bloc contre la réforme conduite par la Première ministre dans l’espoir que la mobilisation populaire lui fera échec.

Rien là que le jeu normal des forces en présence : d’un côté, un président élu qui fait mine de croire que son élection a validé l’ensemble de son projet ; de l’autre, des électeurs citoyens entièrement libres d’agir en soutien ou en rejet du texte législatif, quel qu’ait été leur vote ! Une chose est sûre : si la réforme des retraites passe en l’état, tous ceux qui ont mis un bulletin Macron dans l’urne le 24 avril devront en assumer une part de responsabilité ! Nul doute que les électeurs de gauche concernés en ont pleinement conscience.


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