Benalla-Macron : une affaire d’État ?

par LATOUILLE
mardi 7 août 2018

L’affaire Benalla est-elle une affaire d’État ? Mais qu’est-ce qu’une « affaire d’État » ? Ce sont deux questions clé dans cette affaire, deux questions à méditer avant les vacances ou au moment du retour. Voilà l'heure de la pause, les questions sont posées, attendons le retour des sénateurs et des journalistes.

En attendant bonnes vacances à tous.

 Dans £e Monde du 20 juillet le philosophe Philippe Raynaud explique que l’affaire Benalla n’est pas une affaire d’État parce que, pour lui, « Une affaire d’État est une affaire lors de laquelle les plus hautes autorités sont accusées d’avoir autorisé des actes considérés comme illégaux, en général au nom de la raison d’État, qui, elle-même, peut-être interprétée de façon plus au moins extensive. » Dans le cadre de cette définition l’affaire des décorations de 1887 qui entraîna la démission du président de la République, Jules Grévy, n’est pas une affaire d’État puisque l’instigateur de ce trafic, bien que député, n’était que le gendre de Jules Grévy et n’occupait aucune fonction à la présidence ni au gouvernement. Pourquoi Jules Grévy démissionna alors qu’il n’avait en rien commandité ce trafic ? Mais l’illustre philosophe précise : « Il s’agit d’une crise politique qui devient une " affaire d’État " si l’on entend par là que le sommet de l’État est touché, mais elle n’est pas comparable avec le Watergate, comme le dit Jean-Luc Mélenchon, qui serait bien avisé d’être aussi soucieux des abus de pouvoir au Venezuela. » Laissons de côté les invectives stériles suivant lesquelles parce qu’un jour untel a dit une connerie il perdrait le droit de parole en même temps que celui d’être écouté et entendu. Suivant ce principe plus aucun politicien ne serait autorisé à s’exprimer et nombre de philosophes devraient se claquemurer dans le silence. Le débat républicain mérite mieux que ces chamailleries puériles.

Certes l’affaire Benalla n’est pas le Watergate si on s’en tient à l’action de ce monsieur le 1er mai place de la Contrescarpe ; personnes au sommet de l’État ne lui avaient demandé de se comporter ainsi (du moins dans l’état actuel de ce qui est connu), tout comme Jules Grévy n’avait pas sollicité que son gendre se mit à vendre des médailles de la Légion d’honneur pour alimenter les caisses de ses affaires. Mais Jules Grévy était président de la République, et son gendre était « aussi » député ; le sommet de l’État prenait de plein fouet la malhonnêteté exercée. Dans le cas Benalla il ne faut pas méconnaître que celui-ci était très proche du président de la République, mieux il avait des fonctions importantes au sein de la présidence : adjoint au directeur de cabinet. Dès lors nous ne pouvons pas nous satisfaire du fait que l’action n’a pas été commanditée (pour ce qu’on en sait aujourd’hui), les citoyens ont le droit de savoir comment cette action délictueuse a été traitée par la hiérarchie de la présidence et quel a été le rôle du président de la République dans les décisions. Donc, dès lors que cette affaire met en question le pouvoir exécutif, à travers les instances de la présidence et implique ses hauts cadres, pas forcément dans sa responsabilité mais dans son périmètre institutionnel elle est une affaire d’État parce qu’elle oblige le président de la République à s’expliquer devant le peuple. Ce n’est pas la nature ou le contenu de l’action qui importe : corruption, scandale diplomatique, violence… c’est parce que le pouvoir exécutif est mis en cause et doit rendre compte devant le peuple que l’affaire et une affaire d’État.

Alors, Richard Ferrand est dans l’erreur lorsqu’il déclare au journal £e Monde le 2 août : « Je n’avais pas imaginé qu’elle déclenche un tel tsunami politico-médiatique ! Alors qu’il s’agit avant tout d’une faute individuelle… ». Il est dans l’erreur parce que « l’affaire » n’est pas celle des violences exercées par Benalla, pas même le délit d’usurpation de fonction et d’insignes de police qui d’un point de vue historique sont des faits d’une grande banalité qui relèvent de l’action judiciaire et de la morale. Ce qui est en question ici c’est la position de Benalla au sein de la présidence de la République et l’éventuelle protection dont il aurait bénéficié comme l’écrit Jean Garrigues dans £e Monde : « Il s’agit de l’entourage très proche de Macron, ça pose question sur les choix de recrutement de l’exécutif et les privilèges accordés de manière imprudente », et, autre volet de l’affaire, comment elle a été couverte par les cadres de la présidence de la République, du ministère de l’Intérieur et de la police. La révélation tardive (18 juillet par un journal) de l’action de Benalla sans laquelle rien ne se serait su, laisse à penser que le pouvoir exécutif souhaitait ne pas l’ébruiter, ce qui amène le politiste Olivier Rouquan dans £e Monde c’est « la notion de dissimulation qui crée l’affaire d’État ».

L’analyse des auditions devant les commissions d’enquête parlementaires montre une comédie dans laquelle chacun s’efforce de renvoyer la faute sur un autre, de s’extraire de l’affaire au prétexte qu’il ne savait pas ou croyait que l’autre avait fait ; l’impression qu’il en ressort (à charge pour les enquêtes de confirmer ou d’infirmer) c’est l’idée qu’on veut protéger le pouvoir et épargner Benalla. Le discours d’Emmanuel Macron : « il n’y a qu’un responsable : c’est moi, qu’ils viennent me chercher » est plus pathétique voire pitoyable qu’efficace, chacun sait qu’il est juridiquement irresponsable. S’il s’agissait d’évoquer sa responsabilité devant le peuple pourquoi a-t-il réservé son discours aux seuls membres de sa majorité autour d’un cocktail ? Quant à la diffusion du discours vers l’extérieur organisée par le service de communication de l’Élysée, comme si des caméras avaient volé des moments d’intimité, ne fait que confirmer ce sentiment que nous sommes en présence d’un pouvoir qui s’enferme sur lui-même et se protège par tous les moyens : exclusion de l’autre où le peuple est tenu à l’écart de la parole présidentielle réservée aux intimes, discrédit sur l’opposition politique qu’on réduit à une bande de revanchards et disqualification de la presse qui se mêlerait de ce qui ne la regarde pas ou qui s’agiterait inconsidérément.

Il est légitime, au sens moral, politique comme juridique, que l’opposition se saisisse d’une affaire qui implique, même de loin, le pouvoir exécutif. Une telle situation permet au pouvoir législatif d’une part de plus se faire entendre d’autant que le contexte de cette première année de présidence macronienne a été remarquablement marqué par un affaiblissement de toute opposition, à tel point qu’on a pu parfois parler de disparition de toute opposition. Cet étouffement de la parole d’opposition n’a pas forcément été bien vécue par le peuple qui a pu se sentir méprisé. Certes il y a eu les phrases tellement blessantes prononcées par E. Macron, mais l’envahissement de l’espace public par les seuls macroniens (ministres et députés) a mis les gens en position de se sentir rejetés par cette majorité d’urnes mais pas de cœur. E. Macron et ses députés lorsqu’ils disent « les Français veulent, les Français nous disent… » oublient qu’il n’a été élu que par à peine 23 % des électeurs inscrits sur les listes électorales, et si on prend en compte ceux en droit de voter mais non-inscrits, la majorité macronienne se limite autour de 19 %. Cela crée un contexte dans lequel une telle affaire, contrairement aux élucubrations de Mme Schiappa, intéresse les Français : en moyenne ce sont 800 000 téléspectateurs qui ont suivi quotidiennement les auditions parlementaires. Cette affaire permet, d’autre part, à l’opposition de montrer au peuple qu’elle existe et qu’elle travaille comme le rappelait récemment dans £e Monde le sénateur André Vallini : « On ne peut désormais plus s’y opposer, car le temps politique s’est accéléré ", analyse également le sénateur socialiste André Vallini, qui présida la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau. L’élu de l’Isère n’était " pas convaincu " au moment du lancement de la commission d’enquête sur l’affaire Benalla. Mais il voit finalement des vertus à cette réactivité : " Comme les travaux sont filmés, cela peut être utile pour rassurer sur le rôle des parlementaires. " »

Ce travail parlementaire accompagné par celui des médias est d’autant plus important et nécessaire qu’il s’inscrit dans un contexte où E. Macron avait promis un « monde nouveau », un monde purifié des pratiques nauséabondes de « l’ancien monde », et voilà que le quidam voit que les privilèges n’ont pas disparus, que des hauts fonctionnaires et des ministres sont sous le coup d’enquêtes judiciaires, que des ministres ont démissionnés peu de temps après leur nomination parce qu’ils étaient mis en examen, que d’autres ministres sont blanchis par le procureur à une vitesse inhabituelle, que d’autres affaires impliquant des ministres et des députés macroniens traînent pour se faire oublier… Ce contexte a transformé une polémique politique en affaire d’État dont la presse ne pouvait pas ne pas rendre compte au jour le jour. Nous relèverons à cette occasion que ceux qui vilipendent les médias aujourd’hui n’étaient pas aussi prolixes dans l’affaire Fillon.

Pour autant Georges Kiejman (£e Monde du 31 juillet, comme Philippe Raynaud, a raison lorsqu’il écrit : « Alors, que l’on cesse d’évoquer le " Watergate ", comme si des agents de l’État avaient été utilisés pour découvrir les secrets de M. Mélenchon ». Là aussi on remarquera que le règlement de compte puéril n’apporte rien au débat : « à supposer qu’il [Mélenchon] en ait – mais peut-être proteste-t-il clandestinement contre les agissements des anciens dirigeants révolutionnaires au Nicaragua ou au Venezuela qui massacrent " les gens ". » À ces propos inutiles autant que puérils Georges Kiejman ajoute : « Que l’on cesse d’évoquer les " barbouzes " si bien tolérés, malgré leurs crimes, du temps du général de Gaulle et de M. Pompidou. Que l’on ne confonde pas Alexandre Benalla et les nervis du service d’action civique (SAC), Gérard Collomb et Charles Pasqua. Enfin, que Mme Le Pen veuille bien se souvenir que son papa avait voulu faire évader Jean Bastien-Thiry, qui avait tenté d’assassiner le général de Gaulle et la République avec lui. » Mais, lui si proche de François Mitterrand qui n’était pas un parangon de vertu à qui, suivant les principes ici posés par Georges Kiejman, il aurait fallu interdire la parole, Georges Kiejman, sur fond de justesse historique malgré les oublis concernant les gouvernements auxquels il a appartenu, ne commet-il pas une erreur morale dans le sens où les fautes d’antan des uns n’excusent pas les fautes d’aujourd’hui des autres ?

Alors oui, Benalla ce n’est ni le SAC, ni le Watergate, même pas le Raibow Varrior ou les écoutes de l’Élysée, mais il est saint pour la démocratie et pour que la République ne devienne pas « bananière » que les parlementaires d’opposition questionnent cette affaire et que le peuple soit informé par une presse encore libre.

 


Lire l'article complet, et les commentaires