Ces obsessions qui marquent la vie politique et médiagitée

par Bernard Dugué
mardi 24 janvier 2012

Ne vous méprenez pas, ce billet n’a aucun lien avec les obsessions que la presse attribue à DSK. Les obsessions dont il sera question concernent le jeu politique, à l’échelle nationale, tandis que l’international n’est pas en reste dans cette affaire. Pour l’instant, le mot « obsession » est employé de temps à autre dans les médias mais il n’a pas encore la notoriété des notions telles que « pensée unique ». Pourtant, évoquer une « pensée obsessionnelle » permet de caractériser le style contemporain des échanges politiciens et c’est même un trait particulier de la campagne de 2012. Contrairement à la pensée unique qui s’écrit au singulier, il faut parler de « pensées obsessionnelles » au pluriel. Un peu comme le mot ténèbres. Est-ce à dire que les obsessions marquent un assombrissement de l’avenir politique ? Non, ce serait trop facile. Les obsessions traduisent un trait de caractère spécifique à la sphère du psychopolitique. Observons le Moyen-Orient. L’Iran, pays qui naguère n’avait aucune connivence avec l’antisémitisme, s’est mis à faire de l’Etat d’Israël une véritable obsession. Quand le parle ici de l’Iran je vise tout spécialement ses gouvernants. En réaction, l’Iran est devenu une obsession pour la plupart des dirigeants israéliens. Mais aussi pour les Etats-Unis et maintenant c’est l’Europe qui s’y met. C’est certain, l’obsession est un trait marquant et répandu du style psychopolitique actuel.

Retour dans les siècles passés. Obsession vient du latin et désignait au 15ième siècle le blocus ou le siège d’une cité. Un siècle plus tard, ce mot prendra une signification psychologique et désignera l’état d’une personne possédée par le démon. Ce 16ème siècle fut le théâtre de la seconde inquisition, celle menée avec l’appui des tribunaux civils et visant à traquer les personnes possédées par le démon pour ensuite les traduire en justice et le cas échéant, leur infliger une peine sévère. A cette époque, le démon est une entité externe et l’on comprend le déplacement sémantique permettant de signifier que le patient est assiégé par le démon. A partir de la fin du 19ème siècle, l’obsession prend son sens psychiatrique actuel, caractérisant l’état d’une personne habitée par une image ou une idée fixe récurrente dont elle ne peut se débarrasser aisément. Un quatrième déplacement sémantique nous conduit au sens figuré qui prend ses distances avec la psychopathologie. L’obsession caractérise alors l’état d’une personne dont l’esprit est habité par une préoccupation que la volonté ne parvient pas à écarter. Un souvenir par exemple. Finalement, l’obsession devient un trait de caractère dont on n’a pas encore mesuré l’importance en politique.

L’obsession est en premier lieu une figure d’analyse. N’importe quel observateur peut, moyennant un peu d’attention, déceler les traits de l’obsession dans un discours politique et plus spécialement, dans les propos récurrents d’une personnalité oeuvrant dans la sphère des affaires publiques, voire même les propos d’un intellectuel. Cette figure d’analyse a plusieurs finalités. (i) Elle sert la compréhension du psychopolitique, éclairant les travers et dérives d’une époque traversées par ces obsessions qui ont pour ressort des craintes ou bien la désignation d’un coupable dans la genèse des dysfonctionnements du système. Exemples avec deux figures obsessionnelles majeures des temps présents, les rejets de carbone et le marché de la finance. (ii) La figure obsessionnelle est un instrument de la vie politicienne. Ainsi, les ténors de l’UMP accusent François Hollande d’être obsédé par Nicolas Sarkozy, du coup, la riposte de l’Holland’team ne se fait pas attendre et les responsables de la droite sont accusés d’être obsédés par un parti pris anti-Hollande. Pour finir, le candidat socialiste a prononcé au Bourget un long discours offensif et volontariste sans prononcer le mot Sarkozy, ce qui traduit un bon plan tactique mais aussi un trait d’ironie qui n’étonne guère connaissant le candidat socialiste. Une recherche sur le Net permet de voir l’usage de l’obsession dans les phrases politiques. François Bayrou est l’obsession d’Hervé Morin. Les musulmans obsèdent Marine le Pen qui elle, obsède Eva Joly et Caroline Fourest… (iii) L’obsession prend un tournant utilitariste et volontariste lorsqu’il est intégré dans une intention publique. C’est une inversion. L’obsession est en général un parasite de la volonté mais chez François Bayrou, l’obsession est érigée en valeur positive du volontarisme patriotique lorsqu’il répète à l’envie sa préoccupation de produire et consommer français.

L’obsession se présente ainsi comme un diable logé dans les détails de la vie publique. Jean-Michel Aphatie serait obsédé par Jean-Luc Mélenchon après avoir été l’obsession de Jean-François Kahn qui, contrairement au premier, n’était pas obsédé par la dette, qui obsède aussi Bayrou alors que le triple A a été une obsession pour le président puis les médias… et ainsi de suite. Une chose à retenir, l’obsession n’est pas forcément là où on croit qu’elle se loge. Pour s’en convaincre, il suffira d’examiner ce cas d’école que représente la sphère médiatique qui, l’espace de quelques mois, fut pris d’une frénésie obsessionnelle à l’égard d’un homme qui ne s’était même pas déclaré candidat et qui fut attrapé dans une affaire de mœurs sordide au Sofitel de New-York. C’est du « médiagité » qui courut jusqu’au JT.

Quelle est la signification du caractère obsessionnel de la vie politique et médiatique ? En première approximation, on mettra ce phénomène sur le compte du désenchantement, de la fin des grands récits, des idéologies, des luttes universelles. En suivant une idée de Foucault on pourrait dire que les obsessions sont à la passion politique moderne (19ème et début 20ème) ce que l’intellectuel spécifique est au penseur généraliste, lequel est du passé, comme du reste la passion collective. Au lieu de penser la société, la civilisation, et de se poser en visionnaires, les politiques se prennent pour des gestionnaires et se proposent de corriger le pays en insistant parfois sur des mesures principales et c’est ainsi que le produire français devient une obsession, comme chez les écologistes cette croissance verte qui finalement, épousera le sort des produits bio, à savoir un petit plus de qualité mais un gros plus dans le coût. L’époque du désenchantement est aussi celle de la personnalisation de la vie politique. On ne réfléchit plus aux grands enjeux mais on préfère asticoter les uns et les autres et d’ailleurs, les journalistes ne sont pas en reste dans ce théâtre verbal pour ne pas dire verbeux. Peu à peu, le verbiage tend à supplanter le débat de société. Et les obsessions finissent par occuper l’esprit. L’obsession n’est pas très productive. Le plus souvent elle rend stérile l’action politique tout en enfumant le citoyen. Alors que la passion, comme le dit Hegel, permet de réaliser de grandes choses.


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