Bouter les étrangers hors de France, oui, mais à quel prix ?

par Toulousaine
mardi 19 décembre 2006

Combien coûte la rétention d’un étranger avant de l’expédier (éventuellement) hors de nos frontières ? Quel est le taux effectif d’exécution des reconduites à la frontière ? Combien ça coûte au contribuable français ? 25 000 étrangers éloignés (objectif fixé par Nicolas Sarkozy pour 2006), ça sert à quoi ?

Les articles 13 à 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (qui sont des dispositions à caractère constitutionnel) disposent :

Art. 13.
Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14.
Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Art. 15.
La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Selon un article publié par Les Echos le 27 septembre 2006 ("Immigration irrégulière : forte hausse du budget des reconduites à la frontière en 2007"), le coût d’un étranger dans un centre de rétention administrative (passage obligé avant la reconduite à la frontière) est de cent euros par jour.

L’indicateur sur le coût moyen en centre de rétention a vu, lui, le jour : il devrait avoisiner 1000 euros par étranger en 2007 pour une durée moyenne de rétention de 10 jours, contre 875 euros en 2006 (10 jours), 802 euros en 2005 (9,4 jours) et 606 euros en 2004 (7,8 jours).

La durée moyenne de rétention est de dix jours, donc le coût moyen d’un étranger placé en centre de rétention est de 1000 € (sans compter les frais de transport vers son pays d’origine).

Maintenant, ce qu’il est intéressant de savoir, c’est le coût des rétentions inutiles. Je m’explique.

Lorsque l’administration veut renvoyer un étranger vers son pays d’origine, soit l’étranger a un passeport en vigueur (et la difficulté consiste à trouver le moyen de transport idoine), soit il n’a pas de passeport. Or, la plupart du temps les sans-papiers (par définition) n’ont pas de papiers et donc pas de passeport en vigueur... Donc l’administration doit présenter l’étranger à son consulat et obtenir un laissez-passer (il serait intéressant de savoir combien coûte le déplacement d’un étranger à Paris pour cette présentation...)

Or, le taux d’obtention de laissez-passer est en pratique très faible, sauf si la France a des accords particuliers avec des pays comme, par exemple, avec ceux du Maghreb. Souvent, la non-obtention de laissez-passer s’explique par le fait que les préfectures sont débordées (25 000 reconduites par an est le but qui a été fixé par notre ministre de l’Intérieur pour l’année 2005).

Par exemple : cet été, j’ai eu quatre clients (nigérians et bangladais) qui ont fait des séjours de trente-deux jours en centre de rétention. Pour rien. Car leurs consulats ne les ont pas reconnus... C’est ce que j’appelle une rétention inutile.

Cette rétention administrative inutile a donc coûté 32 jours x 87,5 euros (chiffres pour 2006) x 4 personnes =11 187,20 euros au contribuable français... Et ce ne sont que les chiffres de mon petit cabinet de rien du tout.

Le même article des Echos nous informe du "taux d’éloignement des étrangers en situation irrégulière : 15 660 départs ont été réalisés en 2004, sur 69 602 mesures prises, soit un taux de 22,5 %".

Si le nombre d’éloignements effectifs en 2004 était de 15 660 sur 69 602 mesures prises, on peut estimer qu’il y a eu 53 942 rétentions inutiles...

Si l’on applique les indicateurs sur le coût moyen en centre de rétention calculés par le ministère de l’Intérieur pour l’année 2004, cela voudrait dire que le ministère a "gaspillé" 53 942 x 606 euros = 32,7 millions d’euros en rétentions inutiles...

A cela on doit ajouter cette autre information :

Pour mener à bien sa politique, Nicolas Sarkozy a engagé, en parallèle, un programme d’agrandissement et de construction de centres de rétention (Nîmes, Hendaye et Orly en 2007). Ceux-ci affichent aujourd’hui un taux d’occupation si élevé qu’il n’est pas rare que des étrangers ne puissent être reconduits aux frontières faute de places. Le ministre prévoit ainsi de faire passer le nombre de lits de 1447 à 2500 en juin 2007 (+ 48,5 millions d’euros).

Ces informations peuvent être consultées sur le site Internet relatif à la performance de l’action administrative :

www.finances.gouv.fr/performance/performance/politique/2007/TSOBJIND_OBJ2199.htm

qui ne donne malheureusement pas le nombre total de mesures d’éloignement prises en métropole.

Si le taux d’éloignement effectif des étrangers est de 22,5 % on peut estimer que la dépense supplémentaire prévue par notre ministre sera inutile à hauteur de 77,5 %. Il y a donc un gaspillage supplémentaire de 77,5 % x 48,5 millions d’euros = 37,6 millions d’euros...

Soit au total une dépense inutile de 32,7 + 37,6 millions = 70,3 millions d’euros...

Je pense qu’il est légitime de se poser la question : est-ce que la politique de l’immigration menée par Nicolas Sarkozy est réaliste et économiquement viable ?

Selon un article du Monde du 29 novembre 2005, notre ministre de l’Intérieur (ceci soit dit en passant, il est inadmissible qu’un candidat à la présidentielle soit à la tête d’un ministère à moins de six mois des élections, même les journalistes quittent temporairement leur poste alors qu’ils ne sont pas candidats et que leurs époux ne sont pas candidats), il y a en France entre 200 000 et 400 000 étrangers en situation irrégulière.

Nicolas Sarkozy estime que chaque année s’installent en France entre 80 000 et 100 000 étrangers de façon irrégulière.

Faisons un petit calcul : si en 2006, 25 000 étrangers en situation irrégulière ont été expulsés mais 100 000 sont arrivés... il reste donc 75 000 étrangers qui se sont installés chez nous.

Imaginons qu’on ferme totalement nos frontières (ce qui est rigoureusement impossible), il faudrait expulser à un rythme effréné pendant dix-neuf ans (19 x 25 000 = 475 000 étrangers en situation irrégulière qui sont en France à la fin de l’année 2006) pour se débarrasser de tout étranger indésirable !

Plus sérieusement, 25 000, 30 000, 50 000, peu importe le chiffre : jamais la France ne réussira à expulser tous les étrangers en situation irrégulière, qui lui rendent bien service dans les BTP et autres secteurs où le travail dissimulé remplit bien les poches d’entrepreneurs peu scrupuleux.

La classe politique, les « think tanks » et les médias seraient mieux inspirés d’étudier des solutions pour permettre une meilleure répartition de la richesse au niveau mondial, car le réchauffement de la planète et la désertification corrélative en Afrique vont continuer à pousser des être humains désespérés à traverser les déserts et les mers dans des embarcations de fortune afin d’échapper à une misère que nous avons du mal à imaginer.


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