Bilan de campagne - 1 - Inconséquence

par Paul Arbair
mercredi 11 avril 2012

Il reste presque deux semaines avant le premier tour de l'élection présidentielle, mais déjà un premier bilan peut être tiré... Non pas de l'élection elle-même, dont le résultat reste incertain, mais de la campagne électorale et de ce qu'elle révèle sur la France et sa démocratie.

Premier constat, cette campagne présidentielle semble avoir moins passionné les citoyens que les éditions précédentes. De nombreux observateurs l'ont décrite comme étant terne, manquant d'entrain, et ne suscitant que peu d'enthousiasme. La faute à la crise peut-être, qui réduit les marges d'action politique et donc le champ des possibles. Ainsi, le même candidat qui clamait en 2007 que tout devenait possible entend-il désormais incarner « la France forte », comme pour indiquer que le prochain président devra avant tout être à même de tenir fermement la barre pour affronter les tempêtes à venir. La politique, que Jacques Chirac définissait il y a quelques années comme « l'art de rendre possible ce qui est nécessaire », serait désormais réduite à l'art de savoir naviguer par gros temps en évitant au mieux les écueils. Le principal candidat d'opposition promet certes le changement, maintenant, mais ne semble pas parvenir à indiquer clairement de quel changement il pourrait s'agir au delà d'un changement de capitaine pour affronter ou tenter d'éviter la tempête. Le corps électoral français est privé des grandes promesses et illusions qu'il est habitué à recevoir lors des rendez-vous présidentiels (« changer la vie », « tout devient possible », etc.) et semble pour partie sombrer dans l'apathie, pour partie se radicaliser. Le spectre de l'abstention guette, alors que dans les sondages effectue une percée le candidat qui, contrairement aux autres, promet de repousser les limites de ce qu'il est possible de faire (augmenter fortement les salaires et prestations sociales, baisser l'âge de la retraite, ne pas rembourser la dette, etc.).

Deuxième constat, il semble qu'une grande partie de ceux qui vont s'exprimer dans les urnes ont l'intention de voter non pas pour mais contre un candidat. Le candidat socialiste ne suscite que peu d'enthousiasme dans l'opinion, et s'il l'emporte largement au second tour comme les sondages semblent l'indiquer il le devra probablement surtout au rejet massif du président sortant dans une partie importante de l'électorat. De même, si le candidat-président est ces dernières semaines remonté dans les intentions de votre pour le premier tour, c'est sans doute moins par adhésion a son programme ou soutien a ses idées ou à sa personne que par un phénomène de remobilisation de son camp contre la perspective d'une victoire de la gauche. L'atmosphère de la campagne est fortement chargée de négativité, dominée par la critique et le rejet beaucoup plus que par la proposition et l'adhésion, et il y a fort à parier que ceci devrait encore s'accentuer dans les semaines qui restent avant le vote. Au final, le nouveau président pourrait bien être élu par défaut, laissant augurer d'un mandat et d'un pouvoir faibles au cours du prochain quinquennat.

Troisième constat, les programmes des principaux candidats restent flous et leurs réelles intentions incertaines. Il est tout à fait frappant de constater que président sortant n'a jugé bon de présenter un programme détaillé que deux semaines avant le premier tour, qui plus est en se gardant d'être trop précis pour se laisser des marges de proposition avant le second tour. Tout se passe comme si l'important n'était pas de proposer aux Français un programme cohérent, basé sur un certain nombre de principes et de valeurs, mais de « sortir » des propositions chocs chaque jour, sans lien ni cohérence les unes avec les autres, uniquement destinées à capter l'attention des médias, à « faire le buzz ». Un sujet chasse l'autre, sans qu'aucune vision d'ensemble ou de fil directeur ne se dégage. A l'ère du « tweet » - symbole du degré zéro de la réflexion politique - l'important est d'occuper le terrain hypermédiatique et le « temps de cerveau disponible » des citoyens, pas de les éclairer sur les enjeux du vote et de leur proposer un véritable projet d'avenir. Les candidats sont condamnés à la surenchère pour exister, et ceux qui refusent de jouer ce jeu sont progressivement marginalisés. Corollaire de cette évolution, les intentions précises des principaux candidats restent incertaines, les propositions avancées n'ayant pas nécessairement vocation à être mises en œuvre.

Quatrième constat, le plus préoccupant probablement, les véritables enjeux pour le pays sont largement ignorés ou éludés. Le président sortant ne parle de la crise que pour expliquer que - grâce à lui - le pire est passé (si seulement…) mais qu'il serait quand même irresponsable de mettre son adversaire à sa place par les temps qui courent. Quant à l'adversaire en question, il feint de croire qu'il va réellement pouvoir renégocier la substance du pacte fiscal européen avec la chancelière allemande (bonne chance…) et engager de nouvelles dépenses publiques massives pour relancer la croissance. La dynamique dépressive à l'œuvre dans une partie de l'Europe, les déséquilibres structurels de la construction monétaire européenne, le décrochage compétitif de la France par rapport à l'Allemagne, la spirale de l'endettement public ne sont quasiment pas débattus, alors même qu'ils entrainent et entraineront, si rien n'est fait, une relégation politique et économique du pays et une paupérisation croissante de la population française. Comme le dit justement François Bayrou, la France est dans un état critique et « la situation est plus grave qu'on ne vous le dit ». Sans même parler des enjeux environnementaux ou bien de la situation des banlieues, eux aussi oubliés, on voit mal comment le débat présidentiel de 2012 pourrait permettre à la France de se choisir une voie vers le redressement, encore moins de se donner les moyens d'être « forte ».

Au final, la campagne présidentielle apparait marquée par une profonde inconséquence de la part de ses principaux protagonistes, incapables de tenir un langage de vérité sur ce qui attend la France et les Français, et sur la façon dont ils proposent d'y faire face. Cette inconséquence est d'autant plus dommageable que la réalité ne tardera pas, au lendemain de l'élection, à confronter le pays à des révisions douloureuses et à des choix difficiles. Loin d'être terminée, la crise viendra rapidement se rappeler au bon souvenir de nos dirigeants, quels qu'ils soient, qui devront alors mettre en œuvre des politiques qu'ils se seront bien gardés de présenter au vote du peuple. Les citoyens seront alors en droit de se demander à quoi aura servi l'élection présidentielle de 2012.


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