Bayrou-Le Pen, le duel surprise du second tour ?
par Voltaire
mercredi 11 janvier 2012
Si l’on s’était fié aux sondages de l’automne, l’élection présidentielle était déjà jouée. Nicolas Sarkozy contre François Hollande au second tour, et Hollande l’emportant haut la main. Mais… Mais la crise est là, profonde, brutale. Comme le disait un éditorialiste il y a quelques semaines, en réalité, qui peut imaginer que la situation d’avril sera celle d’aujourd’hui ? La présidentielle de 2012 est devenue un match à quatre, avec Bayrou et Le Pen en outsiders.
Ce soir là, Jean-Michel Aphatie présente, devant un Eric Besson incrédule, une hypothèse de second tour de l’élection présidentielle que personne n’avait encore osé suggérer sérieusement. François Bayrou contre Marine Le Pen. Parce que, dit-il, la crise est là, la situation va continuer à s’aggraver, le chômage monte en flèche, la société a perdu ses repères. Nicolas Sarkozy va être plombé par une situation économique et financière désastreuse dont il est en parti responsable, François Hollande est empêtré dans un programme socialiste intenable et des accords de partis ingérables. François Bayrou et Marine Le Pen sont en dehors du système, ils peuvent récupérer les électeurs déçus et inquiets des deux camps. Quel crédit donner à cette hypothèse ?
Les candidats
Marine Le Pen a 43 ans. Si elle n’est pas la plus jeune candidate de cette élection, sa relative jeunesse n’est pas sans importance. Par rapport à 2007, lorsque son père avait manifestement pâti d’une certaine usure, ce renouvellement de génération, dans un contexte socio-économique nouveau, constitue un atout indéniable. Avocate de formation, Marine le Pen, née à Neuilly sur Seine, a vécu immergée dans la politique dès son plus jeune âge. Et malgré ses mandats régionaux obtenus en Nord-Pas-de-Calais, ou son mandat de députée européen plus anecdotique qu’autre chose, elle demeure avant tout une parisienne, pleinement intégrée au microcosme politique national. Divorcée, mère de trois enfants, Marine Le Pen a hérité de son père le sens de la répartie, la colère facile, réelle ou feinte, les avis tranchés. Comme lui, elle n’argumente pas, elle assène, et sait remarquablement exprimer le ras-le-bol de cette partie de la population qui se sent abandonnée.
François Bayrou a 60 ans. S’il n’est pas le candidat le plus âgé de cette élection, celle-ci est néanmoins sa troisième, et cette expérience a aussi son importance. Après un premier galop d’essai en 2002, qu’il avait terminé sur le score modeste de 6,8%, François Bayrou avait constitué la surprise de 2007. Terminant troisième avec ses 18,57%, il avait sérieusement menacé les favoris dans sa montée spectaculaire lors des mois de février et mars, dépassant les 20% d’intentions de vote, avant de s’essouffler dans la dernière ligne droite, victime de la coalition implicite de ses concurrents, et du doute qui avait au dernier moment saisi une partie de son électorat sur ses capacités à gouverner. Béarnais, né dans le petit village de Bordères qu’il habite toujours, de parents agriculteurs, François Bayrou devint ensuite agrégé de lettre et enseignant avant de se concentrer à la vie politique, et de devenir le père de 6 enfants. Ses origines provinciales modestes et sa formation littéraire ont sculpté sa personnalité : François Bayrou est un intellectuel aux pieds ancrés dans la terre. Tenace, têtu, mais clairvoyant, il exècre ces ors de la République pour lesquels se battent tant de politiciens professionnels. Le débit de sa parole, ralenti par sa lutte contre le bégaiement, suit une pensée profonde, construite, qu’une émotion contenue vient parfois renforcer. François Bayrou est un visionnaire bâtisseur, une singularité dans le paysage politique français, et la rectitude de son parcours participe à sa force.
Leur projet
Le projet présidentiel de Marine Le Pen est, contrairement à celui des autres favoris de cette élection, déjà assez détaillé (http://www.marinelepen2012.fr/le-projet/). Sans pouvoir être ici décrit de façon exhaustive, il peut néanmoins être présenté comme s’articulant autour de trois axes clés :
· La « préférence nationale ». Élément traditionnel du Front National et des autres partis « nationalistes » européens, cet axe se traduit par deux grandes séries de mesures. Les unes consistent en une fermeture partielle des frontières, la proposition de renégociation unilatérale de nombreux accords internationaux de la France, le rétablissement de droits de douanes, l’arrêt quasi-total de l’immigration etc. Les autres, à vocation plus interne, établissent une discrimination positive en faveur des nationaux, voire des « patriotes », pour divers services (logement, santé…) ou l’accès à certaines professions et, à l’inverse, une discrimination négative pour les étrangers.
· La « renationalisation ». Il s’agit là d’un tournant à 180° par rapport aux positions anciennes du FN. Le projet de Marine Le Pen comporte en effet une large série de propositions très semblables à celles du programme commun de la gauche des années 70 : fin de la décentralisation au profit d’un État plus centralisateur, planification stratégique industrielle, sanctuarisation des participations de l’État dans les sociétés de service public, renationalisation partielle des banques, développement massif de certains secteurs publics (armée, police, justice, santé…), blocage des prix de différents biens et services etc.
· Le « traditionalisme ». Sur un certain nombre de sujets, comme l’éducation, la culture ou l’environnement par exemple, les propositions de Marine Le Pen sont un retour à des méthodes ou valeurs classiques, « patrimoniales », qui ne sont d’ailleurs pas sans présenter une certaine convergence avec la philosophie de François Bayrou. De la même façon, elle insiste sur la nécessité du soutien aux PME, à l’artisanat, à l’entreprenariat, dans le cadre d’un rétablissement d’un marché national renforcé et protégé. Plus surprenant, elle propose aussi un retour progressif du droit à la retraite après 40 années de cotisation, grâce à la création de nouvelles sources de financement en dehors des revenus du travail.
A l’inverse, le projet de François Bayrou est encore en cours d’élaboration. Ses grandes lignes seront débattues lors d’une série de conférences thématiques qui se dérouleront d’ici la mi-février, et le projet détaillé ne sera donc sans doute pas publié avant début-mars. Pour autant, on en connaît depuis plusieurs semaines les éléments directeurs (http://www.bayrou.fr/#conviction), qui s’articulent eux-aussi autour de trois axes :
- « Produire ». Il s’agit là certainement de l’élément le plus novateur du projet. Pour lutter contre le déficit chronique de la balance commerciale de la France, largement responsable selon Bayrou des problèmes budgétaires du pays, sa proposition est de relancer la production en France, qu’elle soit industrielle, agricole, de services mais aussi culturelle ou intellectuelle. Pour cela, Bayrou mise sur un label qui indiquerait la part de production française des différents produits ou services, afin d’encourager le consommateur à acheter les productions françaises, mais aussi sur un effort majeur à destination des PME. Pour ces dernières, il souhaite simplifier drastiquement les différents obstacles administratifs qui les empêchent de recruter (notamment le code du travail) et favoriser les productions haut-de-gamme, plus compétitives face aux produits réalisés dans les pays à bas-coût salariaux.
- « Instruire ». Fort logiquement, l’ancien ministre de l’éducation nationale s’alarme de la chute impressionnante du niveau de notre enseignement constaté dans les enquêtes internationales. Deux axes d’amélioration sont proposés : rénover les systèmes d’enseignement en intégrant les réussites pédagogiques expérimentées par les meilleurs enseignants, et adapter les pédagogies aux enfants plutôt qu’imposer un système unique qui laisse sur le bas-côté de nombreux élèves en difficulté.
- « Construire ». Rétablir une démocratie irréprochable, la séparation effective des pouvoirs avec une presse et une justice pleinement indépendantes, constituent toujours des objectifs majeurs pour François Bayrou, afin de redonner au citoyen confiance dans ses institutions. Ceci passerait par une série de réformes structurelles, mais aussi par l’interdiction de l’endettement de l’État pour ses dépenses de fonctionnement.
Leur équipe
La faiblesse apparente de l’équipe de Marine Le Pen (http://www.marinelepen2012.fr/lequipe/) demeure l’un des handicaps majeurs de sa campagne. Hormis la présence notable de son compagnon Louis Aillot, avocat et Conseiller Régional de Languedoc-Roussillon, et celle de Florian Philippot, diplômé d’HEC et ancien énarque, qui ont manifestement su professionnaliser le projet de la candidate FN, celle-ci ne dispose pas à l’heure actuelle d’un entourage suffisamment crédible pour constituer une base de gouvernement. Ceci explique sans doute une campagne publique quasi-exclusivement menée par la candidate elle-même. Pour autant, le niveau de détail du projet de Mme Le Pen, par comparaison avec ceux du FN lors des élections précédentes, suggère que des efforts ont été entrepris pour s’attacher l’apport de professionnels plus conséquents et il sera intéressant de suivre la présentation officielle de ses soutiens dans les semaines à venir.
Bien qu’ayant toujours pu compter sur un réseau d’experts important, le candidat centriste avait fortement pâti en 2007 de la faiblesse relative de son entourage politique, décimé par les débauchages de l’UMP, ce qui avait nuit à sa crédibilité de candidat dans les dernières semaines de campagne. A l’inverse, cette campagne de 2012 s’ouvre sur de meilleurs auspices. Au-delà de son équipe de fidèles du MoDem, François Bayrou a su s’entourer d’un grand nombre de personnalités politiques de premier plan, souvent anciens ministres, qui ont exercé des responsabilités importantes (http://www.bayrou.fr/#candidat). La poursuite des ralliements sur sa candidature, provenant non seulement de sa famille centriste d’origine mais aussi des gaullistes sociaux et peut-être des écologistes modérés, lui assure une crédibilité nouvelle et la capacité à former, si la situation se présente, une équipe gouvernementale compétente.
Leurs objectifs
Si le premier objectif de Marine Le Pen est bien sûr de faire le score le plus élevé possible lors de la présidentielle, voire d’accéder au second tour, la candidate du FN sait pertinemment qu’elle n’a aucune chance à l’heure actuelle d’être élue. En réalité, cette élection est une préparation aux élections suivantes, et d’abord aux législatives qui vont suivre. Le FN a en effet énormément souffert de son très mauvais score (4,3%) aux législatives de 2007. Or ce sont les législatives qui déterminent le financement public des partis politiques. Après ces élections, le FN avait dû se résoudre à licencier nombre de ses permanents et vendre son siège de Saint-Cloud, ce qui avait durablement affecté ses capacités à faire campagne lors des élections locales suivantes. Un bon score au présidentielles assurerait au FN une capacité à présenter des candidats plus crédibles aux législatives qui suivront, et constituerait un tremplin pour les années suivantes. A moyen termes, l’objectif du FN est en effet de constituer une alliance avec les éléments les plus populistes de l’UMP afin de pouvoir accéder aux responsabilités, alliance qui pourrait être favorisée par l’échec du président sortant et un possible éclatement de l’UMP qui suivrait.
A contrario, François Bayrou vise lui d’abord la victoire lors de cette élection présidentielle. L’ensemble de sa stratégie politique de ses dix dernières années a été conçue autour de l’élection présidentielle, seule élection selon lui permettant de renverser le système actuel figé dans un bipartisme peu représentatif de l’électorat. Si cela lui a valu une traversée du désert prolongée, cette stratégie et la constance de ses positions lui ont aussi permis d’acquérir une certaine reconnaissance des électeurs pour sa ténacité et son courage politique. Pour autant, François Bayrou sait qu’il s’agit là probablement de sa dernière élection présidentielle. A défaut de victoire, et contrairement à 2007, François Bayrou a donc pour objectif secondaire la reconstitution d’un parti central fort et influent. C’est cette volonté qui lui a permis de retrouver des alliés et devrait permettre à cette famille de pensée de se réunir après l’élection présidentielle afin de peser dans une future majorité.
Leurs chances réelles
Celles de Marine Le Pen pour une victoire au second tour demeurent quasi inexistantes. Chacun des trois autres candidats principaux est assuré d’obtenir plus des deux-tiers des voix dans un duel contre la candidate du FN. Pour autant, la stabilité des intentions de vote en sa faveur, autour de 18%, témoigne d’un socle électoral significatif qui peut lui permettre d’envisager une qualification au second tour en cas de désaffection prolongée envers les favoris. Ceci constituerait un séisme politique majeur et initierait probablement une recomposition partielle de la droite française.
Les chances de François Bayrou sont plus difficiles à cerner. S’il est en avance par rapport à 2007, il doit encore franchir un palier et dépasser de façon durable les 15% pour s’imposer comme un gagnant possible. Pour cela, il dispose d’atouts nouveaux : une équipe plus crédible, la reconnaissance de la justesse de son analyse sur des sujets clés comme le déficit. Le bilan considéré comme catastrophique de Nicolas Sarkozy et le faible enthousiasme exprimé par les électeurs pour son concurrent socialiste lui offrent une dernière chance, réelle, d’accéder au second tour, qui serait sans doute synonyme de victoire finale. Son début de campagne positif lui a permis de s’imposer comme l’un des trois prétendants possibles à la victoire finale mais, comme pour Marine Le Pen, son succès dépend en partie de l’échec des autres concurrents. Il lui faut aussi être capable de proposer un projet plus précis de gouvernement et de sortie de crise. S’il parvient à s’imposer vers la fin février comme le seul capable de battre François Hollande, ou si celui-ci s’effondre, il est probable qu’alors la dynamique enclenchée sera plus difficile à enrayer qu’en 2007.
Conclusions
L’hypothèse d’un duel Bayrou-Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2012, il y a peu considérée comme farfelue, n’a plus rien d’impossible, même si elle demeure peu probable. Il est intéressant de constater que face à un duo Sarkozy-Hollande peu populaire, et malgré leurs différences idéologiques, François Bayrou et Marine Le Pen présentent certaines caractéristiques communes. Tous deux présentent une forte empathie envers une partie de la population qui se considère comme délaissée, voire abandonnée, tous deux peuvent légitimement se présenter comme ayant une constance dans leur combat politique, et tous deux se retrouvent dans une stratégie de reconstruction de la France. Deux éléments fondamentaux les différencient pourtant.
Le premier concerne le réalisme, notamment financier, de leur projet pour la France. Ce qui constitue traditionnellement l’un des points forts de François Bayrou risque de poser quelques problèmes à Marine Le Pen lorsqu’il faudra chiffrer ses propositions, souvent très ambitieuses en matière d’intervention de l’État.
Le second, sans doute le plus important, réside dans la philosophie de leur projet. Celui de Marine Le Pen est avant tout défensif : contre les étrangers, contre la finance, contre l’euro, contre l’Europe, contre la concurrence internationale, la présidente du FN entend ériger toute une série de barrières, de lignes Maginot protectrices, qui permettraient au Français de se replier sur eux-mêmes, de vivre entre-eux à l’abris des menaces. A l’inverse, celui de François Bayrou est offensif. C’est celui d’une reconquête : la situation actuelle de la France n’est pour lui pas due principalement aux autres, mais à une mauvaise politique interne. Mieux gérée, la France peut de nouveau reconquérir des marchés, recouvrir son influence, restaurer sa compétitivité, faire aussi bien que l’Allemagne. Mieux, pour Bayrou, la France a même un certain devoir moral à reprendre sa place, à défendre un certain modèle social, une certaine philosophie héritée des lumières.
Projet défensif, exclusif pour l’une, projet offensif, de rassemblement pour l’autre. Il sera intéressant de voir ce que les Français préfèreront. Nul doute qu’un duel de second tour entre les deux outsiders de cette présidentielle représenterait un vrai choix idéologique de société pour les électeurs.