Brexit : la grande solitude de Theresa May

par Fergus
mercredi 1er novembre 2017

La « Prime Minister » britannique n’en a pas fini avec les tourments liés à son mandat de négociatrice de la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne. Face à la rigidité des 27 pays membres de l’UE, elle se trouve prise entre le marteau et l’enclume dans son propre camp politique : d’un côté, les partisans de la mise en œuvre d’un Brexit dur ; de l’autre, les tenants d’une sortie qui puisse ménager les intérêts du Royaume-Uni dans ses échanges avec les pays du continent. Tempête sous un crâne...

Lors du dernier Conseil européen tenu le lundi 23 octobre, les 27 se sont dits prêts à engager des débats internes pour envisager la nature des futures relations commerciales avec le Royaume-Uni lorsque celui-ci aura effectivement quitté l’Union. Une manière de nuancer l’intransigeance qui a prévalu jusque-là que le porte-parole de l’UE Margaritis Schinas a confirmée en indiquant que la Commission travaillait à un « Brexit équitable ». Il n’en a pas fallu plus à Theresa May pour afficher sa confiance devant les représentants de la nation au parlement de Westminster.

Une confiance de façade car la patronne de l’exécutif britannique reste de facto prise en étau entre les Brexiters convaincus et les Remainers qui n’ont toujours pas digéré le camouflet du 23 juin 2016. Les premiers font pression sur la Première ministre pour accélérer la sortie en arguant que le Royaume-Uni serait économiquement plus fort sur la scène internationale en jouant sa partition en solo ; les plus déterminés d’entre eux souhaitent même un échec des négociations qui acterait une rupture nette avec l’UE. Les seconds continuent, quant à eux, de militer pour qu’un nouveau référendum soit organisé dans un pays où les enjeux pour le pays ont, selon eux, été mal posés par les responsables politiques, et de ce fait mal évalués par les électeurs.

Malgré la confiance affichée de l’exécutif britannique, c’est bel et bien la fébrilité qui gagne du terrain. Pour illustrer ce climat, il suffit de se référer à l’édition du 22 octobre du quotidien The Guardian : 5 des plus grands groupes de lobby d’affaires du Royaume-Uni ont, dans une lettre ouverte commune adressée à David Davis – le ministre en charge de négocier avec l’Union Européenne les modalités du Brexit –, lancé une alerte soulignant l’état préoccupant de cette négociation pour l’économie britannique.

Les 5 ne s’en tiennent pas à une vague inquiétude. Dans cette lettre ouverte, ils signent en réalité un appel pressant en soulignant que « le temps est venu pour le gouvernement de conclure un accord de transition avant que les entreprises ne commencent à freiner leurs plans d’investissement en finalisant les budgets pour 2018 et ne planifient en urgence des mises en œuvre de départ vers l'UE. »

Dans la même lettre ouverte, les 5 enfoncent le clou : « L'incapacité à s'entendre sur une période de transition d'au moins deux ans pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'investissement et le commerce. » Et cela d’autant plus que « Les sociétés s’apprêtent à prendre des décisions graves au début 2018 qui impacteront les emplois et les investissements au Royaume-Uni ». Autrement dit, c’est une mise en péril de l’économie du Royaume Uni qui pourrait, selon les signataires de cet appel aux autorités, résulter des blocages actuels.

Les fonctionnaires du Trésor britannique ont d’ailleurs entrepris, nous apprend également The Guardian, de questionner les principaux groupes d’affaires sur leur attitude prévisible en cas d’échec de la négociation avec l’UE. Cette enquête indique clairement que les nuages qui s’amoncellent sur la City ne sont pas, loin s’en faut, une vue de l’esprit promue par des « européistes béats  ». Sam Woods, vice-gouverneur de la Banque d'Angleterre, ne disait pas autre chose quelques jours avant la lettre ouverte en déclarant que les banques britanniques et nombre d’autres entreprises de la City mettraient en œuvre des plans d'urgence – comprendre des transferts vers l’UE – s'il n'y avait pas d’ici à Noël 2017 d'accord ferme sur une période de transition au-delà de la date effective du Brexit. Et ce n’est pas le tweet émis durant le Conseil Européen par le patron de Goldmann Sachs qui pourra rassurer les milieux d’affaires : le « boss » y fait état d’une probable migration des actifs britanniques de la banque vers l’Allemagne en cas d’échec.

Ces inquiétudes pèsent évidemment de manière prégnante, non seulement sur Theresa May et David Davis, directement en charge de traiter la question du Brexit, mais également sur l’ensemble du gouvernement. L’avertissement ne vient en effet pas d’acteurs mineurs de l’économie britannique mais des organismes les plus représentatifs des entreprises du Royaume Uni : la Confédération de l’Industrie Britannique (CBI), les Chambres de Commerce (BCC), la Fédération des Manufactures (EEF), l’Institut des Directeurs de Compagnie (IoD) et la Fédération des Petites Entreprises (FSB).

À peu de chose près, c’est comme en France était publiée dans le quotidien Le Monde une lettre ouverte cosignée par le MEDEF, la CPME, l’U2P et le collectif des Chambres de Commerce et d’Industrie (CCI) ! On imagine aisément l’impact qu’aurait un tel document sur l’opinion publique et la pression considérable qu’il ferait subir à l’exécutif.

Une pression qui, pour l’heure pèse lourdement sur les épaules de Theresa May. Parviendra-t-elle à la surmonter et à venir à bout du challenge en sauvegardant l’essentiel des intérêts du Royaume-Uni ? Ou bien sera-t-elle le vecteur impuissant d’une déliquescence de la puissance économique britannique au profit des pays membres de l’UE, à commencer par l’Allemagne, la France et l’Irlande dont les places financières (Francfort, Paris et Dublin) cachent difficilement le regard gourmand qu’elles portent sur les actifs capitalisés au Royaume-Uni ? Réponse dans les prochains mois. Mais à l’évidence, c’est la seconde voie qui est privilégiée par la majorité des observateurs ; à tel point que le site Atlantico, avant même d‘avoir eu connaissance de la lettre ouverte des lobbies patronaux britanniques, n’a pas hésité à titrer le 21 octobre « Theresa May n’a que deux solutions : la mort subite ou la mort lente ».


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