Bouteflika 4

par Alain Roumestand
lundi 14 avril 2014

Le président Bouteflika est en poste depuis 1999, soit depuis 15 ans et le 17 avril il se présente pour un 4ème mandat, après avoir été victime en 2013 d'un sévère AVC.

Depuis plusieurs mois l'administration algérienne gère le pays sans président. Très malade, Abdelaziz Bouteflika que des opposants interpellent avec la chanson de Stromae "Boutef...outai", trouve en travers de sa route Ali Benflis, son ancien premier ministre.

Le chargé de communication de Benflis, Habdelkrim Hadj Mehdi est en France. En effet 815000 algériens vivant en France sont appelés à voter pour la présidentielle algérienne. Des bureaux de vote sont ouverts dans de très nombreuses villes françaises.

La gouvernance Bouteflika

Le vieux président (73 ans) qui fut ministre des Affaires Etrangères, rompu à la diplomatie, est devenu au fil du temps un prête-nom derrrière lequel s'est structuré un pouvoir établi autour de l'ANP (l'Armée Nationale Populaire), un état dans l'état sans contrôle véritable du civil, avec son état-major et ses services de renseignements, d'un parlement véritable "alibi démocratique", avec des élections, un pluralisme de façade, n'exerçant aucun contrôle sur l'exécutif.

On compte pourtant pas moins de 100 partis politiques (dont l'ancien parti unique le FLN Front de Libération Nationale), 10 chaines de télévision privées, 80000 associations, 79000 locales et 1000 nationales.

Des personnalités animent la vie politique nationale, anciens ministres, anciens officiers supérieurs.

Certains observateurs parlent alors de "gestion démocratique de l'autoritarisme", avec des oppositions cooptées.

L'UGTA Union Générale des Travailleurs Algériens n'est plus seule. 89 syndicats autonomes dans le secteur public ont été créés pour les revendications sectorielles.

La légitimité révolutionnaire issue de la guerre d'indépendance avec le FLN et l'ALN Armée de Libération Nationale, s'exprime encore avec force, avec une certaine nostalgie d'un âge prétendu "d'or" bien ancré dans les mémoires.

Des chefs locaux jouent également leur rôle dans de véritables "loyautés traditionnelles".

Sans oublier les entrepreneurs très impliqués dans le pouvoir politique et administratif.

Une économie d'état

La Sonatrach, la compagnie d'hydrocarbures née en 1963, représente 98% des recettes de l'exportation et 70% du budget de l'état algérien. C'est le véritable pilier du régime qui lui permet aussi de tenir. L'entreprise bénéficie d'un véritable consensus national et irrigue toute l'économie.

Elle finance l'industrialisation ( la faiblesse de l'industrie algérienne est notable). Elle permet d'endiguer le chômage et la pauvreté.

Les travaux publics, routes, logements sociaux gratuits, lui doivent beaucoup. De même les PME qu'elle subventionne. Elle a aussi financé récemment des milliers de postes dans la sécurité, pour des jeunes chômeurs. Des sociétés en faillite sont rachetées, un club de foot financé. Commissions, rétro-commissions vont bon train.

Mais la Sonatrach s'appuie sur des ressources en gaz et en pétrole qui sont épuisables et le marché mondial très concurrentiel ( Russie, Qatar, USA avec le gaz de schiste) est de ce fait très instable. L'entreprise est très dépendante des investissements étrangers pour la technologie. Le partenaire européen est moins engagé que par le passé et se diversifie.

La Sonatrach ouvre son capital pétrolier et gazier à l'économie de marché.Une loi de 2005 remet le monopole de l'état ( depuis 1971) en question.

Les ingénieurs, les économistes, issus de la Sonatrach et des banques publiques irriguent la sphère politique.

Tension, violence, angoisse

L'assistance de l'état et de son entreprise phare accentue la clientélisation.

Echéances électorales et transferts sociaux vont de pair. En 2014 les transferts représentent plus de 8% du PIB et 30% du budget pour la fourniture en eau, électricité, carburants.

Régulièrement le lobby patronal profite lui aussi des largesses étatiques, ce qui n'empêche pas une division du patronat sur le choix à la présidentielle.

Les partis politiques, les associations qui reçoivent de l'état un agrément pour exister sont également financés pour garantir leur existence tolérée.

L'état algérien peut augmenter comme en 2010 de 60 à 70% les salaires dans l'éducation pour calmer les "impatiences", avec rétroactivité depuis 2008.

Cette gestion généralisée entraîne naturellement des tensions, car il y a des ratés, des laissés-pour-compte. La rente varie et les subventions fluctuent. Ce qui crée des frustrations individuelles, collectives, régionales dans ce pays de 39 millions d'habitants.

Le pouvoir applique une gestion fine de la répression face à la contestation et contrôle les violences et les poussées de fièvre.

La situation des années noires de la "sale guerre" qui hante les mémoires, conséquence du terrorisme, a trouvé sa solution dans une politique sécuritaire mêlant l'ANP et les services de renseignements impitoyables.

Après la guerre civile une certaine dépolitisation est apparue. Une vraie culture de la peur est née dans ces années d'incendie. Et le régime profite de l'angoisse mémorielle d'une partie de la population qui se demande ce qu'il adviendrait de l'Algérie, si le régime s'effondrait, dans le contexte régional actuel des révolutions qui ont instauré instabilité et désorganisation.

En 2011 les observateurs ont cru à une contagion des printemps arabes mais le régime a tenu bon. En janvier 2011 des contestations nombreuses ont eu lieu ; une coordination nationale pour le changement a vu le jour ; puis un essoufflement général a suivi.

No future

Pendant l'état d'urgence institué en 1992, la circulation des personnes et des véhicules était contrôlée. Les réquisitions au travail étaient établies. Les salles de spectacle et de réunion pouvaient être fermées sans préavis. Le couvre-feu empêchait les journalistes de faire leur travail.

Avec les révolutions arabes l'état d'urgence a été abrogé mais les manifestations à Alger sont toujours interdites. Les journalistes reçoivent des injonctions pour qu'ils se positionnent contre ce que l'état appelle le terrorisme et qui regroupe bon nombre d'activités diverses. Les journaux contestataires reçoivent de la publicité pour vanter le régime.

En 2011 le ministère de l'intérieur, gestionnaire efficient de la contestation avait relevé 11000 micro-émeutes, suite à des coupures d'électricité, d'eau, suite à l'affichage de l'attribution de logements sociaux. Mais les autorités voient bien que ces mouvements ne sont pas porteurs de contre-projet. Elles sont un exutoire à la colère et non une action positive pour déboucher sur des résultats, avec la croyance à un monde meilleur.

Alors beaucoup de jeunes dans ce climat de chape préfèrent les projets migratoires à la contestation sur place. Un jeune Oranais considèrant que les partis sont des poulpes, des requins attrape-tout, peut ainsi s'exprimer : " mieux vaut voter pour un mouton qui a au moins de la viande à offrir".

Ainsi cette élection devrait reconduire le président sortant, garant d'un système qui cherche un successeur pas encore émergent, alors que l'élite militaire et civile est mécontente du président. Avec une forte abstention ?

Pour mémoire et faisant de la figuration démocratique, se présentent aussi à la présidentielle, des candidats du Parti des Travailleurs, du Front National Algérien, du Ahd54,et même un membre du FLN.

Khaled, Smaïn, Kenza Farah ont enregistré un clip vidéo à la gloire du président Bouteflika :"laissez-moi être fier de mon président qui a prêté serment à l'Algérie et qui a tenu la promesse de millions de martyrs... Laissez-moi être heureux".

 


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