Bayrou bientôt dans l’opposition ?

par Thomas
vendredi 4 mai 2007

Avec sa dernière déclaration au « Monde », Bayrou fait encore un pas de plus en direction de Ségolène Royal, au risque de se fâcher définitivement avec ses anciens alliés de droite. Pour autant, souhaite-t-il la victoire de la candidate socialiste ? Se rêve-t-il en Premier ministre d’une présidente socialiste ? Ni l’un ni l’autre, mais plutôt en chef naturel de l’opposition.

François Bayrou a décidé que 2007 serait l’année de son émergence, celle qui lui donnerait sa légitimité et un véritable destin politique. Après une percée inattendue dans les sondages, qui lui a un temps laissé l’espoir de se qualifier pour le second tour, puis une troisième place au premier tour (avec un score qui l’aurait qualifié en avril 2002), il ne veut pas laisser retomber le soufflé. Depuis le lendemain du 22 avril, alors que tous les perdants se sont éclipsés de la scène, lui maintient, par divers stratagèmes, une présence médiatique importante, accède à un débat inespéré. Il est même la personnalité politique préférée des Français parmi celles qu’ils souhaitent voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir, selon un sondage TNS Sofres pour "Le Figaro Magazine" publié jeudi. Avec 65% d’avis favorables (autant à droite qu’à gauche), le leader centriste gagne dix points par rapport au même baromètre du mois d’avril et devance largement les deux finalistes de l’élection présidentielle !

Confronté au sort traditionnel des perdants, celui d’énoncer des consignes de votes avant de se retirer, il maintient sa ligne ni gauche ni droite alors que les deux vainqueurs multiplient les appels. Mais s’allier à l’UMP, ce serait s’assurer un retour au sein d’une majorité dans laquelle il ne pèserait guère, à laquelle il ne serait vraisemblablement pas indispensable pour gouverner, et en fin de compte un schéma très habituel avec lequel il veut rompre. S’allier au PS, ce serait trahir son électorat traditionnel. Dans les deux cas, un ralliement aurait signifié la fin de la ligne centriste qu’il a eu tant de mal à faire émerger, sans compter le risque de choisir le mauvais cheval.

Pendant dix jours, il a cultivé cette ligne. D’abord le débat avec Ségolène Royal lui a permis de marquer sa différence avec le PS, d’afficher son pragmatisme et son réalisme économique à une époque où la population française sent bien que la fin de l’Etat providence est inévitable. Ensuite, on l’a entendu déclarer sa grande différence avec Nicolas Sarkozy grâce à des « off » fort opportunément ressortis des placards (le pacte secret refusé) ou de virulentes charges contre lui (telle son interview avec JM Aphatie sur RTL). Et contrairement à Ségolène Royal, qui attaque très maladroitement Nicolas Sarkozy sur ses points forts (voir sa charge sur la sécurité dès le début du débat de mercredi soir), Bayrou sait beaucoup mieux frapper là où Sarkozy est faible et là où « ça fait mal » (sa connivence avec les médias, ses pratiques antidémocratiques).

Au lendemain d’un débat télévisé où la candidate socialiste n’a pas brillé par sa prestation, en tout cas pas au point de renverser les sondages qui s’obstinent à la donner perdante, Bayrou fait curieusement un pas de plus dans sa direction en annonçant au Monde qu’il « ne votera pas pour Sarkozy », ce qui déclenche instantanément des réactions virulentes du clan Sarkozy. De toute façon, le candidat UMP ayant déjà affiché que « ceux qui ne sont pas avec lui sont contre lui » (la doctrine « George W. Bush »), la position de François Bayrou ne lui laisse guère espérer la moindre clémence ou le moindre pardon. Sarkozy qui affirme qu’il n’y aura « ni débauchage, ni marchandage » préfère manifestement le chantage pour rallier des députés UDF plus attachés à leur siège qu’à leurs convictions.

L’une de ces réactions est relativement pertinente, celle de l’UDF rallié à l’UMP, Gilles de Robien, qui déclare que "François Bayrou (...) se prépare à entrer dans l’opposition en cas de victoire de Nicolas Sarkozy". Et de fait, plutôt qu’un strapontin gouvernemental qui l’obligerait à une discipline et un devoir de réserve pour les cinq prochaines années, Bayrou préfère un siège d’authentique opposant qui lui permettra de s’exprimer à loisir et consolidera sa stature politique.

Ce faisant, il mise tout de même sur la décomposition à brève échéance du Parti socialiste, hypothèse réaliste tant les dissensions sont devenues visibles à gauche (telle l’absence remarquée de Laurent Fabius à Charléty alors que le PS jette ses dernières forces dans la course à la présidence). Au minimum, il espère le ralliement rapide de quelques ténors compatibles (tels ceux qui s’étaient exprimés avant même le premier tour). Il peut aussi compter qu’un Parti socialiste qui s’attend à être malmené aux législatives préfèrera trouver en face de lui à l’Assemblée des députés UDF plutôt que des UMP. Des accords de désistement inhabituels sont donc vraisemblables entre les deux formations, dont Bayrou espère récolter bien plus que la vingtaine de députés que Sarkozy vient de lui arracher.

Positionné entre une droite puissante et une gauche exsangue, qui ne songe même plus à lui chercher querelle et qui le juge même fréquentable, François Bayrou espère bien devenir le leader naturel de l’opposition au futur gouvernement de Nicolas Sarkozy, un tremplin idéal pour 2012.

Cette stratégie n’est pas sans risque et le futur parti démocrate (dont on peut anticiper que son acronyme officiel comportera au moins trois lettres pour éviter les quolibets faciles) pourrait bien être mort-né, mais c’est sans doute la seule qui peut lui permettre d’espérer un jour atteindre le second tour au lieu de rester perpétuellement coincé entre droite et gauche.

Pas sûr dans ces conditions qu’il souhaite la victoire de Ségolène Royal ni qu’il vote pour elle...


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