Au Burundi : Info ou Intox ?

par Bertrand Loubard
mardi 19 janvier 2016

Un avocat belge aurait transmis à France 3 une vidéo effroyable de violences commises en Afrique. Cette chaîne aurait mis cette vidéo en ligne et ces images se seraient même retrouvées sur internet. Les commentaires de ces images seraient repris sur le site :

http://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/burundi/le-burundi-en-proie-a-des-violences-extremes_1268499.html

en ces termes. :

...."Des scènes filmées lundi 11 janvier à Karuzi, au nord-est de la capitale Bujumbura, sur un terrain appartenant au parti du président burundais"...Etc.

 

Mais la vidéo n'est plus accessible car : "AVERTISSEMENT : le sujet de France 3 publié dans cette page en a été supprimé. Il comportait des erreurs factuelles."

 

Il est tout à l'honneur d'un média de reconnaître une erreur. Mais si réellement il y a erreur, ne serait-il pas bon d'expliquer les conditions dans lesquelles cette erreur s'est produite.....et ce, pour éviter des "spéculations". Par exemple parmi ce qui est rapporté comme étant des "explications" qui auraient été fournies par des responsables de la chaîne on trouve sur  :

http://observers.france24.com/fr/20160114-erreur-france-3-images-massacre-burundi?ns_campaign=reseaux_sociaux&ns_source=FB&ns_mchannel=social&ns_linkname=editorial&aef_campaign_ref=partage_user&aef_campaign_date=2016-01-14

soi - disant, dans la bouche de Jean-Jacques Basier, rédacteur en chef du Grand soir de France 3 : "C’est notre journaliste Luc Lagun-Bouchet qui est venu me voir pour me parler de cette vidéo. Elle lui avait été donnée par un avocat belge [Bernard Maingain] ........... Selon cet avocat, il s’agissait d’un massacre d’opposants au Burundi. Il nous l’a affirmé et nous avons l’enregistrement de notre conversation téléphonique qui le prouve. Après enquête, nous nous sommes aperçus que la langue parlée dans la vidéo n’était pas une langue du Burundi. Luc Lagun-Bouchet m’a donc expliqué qu’il s’agissait de miliciens congolais à la solde du pouvoir burundais. Nous avons remanié le sujet en ce sens, que j’ai ensuite validé, sachant que c’est cohérent avec les récits d’exactions ce que l’on entend sur place. Si la vidéo s’avère fausse, nous le dirons dans notre prochaine édition. Nous avons travaillé en toute bonne foi, car il est important de parler des massacres commis dans ce pays"

 

On pourrait croire que ceci est un "fake". En effet, comment l'informateur ("source au sein de l'armée burundaise") de l'avocat belge lui aurait-il donné des informations aussi "techniquées" en pensant que personne ne verrait ni n'entendrait la falsification ?....(car enfin il était simple de supprimer le son ou de le falsifier). Ou alors serait-ce, au deuxième degré, un "vrai-faux" contact qui aurait joué le rôle d'informateur, ayant acquis la confiance de l'avocat et qui aurait réussi, de la sorte, à le piéger, à le déstabiliser et le décrédibiliser ? Car enfin, cet informateur aurait tout aussi bien pu mobiliser immédiatement et plus directement les médias à qui ces "révélations" étaient en fait destinées, in fine.

Si le texte repris ci-dessus et qui cite les noms de Jean-Jacques Basier, rédacteur en chef du Grand soir de France 3, le journaliste Luc Lagun-Bouchet et l'avocat belge Bernard Maingain, est un "fake" (et pourquoi ne le serait-il pas ?) il aurait fallu espérer une réaction "franche et massive" du côté de FR 3 car l'"AVERTISSEMENT" dont question ci-dessus, lui, semble bien authentique....mais un peu trop laconique !

Il faut quant même se rappeler certains faits troublants dans les rapports que les médias font des événements et les erreurs qui s'y glissent parfois mais qui ne sont pas relevées et dont personne n'entend plus parlé dans le flot des autres informations et images plus frappantes et plus marquantes.......Or souvent on constate que c'est dans les détails que le diable se trouve révélé par des faits vraiment anodins, en apparence. Un exemple : le fait que sur RFI au journal de 8 heures du matin le 07/04/1994 (sous l'ère de Madeleine Mukamabano, proche de la mouvance "Public relations" de Paul Kagamé) l'annonce suivante a été faite à propos de l'attentat sur l'avion présidentiel rwandais : "Trois casques bleus belges ont été tués, ce matin, dans une embuscade sur la route de l'aéroport" (de mémoire). Le soir - même à la télévision française il a été fait état de la mort de trois observateurs belges des nations unies[1]. Des recherches auraient été menées[2] à l'INA pour retrouver les enregistrements des émissions sur les "événements" du Génocide rwandais : certains manqueraient, entre autre ceux du journal parlé de 8 heures de RFI ! Aucune explication n'a jamais été fournie sur la "perte" de cette information ! ...... Elle a bien été diffusée de cette manière et elle est erronée...Car il n'y a jamais eu que les 10 casques bleus belges qui ont été massacrés, en fin de matinée du 07/04 au camp Kigali (sur le plateau) et identifiés : ou bien il manque trois corps, ou bien "ils" n'étaient pas des casques bleus belges ni des observateurs de l'Onu, ou bien il n'y pas eu d'embuscades ni de victimes, comme il avait été pourtant rapporté !. Mais la rumeur était lancée : c'était "les Belges" qui avaient assassinés le Président Habyarimana..... Ceci n'est qu'un exemple, évidemment........Il y en a d'autres.

Mais revenons-en à la soi - disante déclaration de M. Jean-Jacques Basier, rédacteur en chef du Grand soir de France 3. En effet, si elle n'est pas purement et simplement un "fake", une explication exacte, complète et précise couperait toute interprétation farfelue. Or cette déclaration ; si elle est vraie (forme) et si la relation qui en est faite est juste (contenu), soulève certaines questions :

1 - "Après enquête, nous nous sommes aperçus que la langue parlée dans la vidéo n’était pas une langue du Burundi."

- Pourquoi faut-il qu'il y ait enquête "après" surtout quand la nouvelle est aussi "atroce" qu'elle est présentée et aussi grave de conséquences ? Dans quelles mesures les informations sont-elles réellement recoupées avant diffusion ? Sans doute s'agit-il d'une "analyse" de l'information mais à quel moment ? Pourquoi ne pas avoir fait remarquer l'"anomalie" à M. Maingain ?

2 - "Luc Lagun-Bouchet m’a donc expliqué qu’il s’agissait de miliciens congolais à la solde du pouvoir burundais".

- Quand s'est-on aperçu que la langue parlée n'était pas du kirundi ? L'explication fournie était-elle basée sur la comparaison entre le kirundi et une des +/- 15 langues bantoues parlées en RDC et quel interprète a-t-il été sollicité pour une telle analyse ? D'autre part dans quelles mesures la langue des acteurs de ces images peut-elle prouvée qu'il s'agit de "de miliciens congolais à la solde du pouvoir burundais" ? Sur quelles argumentations factuelles serait basée l'assertion du journaliste en question ?

3 - "Nous avons remanié le sujet en ce sens"............

- La définition de la technique de remaniement d'un sujet serait très intéressante à développer en liaison bien évidement avec les notions de "fake", d'autocensure et de liberté de penser.

4 - ".............. sachant que c’est cohérent avec les récits d’exactions ce que l’on entend sur place."

- Est-ce que l'invocation de la "cohérence avec ce qu'on entend sur place" ne mériterait pas un développement explicatif un peu plus exhaustif sur les questions des "sources" de l'information et bien entendu des limites de la protection de ces sources et de l'indépendance de la presse.

5 - Nous avons travaillé en toute bonne foi, car il est important de parler des massacres commis dans ce pays".

- Tout un chacun reconnaît la bonne foi certaine du travaille accomplis, mais le format dans lequel cette bonne foi est affirmée laisse dubitatif.

L'erreur faite, fut-ce de bonne foi, est-elle une raison, une explication, une cause de l'importance du sujet abordé : "car il est important de parler des massacres commis dans ce pays". Mais commettre une erreur sert-il réellement l'objectif de dénoncer une situation (par ailleurs indéfendable) ? "Taper" à côté de la cible ne signifie pas que la cible n'est pas à "viser" !....L'objectifs ne justifient pas toujours tous les risques (même ceux de faire des erreurs), ni les moyens de tirer précipitamment à côté de la cible. Parce que finalement la question est de savoir ce qui différencie une erreur de bonne foi de la propagande involontaire......

 

Il serait bien que M.M. Jean-Jacques Basier, Luc Lagun-Bouchet et Bernard Maingain opposent un démentit formel à toutes les rumeurs dans un sens ou dans l'autre (si du moins, ce sont des rumeurs) et cela justement pour ne pas la laisser s'amplifier. Car, s'il s'agit d'un enfumage, il doit être assez simple de démonter la machination et de dénoncer ainsi la factualité éventuelle de l'initiative mensongère.....

 

 

[1] https://www.youtube.com/watch?v=APvPG_TRAg8

[2] Vanadis FEUILLE et Pierre Edouard Deldique (octobre 2006)

http://www.francerwandagenocide.org/documents/RfiMissionEtudeRwanda.pdf

 


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