Bal tragique à Sarkoland : un mort

par LM
lundi 18 juin 2007

Gros coup de mou pour le leader rapido de la majorité bleue : le tsunami annoncé s’est transformé en vaguelette avec en prime un échouage de la mouette Juppé, numéro 2 du gouvernement, contraint à la démission après son échec à Bordeaux. Les socialistes se consolent, le FN fait la quête et Bayrou a plus de doigts que d’élus.

L’état de grâce a ses limites que les bulletins des urnes fixent. Hier, en dépit d’une participation toujours en berne, l’UMP s’est dégonflée un brin, remportant certes la victoire, comme prévu, mais d’une maigre avance, en tout cas bien moindre que celle qu’on annonçait il y a une semaine de cela. La faute à une TVA sociale bien mal défendue, gros cafouillage de l’entre-deux-tours qui devrait valoir à Borloo notamment quelques semaines à suivre assez difficiles. Sarkozy n’aime pas qu’on dilapide les héritages. Il aura suffi d’une mesure impopulaire et mal comprise pour enrayer la mécanique puissante de l’UMP, le grand parti de la droite qui ouvre. Il aura suffi d’une communication tordue, mal orchestrée, pour que quelques châteaux s’écroulent soudain, bâtis il est vrai à la va-vite sur la simple foi d’un premier tour euphorique. Mais de 400 ou 450 députés espérés (ou redoutés) le 10 juin la droite devra se contenter de quelques 330 à 350 députés à l’Assemblée prochaine, autrement dit rien de plus que ce qu’elle avait déjà, peut-être même un peu moins. Une victoire donc, mais qui sonne comme une petite défaite pour les hommes de Sarkozy. Un premier revers, minime mais un peu surprenant, pour l’UMP, jusqu’à présent irrésistible. La faute à qui ?

A la TVA sociale, bien sûr, mais aussi sans doute à la gauche, qui a su faire peur aux Français, en annonçant à grands coups de trompettes royales la fin prochaine de la démocratie si le tsunami prévu avait effectivement lieu. Ségolène avait solennellement demandé aux jeunes des quartiers, notamment, d’aller voter en nombre, de ne pas s’abstenir. On ne peut pas vraiment dire qu’elle a été écoutée, vu que l’abstention est restée au même niveau d’un tour à l’autre, guère moins. En revanche, incontestablement, les Français qui ont voté ont voulu signifier que pour eux une trop forte majorité n’était pas très saine, qu’il fallait bien donner au gouvernement les moyens de mener sa politique, mais sans plus. Même François Hollande a compris cela. Même son ex-compagne, qui, hier soir, comme dans chaque soirée électorale depuis avril dernier, s’est exprimée en débitant son programme présidentiel, comme si elle avait été élue, comme si elle avait décidément du mal à comprendre qu’elle avait été battue, Ségolène, deux fois nettement, et même quatre fois nettement, qu’elle n’avait pas fait mieux en candidate de gauche ou en future chef du PS. A entendre madame Royal parler hier, on a compris que pour elle cette nouvelle défaite du PS (après 1995, 2002 et les présidentielles de cette année) était en fait une « non-victoire », une de plus. C’est donc elle qui dans quelques semaines va choisir de mener une « non-refondation » du PS pour le mener à des « non-défaites » sans doute. Le futur du parti à la rose promet en tout cas beaucoup, entre Montebourg élu de peu, DSK élu facile, Fabius plébiscité, Hollande, chef sortant, et Ségolène donc, compagne sortante, qui n’a toujours pas connu de victoire.

Si Nicolas Sarkozy n’a pas connu le triomphe annoncé hier, c’est un peu également la faute de François Bayrou. L’homme qui pense que les Français ont tort de privilégier le clivage droite-gauche se retrouve certes au début de sa longue traversée du désert avec quatre bédouins, qui pourront au moins lui servir à boire, au plus lui indiquer le chemin de quelque oasis. Mais l’ancien chef de l’UDF pourra s’enorgueillir d’avoir vu ses électeurs brouiller le jeu de l’UMP par un report de voix apparemment massif en faveur de la gauche au second tour. Quoi qu’il en soit, le Béarnais faisait peine à entendre, hier soir devant les caméras, à égrener le nom de ses frères de déroute sous les applaudissements faussement nourris d’une poignée de supporters béats, comme s’il égrenait quelque chapelet électoral indispensable au maintien de la foi. Bayrou ne peut désormais que se raccrocher à un éventuel renvoi d’ascenseur du PS de madame Royal pour échapper à l’anonymat qui lui semble promis.

Si Nicolas Sarkozy n’a pas écrasé tout le monde hier, ce n’est en tout cas pas la faute du PC, sans groupe, sans argent, ni du FN, sans groupe non plus, sans député, et sans plus d’ argent que le parti de Buffet. Le Pen a lancé son opération pièces bleu blanc rouge, hier, pour sauver son navire gisant par le fond, dont seule Marine Le Pen a réussi à sauver la vaisselle. Sarkozy, sur ce point-là, aura atteint son objectif au-delà de ses espérances les plus folles : non seulement il a ratiboisé électoralement le FN, mais il lui a même vidé les caisses, siphonné les coffres, laissant ce mouvement, présent au second tour de la présidentielle en 2002, exsangue, presque mort. Un exploit faramineux du président de la République, qui doit faire rager Jospin.

Si Nicolas Sarkozy n’a pas pu surfer sur la grosse vague du triomphe, il le doit en partie à Alain Juppé, numéro 2 du gouvernement, superministre de l’Environnement cher à Nicolas Hulot, et qui n’a pas été fichu de se faire élire à Bordeaux. Enorme gifle pour l’ex « meilleur d’entre nous », protégé de Jacques Chirac, qui va pouvoir retourner enseigner. Au moins il pourra recommencer à utiliser des voitures polluantes pour ses déplacements, ne plus être obligé de pédaler dans le vide, pour faire écolo ! La défaite de l’homme vert du gouvernement est un peu symbole de cette soirée décidément ratée pour la droite. Certes la majorité est bel et bien là, mais il y a comme un sentiment d’inachevé au terme de ces législatives, comme l’impression que tout ne va pas être si facile pour le président courant ni pour ses ministres, qu’il faudra faire attention à tout, y compris au verre de trop, y compris aux mesures de trop, y compris à ce sentiment d’invincibilité qui nourrit les défaites des plus grandes équipes, en sport comme dans la vie. La défaite-démission de Juppé signe aussi peut-être la mort politique de ce dernier, ce qui n’est pas un mince évènement. Terminer sur une note aussi grossière un parcours « droit dans ses bottes » va laisser vert, et pour longtemps, « Juju », qui peut désormais s’espérer un destin à la Al Gore, 250 000 dollars par conférence sur le réchauffement climatique, à moins qu’il ne se connecte sur le MoDem de Bayrou, qui recevrait là un signe fort d’effondrement des clivages. Une question en tout cas se pose d’emblée : qui pour remplacer le grand homme gris-vert ? Roselyne Bachelot, ou Noël Mamère (ce qui serait une preuve d’ouverture supplémentaire) ou Dominique Voynet ? Ou De Villepin ? Ou Chirac, pour éviter les juges ?

Décidément, hier soir, quand il a appris que Ségolène Royal était autant avec Hollande que lui avec Cécilia, Nicolas Sarkozy, dans son lit, n’a dû esquisser qu’un maigre sourire, une petite joie gâchée par un triomphe raté, peut-être signe avant-coureur de gros orages à venir. Rien ne sert de courir.


Lire l'article complet, et les commentaires