Chirac, c’est de la bombe !

par D. Artus
vendredi 2 février 2007

Les Français sont fantastiques ! Nous faisons preuve d’un esprit que le monde entier nous envie... quand il ne se moque pas de nous. Tellement rapides à relever la moindre incartade, le moindre mot de travers, qui contribue à élever le niveau du débat politique à celui de la cour de récré d’une école primaire. Ainsi donc, Jacques Chirac (après Ségo et Sarko...) a commis une bourde devant des journalistes du Nouvel Obs et de la presse américaine, l’International Herald Tribune et le New York Times.

Ce n’est pas rien, surtout le New York Times qui, avec le Washington Post, fait la pluie et le beau temps politique et médiatique aux Etats-Unis. D’abord, les faits. Jacques Chirac reçoit donc les trois équipes de journalistes lundi dernier et au milieu du thème traité, l’environnement, répond à une question sur le nucléaire en précisant que si l’Iran possédait l’arme atomique ce ne serait « pas tellement dangereux ». Jugeant que « ce qui est dangereux, c’est la prolifération  ». « Une bombe, peut-être une deuxième un peu plus tard, qui ne lui servira à rien », ajoute le chef de l’Etat, « Il va l’envoyer où cette bombe ? Sur Israël ? Elle n’aura pas fait 200 mètres dans l’atmosphère que Téhéran sera rasé ». Ses conseillers présents se regardent, toussent et précisent aussitôt que ces propos sont « off », c’est-à-dire pas destinés à être publiés. Mais le président lui continue de parler, sans rien relever. La frontière entre le « off » et un bon scoop se dissous si vite dans les esprits que les journalistes américains veulent publier séance tenante les propos de Jacques Chirac. Mais en vertu d’un accord avec le Nouvel Obs ils attendent jeudi, date de parution de l’hebdomadaire.

Pourquoi est-ce une bourde ?
La réponse de Jacques Chirac n’est pas diplomatique et en contradiction avec les pressions exercées contre l’Iran par la communauté internationale, visant à empêcher ce pays de continuer son escalade nucléaire, en vertu du traité de non-prolifération. Le lendemain, l’Elysée faisait donc revenir les journalistes pour corriger le tir, un euphémisme, et rappeler la position officielle : « Nous restons dans une logique de dissuasion, pas dans celle de l’acceptation d’un Iran nucléaire ». Ok, on a bien compris. La France dénonce donc « une polémique honteuse » venue des Etats-Unis et des journaux américains, jamais avares de leçons vers la France qui le lui rend bien. (Voir le papier de Libé vendredi).

Pourquoi n’est-ce pas une bourde ?
Parce que sur le fond, Chirac a parfaitement raison. Tout le monde sait que l’Iran a une ou deux bombinettes nucléaires, mais que les autorités iraniennes, rompues à la diplomatie, ne s’en serviront pas. Ils veulent simplement exister dans le concert des nations de la région. En effet, la moindre bombe lancée depuis l’Iran vers Israël serait tout de suite détruite et Téhéran rasée en représailles. Israël vit en alerte nucléaire permanente et ses missiles nucléaires sont pointées sur les capitales de ses principaux ennemis régionaux. Ecrit comme cela c’est bien sûr effrayant, mais nous touchons là le concept même de dissuasion. En plein cœur de la guerre froide, quand on pensait les Russes et les Américains au bord de l’affrontement nucléaire, les deux puissances jouaient aux échecs diplomatiques pour s’arracher des concessions mutuelles. Et aucune bombe n’a été lancée.

La position du New York Times et du Herald Tribune
Contrairement à ce que dit l’Elysée, la position des journaux américains est restée sobre sur les propos de Chirac (voir le site du NY Times). Ils étaient déjà trop contents de pouvoir les rapporter. Et même si les deux journaux seront en froid avec l’Elysée, cela ne durera que le temps de la campagne présidentielle. On peut parier que le nouveau (ou la nouvelle) président(e), oubliera bien vite la polémique, tant les politiques Français raffolent des interviews en général, dans les journaux américains en particulier...

La pratique du « off »
Les Américains ne respectent le « off » (l’expression « off the record  » vient pourtant de chez eux) que lorsque cela les arrange, comme les journalistes français d’ailleurs. Et c’est vrai qu’ils ne se privent pas de donner des leçons de déontologie aux Français. Sauf que la position de la presse américaine lors de l’après-11 septembre, a donné lieu à de violentes critiques aux Etats-Unis. Ces journaux américains ont été accusé d’avoir joué le jeu du pouvoir et du président Bush, en n’ayant pas dénoncé les atteintes aux droits civiques, ni donné toutes les informations en leur possession sur l’implication des Saoudiens dans Al-Qaida... Chacun peut donc balayer devant sa porte...Et les bourdes politiques vont continuer d’alimenter les medias. D.A.


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