Bernard Tapie, symbole ou victime du « système » ?

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 5 janvier 2011

Symbole du « système libéral » sans état d’âme ou victime du système politique et judiciaire français ? Un aveu qui date de 2009 pourrait donner à Bernard Tapie quelques circonstances atténuantes.

On pourra toujours critiquer Bernard Tapie, ses nombreux défauts, son affairisme, son "médiatisme", son bluff, son arrogance, son imprudence, son insolence, sa façon de transformer tout ce qu’il touche d’abord en or puis en mouise… On pourra toujours s’être réjoui de ses mésaventures judiciaires (prison, faillite personnelle, ruine etc.) puis avoir pesté sûrement un peu par jalousie contre ces centaines de millions d’euros qu’il retrouve comme par miracle…

Bernard Tapie reste néanmoins une personnalité exceptionnelle du paysage politique (et médiatique) et pour n’avoir pas accepté les jeux du pouvoir, s’est brûlé les ailes comme Icare. Un vrai gâchis pour les enfants de la République.


Séduit par un séducteur

L’ascension fut rapide dès lors que le Président de République François Mitterrand trouvait en lui des qualités de débatteur extraordinaires, au grand désespoir des grands caciques du Parti socialiste. Une circonscription en juin 1988 à Marseille qu’il gagna plusieurs mois plus tard après une invalidation. Et un culot monstre qui en a fait l’un des contradicteurs les plus efficaces (avec Bernard Stasi) de Jean-Marie Le Pen.


En pointe contre le lepénisme

Le courage physique fut réel lorsqu’il osa se rendre sous les sifflets à un meeting de son concurrent du Front national et où il parvint à prendre la parole à la tribune en disant que pour résoudre le problème des immigrés à Marseille, il proposerait de les renvoyer en bateaux et de couler tous les bateaux. La salle se mit alors à l’applaudir. Tapie leur retourna le miroir en disant que ce n’était pas Le Pen qui était dangereux, mais bien ses laudateurs, puisqu’ils venaient odieusement d’applaudir un massacre.

Ne reculant donc pas devant l’affrontement parfois physique, Bernard Tapie a pris la tête de liste aux élections régionales en Provence-Alpes-Côte d’Azur le 22 mars 1992 pour affronter Jean-Marie Le Pen sans toutefois réussir à détrôner le président sortant Jean-Claude Gaudin.

C’est sans doute cette pugnacité et cette combativité qui ont encouragé François Mitterrand à le nommer Ministre de la Ville dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy le 1er avril 1992. Ce n’était pas un poisson d’avril et pourtant, la quasi-totalité de ses collègues ministres (à l’exception de Pierre Bérégovoy et de Bernard Kouchner) le détestait. À cause d’une affaire d’abus de biens sociaux, il a dû démissionner dès le 23 mai 1992 mais est revenu au gouvernement après un non-lieu le 26 décembre 1992 (jusqu’au 29 mars 1993). Il fut réélu député de Marseille le 28 mars 1993 et élu conseiller général le 27 mars 1994.


Le tombeur de Rocard

Ce fut aussi Bernard Tapie, conseillé et encouragé par François Mitterrand, qui mit fin aux ambitions présidentielles de Michel Rocard lorsqu’il mena la liste des radicaux de gauche aux élections européennes du 12 juin 1994 avec des thèmes très pro-européens (en faveur d’une Europe fédérale) et qu’il fit jeu égal (12,0%) avec la liste socialiste menée par Michel Rocard (14,5%).


Bernard Tapie était donc devenu l’une des personnalités politiques les plus médiatiques et pourtant, son aura s’est effondrée très rapidement à cause de ses problèmes judiciaires et en particulier de l’affaire OM-Valenciennes.


Prison ferme et faillite personnelle (grandeur et décadence)

Le 15 mai 1995, Bernard Tapie fut condamné à deux ans de prison dont un an ferme par le tribunal correctionnel de Valenciennes. Prison ferme confirmée par la cour d’appel de Douai le 28 novembre 1995 avec un verdict de huit mois ferme.

Le 31 mai 1996, il fut condamné à dix-huit mois dont six ferme pour une fraude fiscale et d’une interdiction de dix ans de gérer pour banqueroute...

Malgré son immunité de député européen, Bernard Tapie se constitua prisonnier l’après-midi du 3 février 1997 (à la veille de la décision de la cour de cassation) et passa cent soixante-cinq jours en prison (jusqu’au 25 juillet 1997). Une période évidemment très difficile pour toute personne.


La prison n’était pas justifiée

C’est donc assez surprenant d’entendre Éric de Montgolfier, procureur de Valenciennes qui s’impliqua beaucoup à faire tomber Bernard Tapie, dans le documentaire de Christophe Widemann "Bernard Tapie, l’aventure, c’est l’aventure" dans le cadre de l’émission "Un jour, un destin" présentée par Laurent Delahousse et rediffusée le soir du 4 janvier 2011 sur France 2 (le documentaire sera rediffusé dans la nuit du 8 au 9 janvier 2011).

En effet, Éric de Montgolfier, actuel procureur de la République au TGI de Nice, a déclaré très honnêtement (cela date de 2009) : « Quand vous voulez être un symbole, vous entraînez des peines symboliques. Et il est clair que la peine qui a frappé Bernard Tapie, pour moi en tous les cas, telle que je l’ai requise, est une peine symbolique. (…) Je pense que si Bernard Tapie n’avait pas organisé tout ce battage médiatique autour de ce dossier, s’il avait laissé les choses se faire normalement, il ne serait pas allé en prison. Je pense que ça ne le justifiait pas au regard des faits. Mais le problème, c’est que de ce dossier, il a fait autre chose et que même l’intervention du Président de la République [François Mitterrand le 14 juillet 1993], il l’a payée. ».

C’est vrai que Bernard Tapie n’avait pas cessé d’intriguer et de rappeler sa proximité avec François Mitterrand pour impressionner les juges et faire pression sur le procureur.


La justice est-elle impartiale ?

Cet "aveu" d’Éric de Montgolfier est à mon sens très grave : il signifie que la justice n’est pas égale pour tous alors que les juges ne doivent prendre leurs décisions qu’au seul regard des faits.

Il confirme qu’il y a bien eu une chasse à l’homme, une chasse politique, dont l’origine serait d’ailleurs plus à chercher du côté du Parti socialiste (il faut se rappeler que Bernard Tapie avaient des ambitions municipales à Marseille pour juin 1995) que du côté du RPR ou de l’UDF de l’époque.

Il confirme aussi que l’ego des juges peuvent terriblement influencer leurs décisions, en ce sens que leur soif d’indépendance peut réagir face à une intervention présidentielle qui s’est montrée très contreproductive.


Retour de manivelle et prudence…

Bernard Tapie a retrouvé son éligibilité en 2003, et sa capacité financière le 11 juillet 2008 lorsque, au grand dam de François Bayrou qui avait recruté Jean Peyrelevade pour sa campagne présidentielle, un tribunal arbitral (composé notamment de Pierre Mazeaud et de Jean-Denis Bredin) a décidé de lui donner raison contre le Crédit Lyonnais sur l’affaire Adidas, après une quinzaine d’années de procédure, lui apportant par la même occasion deux cent vingt millions d’euros.

À bientôt 68 ans, Bernard Tapie est aujourd’hui un peu un vacataire. En novembre 2006, il avait apporté son soutien à la candidature de Dominique Strauss-Kahn. Toutefois, il ne devrait sans doute plus revenir à la politique car chat échaudé craint l’eau froide. Il reste qu’il déploya une énergie à la fois exceptionnelle et efficace contre les idées du Front national et pouvait être crédible en redonnant à la vie politique cette dose d’authenticité grâce à un talent de communicateur hors pair.

Comme le disait un de ses amis, lorsqu’on fonce à vive allure, si l’on rencontre un mur, ça fait très mal. Mais c’est sans doute mieux que de faire du surplace.


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Sylvain Rakotoarison (5 janvier 2011)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Émission "Un jour, un destin".

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