Clinton, Obama, Royal, Delanoë... bienvenue dans l’arène politique

par Bernard Dugué
vendredi 11 janvier 2008

La vie politique a pris une tendance aux traits singuliers ces dernières décennies, avec une accentuation toute récente. Pour la décrire, rien de tel que les jeux du cirque à Rome, avec les gladiateurs saignant au combat ; mais le sang versé par les candidats n’est que symbolique, tout au plus une larme d’Hillary au détour d’une primaire et beaucoup de sueur, surtout dans les salles aux flashs crépitant et au public survolté. La figure de la corrida conviendrait bien pour décrire ces jeux pour parvenir à la magistrature. Une corrida où il n’y a pas de taureaux mais juste des toréadors exécutant des figures de rhétoriques et en certaines occasions, s’affrontant directement pour se planter quelques banderilles. Parfois en vain. Jospin avait traité Chirac de vieux en 2002, on a vu le résultat, il n’a pas fait de vieux os. Les exemples ne manquent pas de ces saillies parfois spectaculaires qui par le passé ont marqué quelques débats marquants. Le « vous n’avez pas le monopole du cœur » adressé par Giscard à Mitterrand restera dans les annales, comme le « dans les yeux » de Mitterrand face à une question de Chirac. C’est de bonne guerre dira-t-on. Mais parfois, une simple émotion retentit dans le monde entier et pourrait même changer l’Histoire, pour peu que la larme d’Hillary soit plus longue que le nez de Cléopâtre. Tous les coups sont permis dans ces duels fort prisés des spectateurs et qui ne datent pas d’hier.

Oui mais le combat a pris à la fois un style différent tout en redoublant d’intensité. Les causes ? Elles sont connues, les médias, offrant une caisse de résonance au phénomène, si bien que la tentation de l’image, du numéro de virtuose, du bon mot, de la petite phrase qui tue ou séduit, tous les artifices de la comédie d’esprit sont sollicités et d’autant plus exécutés que les médias sont à l’affût. La complicité entre l’orateur et l’auditeur est connue de longue date. Ce fait est avéré, pour des affaires sérieuses comme par exemple le lien entre un orateur dispensateur de sagesse et un auditoire disposé à tirer le meilleur profit de l’enseignant. Un stoïcien, sans doute Sénèque, avait remarqué que lorsque l’auditoire devient indolent, paresseux, voire indifférent, l’orateur perd son verbe et ne livre plus un discours frappé d’excellence. Avec les médias contemporains, le processus est de même nature, une sorte de complicité dialectique entre le politicien en action et une foule en effervescence, cette même foule qui ne fait pas qu’assister aux primaires, aux meeting, mais se retrouve aussi derrière son poste avec des journalistes qui sélectionnent les bons moments. De ce fait, il existe cette complice connivence unissant l’orateur et un public dédoublé, dans la salle et derrière les écrans.

Cette première tendance à la personnalisation des pouvoirs, reflétée dans la vie politique actuelle, fonctionne comme un vase communicant. La montée en puissance de la théâtralisation du politique évolue de pair avec la lente descente des contenus idéologiques et des échanges d’idées. Le combat des chefs s’est superposé à la bataille d’idées et la lutte pour des idéaux. Cela n’empêche pas les Etats d’être gouvernés, les campagnes n’étant destinées qu’à satisfaire les exigences des démocraties, élire des représentants, un président. Ensuite, les critères de choix sont un mélange entre l’appréciation des idées que défend le candidat et l’idée qu’on se fait du candidat. Et c’est justement cette mise en scène médiatique, cette « arénisation » des campagnes qui oriente le public vers ces aspects plus humains, personnels, illustrant de ce fait le déroulement d’un combat où les adversaires comptent les points, en toute mauvaise foi et les analystes faisant de même, avec on l’espère un peu plus d’impartialité.

Il n’aura échappé à personne cet intérêt soudain des médias français pour les primaires américaines et ce, dès le déclenchement des hostilités, avec les caucus en Iowa le 3 janvier et la percée d’un outsider facétieux, Mike Huckabee, chez les républicains ; alors que Barack Obama, le faux outsider, l’emportait chez les démocrates. Ensuite, une primaire républicaine avancée au 5 janvier dans le Wyoming, dont on a peu parlé. Le Monde s’est contenté d’une dépêche de l’AFP. Le vainqueur, un certain Mitt Ronney, une vraie curiosité, pasteur mormon et favorable, comme madame Clinton, à une couverture maladie universelle. Il faut dire que le Wyoming jouxte l’Utah où sont concentrés le quart des mormons américains. Mais la presse française s’est intéressée aux primaires, démocrates et républicaines, du 8 janvier au New Hampshire. Et de se focaliser sur une éventuelle revanche de madame Clinton contre le jeune premier Obama, chose qui fut faite non sans une larme au centre des analyses. Nous n’avons pas le souvenir d’un tel intérêt pour les primaires en 2004 et d’ailleurs, personne ne se souvient des candidats que John Kerry a battus mais en 2012, tout le monde se souviendra du duel entre Barack et Hillary. Un combat qui, presque, masquerait l’enjeu principal de ces élections. Bouter l’administration Bush et toute la clique républicaine. Notons que les démocrates sont majoritaires au Congrès, et que si la victoire démocrate se dessine, à la présidence et aux deux Chambres, alors les Etats-Unis auront une puissance de feu démocrate qui, récemment, ne s’est présentée qu’en 1993-1995.

Résultat de l’élection d’ici huit mois. Résultat des primaires d’ici un mois. Pour l’instant, cet intérêt de la presse française s’explique sans doute par les retombées des primaires organisées au PS à l’automne 2006 et du duel passionné (pas forcément passionnant) entre Royal et Sarkozy. Il est probable que le phénomène Hillary cristallise notre presse puisque c’est une dame qui va jouer les demi-finales lors des primaires, contre Obama, comme Ségolène face à DSK et Fabius, puis la finale contre l’adversaire républicain. Les médias aiment ce genre de combat et en France, quelques projecteurs sont pointés vers Bertrand Delanoë et Ségolène Royal, espérant un combat fougueux et sans merci pour un enjeu bien peu important mais pas un point de détail, la place de Premier secrétaire du PS. Faut que ça saigne au sein du PS, les médias sont prêts à rapporter les coups et compter les points.

Voilà quelques traits de la représentation des enjeux politiques tels qu’ils sont délivrés au grand public. Est-ce que cela sert la démocratie ? Bonne question, je ne me félicite pas de l’avoir posée. Toujours est-il que l’avenir des sociétés, du monde, n’est pas évoqué par les médias qui, par on ne sait quel sortilège, sont complices de ces jeux d’arènes, de cette corrida qui montre au moins que notre politique de civilisation si chère à Edgar Morin, celle qui met l’homme au centre de la politique, est sur le point de se réaliser puisque, qu’il s’agisse des primaires aux Etats-Unis, ou de la situation du PS ou encore de la recension de la vie politique, la personne politicienne est devenue prépondérante mais sans doute, Morin avait une autre idée en tête, c’est que le politique se préoccupe de l’homme. Et c’est l’inverse, les médias qui s’intéressent à l’homme politique plus que les grandes idées et chantiers à mettre en œuvre pour un dessein de civilisation qu’on dira inédit, car ce qui se dessine est certainement du déjà vu. Juste un peu plus d’intensité, des traits accentués et un monde qui court et se divertit de corridas politiciennes. Ce n’est pas un mal, diraient les stoïciens, du moment que l’essentiel est préservé. Mais est-il préservé ? Là est la question !

Les médias devront quand même patienter avant la grande bataille pour la tête du PS mais c’est certain, dès que les hostilités seront déclenchées, ils seront sur le qui-vive, tels des ethnologues ayant planté leur tente devant une tribu de drôles d’animaux. Auparavant, ils seront plutôt gâtés, avec ces combats pour les municipales, ces grandes villes où la bataille sera rude, Lyon, Paris, Bordeaux et puis Nice, et pour les journaux locaux, quelques localités d’importance où des basculements sont à prévoir, comme par exemple Talence avec son maire UDF Alain Cazabonne défié par un Gilles Savary aux dents de loup.

Peut-on tirer une leçon philosophique dépassant le constat évident de la personnalisation du pouvoir et de la mise en scène de ces arènes par les médias ? Ce n’est pas évident. Une piste, l’étude de Kojève sur les quatre types d’autorité, père, chef, juge et maître. Il fut un temps où les maîtres, au sens d’instructeurs et de savants, menaient les sociétés, avec la IIIe République des "instituteurs" et de Jules Ferry, prolongée dans l’esprit jusqu’à de Gaulle et un peu Mitterrand. L’autorité se réclame de la raison, l’intelligence, le savoir et « l’universel ». Maintenant, une autorité de chefs, certes pas ignares mais moins cultivés, plus inscrits dans la réactivité de l’instant, la réponse aux émotions, et la présence comme puissance, se dessine. En France, Sarkozy est plus un chef qu’un maître. La France est donc dans le « droit chemin » des nations du monde.


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