Carla Bruni face aux six cerveaux de Sisyphe

par François-Xavier Ajavon
vendredi 6 juin 2008

Carla Bruni chante peu, mais parle beaucoup ces derniers mois. Quand Carla Bruni convoque la mythologie grecque pour évoquer amoureusement "son mari"... état des lieux...

Après ses déclarations fracassantes dans L’Express, en février dernier, développant l’idée baroque que le site du Nouvel Observateur (coupable du « faux SMS » le plus commenté de l’histoire de l’homo-numericus) aurait pu servir à dénoncer des juifs pendant la guerre ; la première dame de France avait pris la parole dans les colonnes du Monde, il y a quelques mois, au travers d’une tribune visant à défendre « mon mari ». Malgré son étonnant hommage rendu à Yves Saint-Laurent (l’anti-bling-bling incarné), la présence médiatique de Carla se résumait seulement – depuis quelques semaines - aux ondulations fatigantes d’une grande ombre élégante évoluant dans le sillage de « mon mari ». On la voyait ici et là. En train d’aller à la rencontre des forts des Halles, à Rungis, par exemple. Des images un peu pénibles, comme ça. Avec de la France qui se lève tôt et de la moiteur matinale. Heureusement le quotidien Aujourd’hui en France a contribué à rompre le silence mercredi, en participant à la promotion éhontée du livre La Véritable Histoire de Carla et Nicolas, à paraître, sous les plumes de Valérie Bénaïm et Yves Azéroual. Le quotidien le fait d’ailleurs en des termes publi-rédactionnels déconcertants de naïveté : « Carla Bruni-Sarkozy se livre longuement dans un ouvrage à paraître jeudi aux Editions du Moment et dont le (journal) s’est procuré un exemplaire. » Chapeau l’attachée de presse ! Et s’ensuivent, évidemment, les sempiternelles « bonnes feuilles » destinées à lancer ce livre, qui ressemble fort à une « biographie autorisée » du couple présidentiel, doublée d’un témoignage de « Madame ».

Dans cet ouvrage, Carla se livre à plusieurs confessions romantiques sur son coup de foudre avec « mon mari », en des termes sucrés : « Je ne m’attendais pas à quelqu’un de si drôle, de si vivant. Son physique, son charme et son intelligence m’ont séduite. » Beau, charmant et intelligent ! Mazette ! Et rien ne nous est épargné du dîner « fondateur » dans les bureaux du publicitaire Jacques Séguéla : « A plusieurs reprises, la chevelure de Carla Bruni a effleuré le président. Il ne s’adressait quasiment qu’à l’ex-mannequin, vêtue d’un pull beige. » Pull beige, arsenic, champagne et vieilles dentelles. Rien ne nous est épargné de la présence accablante de Luc Ferry faisant des photos avec son radio-téléphone cellulaire, ou de l’imparable technique d’hyper-drague présidentielle : « il n’a de cesse durant toute la soirée de la complimenter ». Tiens, je devrais essayer…

Mais le plus amusant dans ce témoignage sont les images que Carla utilise pour évoquer « mon mari ». Afin de rendre sensible la si formidable intelligence présidentielle, la jeune femme commente : « Il a cinq ou six cerveaux, remarquablement irrigués. Je le remarque encore tous les jours. Vous lui parlez de quelque chose, il est en train de lire un dossier, vous vous dites, le pauvre il est épuisé, il est tard. Eh bien, en fait, il entend tout, tout en intégrant le dossier qu’il lit. Je n’ai pas connu de crétins auparavant, ce n’est pas mon genre, mais lui, ça va très, très vite. Et puis, il a une incroyable mémoire. » Pour flécher la puissance symbolique de « mon mari » la première dame de France convoque – sans la nommer – l’image antique de l’hydre de Lerne, monstre chimérique aux dix têtes qui se régénèrent au fur et à mesure qu’elles sont tranchées par le héros Héraclès qui tente de les terrasser au cours de ses « Douze Travaux ». Nicolas Sarkozy n’a pas vraiment une dizaine de têtes (ce qui ne serait certainement pas constitutionnel), mais une demi-douzaine de cerveaux qui s’agitent en cadence. Et il faut bien les stocker quelque part. Dans des têtes bien entendu. Et toutes ces têtes pensent, et pensent simultanément, comme celles de l’hydre luttant contre les assauts d’Héraclès… Certains se prennent certainement à se demander qui viendra à bout de la chimère pluri-céphalique présidentielle ? (Et certains se demandent également si Carla ne se verrait pas, elle-même, en Héraclès en jupons et « pull beige »… ?)

Mais la première dame de France ne s’arrête pas là… le président Sarkozy n’est pas seulement l’hydre de Lerne, avec sa puissance de calcul digne des derniers super-ordinateurs IBM qui battent les champions d’échecs et autres syndicats lycéens, c’est aussi l’infatigable Sisyphe…. Ou Carla est en train de lire L’Anthologie de la poésie grecque de Robert Brasillach, ou alors je ne m’y connais pas en femmes…

La belle déclare : « J’essaie de l’aider à se ménager. Il est comme nous tous, un peu comme Sisyphe, il aime porter la pierre. Mais il est de bonne composition. Trois rayons de soleil, et il trouve la vie magnifique. Je l’aide pour qu’il soit en bonne santé, bien qu’il ait une hygiène de vie irréprochable. Mais tant qu’on n’est pas dans la petite boîte, on peut changer de métier. Lui l’a déjà fait deux fois, moi trois... ». Carla est une vraie mama italienne… elle dit à « mon mari » ce qu’il convient de manger, ce qu’il convient de faire pour bien traiter son corps, et pour retarder au maximum l’heure inévitable d’aller jouer de la harpe d’or avec les anges (l’image vient du film Goldfinger pour les ignares) ou de rejoindre la « petite boîte » selon la typologie de Carla… Mais notons, surtout, que l’ex-mannequin voit « mon mari » comme un Sisyphe… autre figure majeure de la mythologie grecque. Carla ne semble pas saisir la leçon profonde du mythe de Sisyphe, qui ne tient pas en l’effort perpétuel du héros consacrant sa vie éternelle à pousser un rocher, mais en la cruelle absurdité de cet acte répétitif auquel il est condamné (pour mémoire : quand le rocher est d’un côté de la colline il faut le renvoyer de l’autre, ad libitum). Sarko-Sisyphe déplace donc des rochers, fait du vent (diront ses détracteurs), mais ne fait pas avancer le pays. Joli. Coup double (diront les détracteurs de Carla).

On souhaite évidemment que ce témoignage vibrant de Carla sur « mon mari », la mythologie grecque et les relations hommes-femmes, rencontre son public. On sait que les précédentes biographies de la première dame de France n’ont pas rencontré le succès commercial escompté… (Bakchich info, se basant sur les données de l’institut GFK, nous apprenait récemment que sur trois mois Carla Bruni avait fait vendre seulement 30 000 ouvrages, soit six fois moins que Cécilia ex-Sarkozy… pour une exposition médiatique autrement plus importante).

On se demande, au terme de l’usage douteux de ces différentes références antiques, dans une seule et même interview, si la première dame de France ne devrait pas laisser tomber le symbolisme mythologique, et imiter la toujours très mignonne Pénélope, en tissant modestement un truc – à l’Elysée ou ailleurs – en attendant que « mon mari » rentre à la maison… ? D’ailleurs Carla Bruni chante trop peu, mais parle beaucoup trop ces derniers mois… quand sort son prochain album ?

fxa
www.apocoloquintose.com

NB : notons que Le Point a aussi publié des « bonnes feuilles » de cet ouvrage dans son édition de jeudi.


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