Cette langue française qu’on assassine
par Henry Moreigne
mardi 14 mai 2013
Parler du destin de la langue française c'est aborder la question de la mondialisation et de la forme qu'on souhaite lui donner. Las, la globalisation ce n'est pas seulement un enrichissement partagé de la planète. C'est aussi un rouleau compresseur qui écrase les cultures pour n'en asseoir qu'une, consumériste et individualiste.
Une seule langue, un seul mode de vie est-ce souhaitable alors que l'on sait que le mode de développement dominant est incompatible avec les ressources de la planète et que l'avenir de la biosphère passe par la préservation de la biodiversité ?
A quoi peut servir le concept "d'exception culturelle française" si la défense du français est considérée par les élites comme accessoire et dépassée ? Oui, une langue c'est l'âme d'un peuple, de son identité, de son histoire, de sa culture. A ce titre, la disposition du projet de loi sur l'enseignement supérieur présenté par la ministre Geneviève Fioraso est révélatrice de l'abandon en rase campagne de la défense de notre langue par nos dirigeants.
L'article 2 du texte incriminé prévoit ainsi d'élargir la possibilité donnée aux universités françaises d'assurer des enseignements dans une langue étrangère, en anglais notamment. Un petit rien qui cumulé à des reculades tous azimuts condamne notre langue à être celle des derniers des Mohicans. Alors oui, l'Académie française est dans son rôle quand elle dénonce "les dangers d'une mesure qui favorise la marginalisation de notre langue". Oui, le philosophe Michel Serres a raison de dénoncer un abandon de souveraineté linguistique face à l'impérialisme anglo-américain.
A force de couper un par un les fils qui composent la toile d'araignée, un coup de ciseau faussement anodin provoquera l'effondrement total. Les dispositions du projet de loi Fioraso ne seraient pas critiquables si l'Etat et ses représentants avaient une attitude offensive et défendaient courageusement le français et la culture française. C'est tout le contraire. Le service public audiovisuel véhicule à longueur de journée une sous-culture américaine qui façonne les aspirations et les comportements de notre jeunesse.
Alors qu'aux lendemains de la seconde guerre mondiale la langue française était consacrée comme l'une des langues officielles des instances internationales, plus personne ne veille au respect de cet acquis. L'Union Européenne en est un bel exemple puisqu'insidieusement et de façon informelle, l'anglais en est devenu la langue officielle, parlée et écrite, au détriment du français et de l'allemand.
" Prenez garde ! Je vais parler en français" prévenait avec un accent délicieux Winston Churchill en 1949 à Strasbourg dans un discours prononcé à l'occasion de la création du Conseil de l'Europe. Francophile assumé, le vieux lion avait adressé aux Français, le 21 octobre 1940, quelques mois après la signature de l'armistice un remarquable discours les exhortant à la résistance. Un discours prononcé en français, en témoignage de son respect pour une culture qu'il appréciait (cf vidéo ci-dessous).
"Français ! Armez vos cœurs à neuf avant qu'il ne soit trop tard ! Jamais je ne croirai que l'âme de la France soit morte, que sa place parmi les grandes nations du monde puisse être à jamais perdue" déclarait alors le chef du gouvernement Britannique.
Claude Hagège, à sa façon, lui répond dans les colonnes du Monde. "On se demande, pourtant, d'où peut bien venir, en France, cet acharnement contre la langue française. De la monarchie à la République, surtout aux heures les plus tragiques de cette dernière, tout illustre ce dicton : "C'est par sa langue que vit une nation" écrit notamment ce professeur au Collège de France.
Il est grand temps d'entrer en résistance. Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. La vive réaction d'une quarantaine de parlementaire PS emmenés par Pouria Amirshahi, député des français de l'étranger met du baume au coeur aux amoureux de notre langue et de la francophonie. On ne manquera pas à cet égard de lire sa très belle tribune reprise dans Marianne.
Crédit photo : Mathieu Riegler