C’est quoi la gauche ?

par Bernard Dugué
vendredi 23 février 2007

Ce jeudi 22 février 2007, au forum de la Fnac bordelaise, réunion avec Philippe Raynaud, Zaki Laïdi et Gérard Grunberg, tous trois enseignants et chercheurs en sciences politiques, le premier auteur d’un ouvrage sur la gauche extrême et/ou révolutionnaire, les deux autres co-auteurs d’un livre sur l’identité de gauche en France. Cette rencontre a eu un succès moyen. Preuve s’il en est que l’intérêt des Français pour la politique reste en grande partie superficiel et fabriqué par les médias. Un peu comme une coupe du monde de foot. Les élections, c’est quand même tous les cinq ans alors autant en profiter. Je ne sous-estime pas l’attention des Français pour ces élections, mais je mets en doute la qualité de cette attention. Lors de cette réunion à la Fnac, les jeunes étaient absents. Un signe qui démentit l’image que les médias propagent. Cela dit, il se peut que les formes classiques d’investissement politique soient boudées par une jeunesse qui n’a pas forcément le temps ou la patience d’écouter d’austères professeurs et préfère la légèreté d’une émission de télé ou, pour les plus enthousiastes, la ferveur magnétique d’un meeting et l’activisme de l’ouvrier militant qui, à travers sa sueur et ses distributions de tracts, trouve son salut et sa bénédiction laïque.

Ces considérations exprimées, entrons dans le vif du sujet en mettant l’accent sur la gauche de gouvernement. La gauche antilibérale existe certes mais elle se complaît dans une posture de contestation, utile dans l’ordre du discours mais inutile pour le côté pratique de l’action politique. En deux mots, l’extrême gauche est sympathique, mais nullement guérie des conclusions de l’expérience politique. Comment va-t-elle expliquer les queues dans les magasins du Venezuela, dirigé par Hugo Chavez, nouvelle icône de l’altermondialisme ? Sans doute un complot du grand capital ? Il est grand temps de décréter le cirque de l’antilibéralisme révolu, et de ne plus y accorder une attention spéciale. Nous n’avons pas de temps à perdre avec ces billevesées de bas étiage idéologique.

D’après Laïdi, la gauche socialiste souffre de son incapacité à se présenter, s’assumer comme réformiste, seule attitude raisonnable et d’ailleurs appliquée par les gauches européennes assumant leur positionnement social-démocrate. Le PS souffre d’un héritage dirigiste hérité des Trente Glorieuses et voudrait rétablir, réinstaller l’ordre ancien. J’avoue que ce propos m’a conforté dans mon analyse de la prestation de Ségolène Royal sur TFI. J’y ai décelé quelques rémanences de l’esprit du plan. Pour le reste, Laïdi a été assez explicite sur cette gauche de gouvernement qui entretient la peur de la mondialisation, avec Chirac du reste, et qui croit devoir se porter au chevet de la société et se constituer en gouvernance réparatrice des dégâts occasionnés par le libéralisme. Voilà comment se positionne le PS depuis l’ère Jospin, et même avant. C’est assez simple comme schéma. Juste deux précisions apportées par Laïdi, le fait que la mondialisation soit complexe, chose que ne reconnaît pas suffisamment la gauche, et le rôle ambigu de l’Etat qui n’a pas les solutions et de surcroît, agit en aggravant parfois les inégalités, ce qui est un comble, car l’Etat est censé combattre l’injustice sociale découlant du libéralisme.

Une légère impression d’ennui. Je ne notais plus grand chose sur mon cahier, comme mon voisin qui, lui aussi, était venu afin de prendre notes. Histoire de ne pas revenir bredouille, j’ai concocté trois questions pour les intervenants, afin d’avoir quelques dévoilements, et bien m’en a pris, puisque des précisions intéressantes sont tombées.

Je reste sur Laïdi, le plus présent dans cette réunion. A la suite de ma question sur le dirigisme et le soviétisme de Madame Royal, il a apporté un démenti quant à sa méthode nouvelle d’appréhender la chose politique, entre idéologie et pragmatisme, convaincu ou converti, je ne sais. Mais après une autre question, il a reconnu que le PS avec les 35 heures souffrait d’un malthusianisme, préoccupé de partager sans savoir comment on produit. De plus, il a dénoncé un bonapartisme social explicité par des règlements abstraits et généraux au nom desquels le même régime doit s’appliquer à tous ; oubliant la part de négociation et la modulation des choix en fonction des secteurs professionnels et des choix personnels. Bref, la gauche, mais aussi la droite ne parviennent pas à concevoir la liberté de négociation des parties, et c’est cela le bonapartisme social, digne héritage du colbertisme.

Au bout du compte, la France en reste à une situation de chômage de masse, contrairement à beaucoup d’autres nations, dont le Danemark. Mais je ne crois pas le discours de Laïdi, vu la situation en Allemagne, Italie et même Espagne. La France ne fait pas moins bien, excepté les modèles scandinaves ou l’Irlande, mais qui ne sont pas transposables. Des phénomènes d’échelle sont à prendre en compte. Avec également les dépenses militaires qui ne sont pas comparables.

Ni la politique actuelle, ni les analyses des intellectuels ne me satisfont. Je suis resté frustré, mais j’ironise, vu que je n’attendais rien sinon de capter l’atmosphère intellectuelle des cercles parisiens. Malgré la question, je n’ai pas eu de réponse concernant la distorsion entre le savoir-faire de gauche et le savoir-être de gauche, le premier émanant des politiques et le second de l’art de vivre et de se penser en citoyens d’une république soucieuse du bien public. Bref, le bon côté de Mai 68, le bonheur de casser les barrières sociales et de rendre à l’amitié, le partage, l’échange, ses lettres de noblesse avec ( ?) une traduction en termes institutionnels autant qu’économiques. Ces questions restent en dehors du champ de compétence des politiciens et des intellectuels. D’ailleurs, lors d’une émission sur France 2, un jeune professeur de philosophie a posé la question sur ce qu’est le bien public, mais n’a pas eu de réponse. Serait-ce le signe que la politique se nihilise au profit de la puissance ? Oui !

En conclusion, je ne cacherai pas ce ressenti, cette impression d’avoir assisté à une réunion terne, sans âme, mais profondément imprégnée de raison et d’analyse. La gauche est en crise d’identité, et c’est certain, mais la droite, qui n’a pas été abordée, est-elle aussi en crise ? Quelque part, on croit voir dans cet activisme sur le Net, dans les médias, avec la jeunesse trentenaire, une régénérescence de la politique, avec ces trois figures atypiques que sont Sarkozy, Bayrou et Royal ? Est-ce le signal d’une renaissance ? J’avoue avoir du mal à y croire. Toujours perplexe !


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